Ce matin-là reste gravé dans ma mémoire. C’était pourtant il y a 60 ans, le 18 juillet 1957, exactement durant des vacances scolaires qui n’avaient commencé que le… samedi 13 juillet à 17 h à l’issue de semaines de 5 jours complets de travail. Impossible d’oublier l’impatience qui m’envahissait depuis longtemps. Pas parce que l’école était fini, les cahiers au feu et surtout pas les maîtres que j’aimais au milieu mais simplement parce que mon père avait décidé que le jeudi nous irions voir passer le Tour de France ! Un événement exceptionnel puisque il lui fallait prendre un jour de congés ce qui pour lui était tout à fait exceptionnel.
Voir et admirer « l’armée française » commandée par un jeune général au panache jaune nommé Jacques Anquetil constituait une véritable fête ! Rares, très rares étaient les occasions de quitter le village et donc celle-ci ne devait pas se négliger. L’achat très récent d’une « quatre-chevaux » à l’instituteur du village nous permettait d’accéder à la liberté de déplacement. Un groupe fut constitué pour un déplacement collectif devant permettre une forte présence sadiracaise au bord de la route de l’antépénultième étape reliant sur 66 kilomètres Bordeaux à Libourne pour un contre la montre devant asseoir la suprématie de la « flèche normande ».
Grâce au journal Sud-Ouest et aux envolées lyriques de Georges Briquet je suivais avec une avidité inextinguible les exploits de celui qui allait devenir mon idole. Il a profité de la défection de Louison Bobet pour s’installer, pour son premier Tour de France, dès l’arrivée de l’étape chez lui à Rouen, en leader incontesté d’une équipe de France « cannibale ». la bande renouvelée de Mracle Bidot a pris d’entrée la course en main et ne laisse le Maillot Jaune au régional parisien Nicolas Barone que l’espace d’une étape. Succédant à Darrigade, Privat et Forestier, Anquetil s’est emparé définitivement du commandement à l’issue de la dixième étape. Chaque jour gonfle ma fierté de supporter qui s’ignore, avec au moment où nous montons dans la rutilante « Quatre chevaux » vert bouteille immatriculée 4848 X 33, la bagatelle de 11 victoires d’étapes signées Darrigade, Privat, Bauvin, Stablinski et… Anquetil. Ce dernier m’a pourtant désespéré dans l’Aubisque deux jours auparavant où il a connu une vraie défaillance. Au profit de Nencini ce qui ravit mon père pour deux raisons. Il n’aime pas du tout le style Anquetil qui se recoiffe à chaque arrivée et surtout Gastone Nencini est… italien ! Comme nous n’avons pas la télévision j’ignore que Robert Chapatte a effectué son premier reportage télévisé sur le Tour en cette année 1957 (1). Je me prépare pour ma part prépare à côtoyer les étoiles… à les voir filer sous mes yeux.
La veille du grand jour il a fallu préparer le déplacement de notre jeune vie. Ma mère a concocté un repas exceptionnel : un pique-nique ! Œufs durs, pâté maison, lamelles de jambon coupées sur celui de la pauvre bête tuée en janvier, un poulet froid, du fromage « croûte rouge » de chez Mme Troquereau et du pain frais récupéré en partant vers Saint Germain du Puch à la boulangerie Friot de Lorient… Pour nous il y aura deux bouteilles de limonade achetées au fourgon de l’Aquitaine passant dans le village chaque semaine. Un menu inimaginable et un bonheur qui sera vite gâché puisque toute la journée il tombera un déluge nous obligeant à… déjeuner dans les voitures ! Rien n’arrêta cependant mon envie de voir passer « noms » que je connaissais sur le bout de la lnague. J’avais découpé dans la page des sports de Sud-Ouest de la veille la liste des engagés et le classement général qui donnait l’ordre de départ.
Toute la matinée fut consacrée avec mon père a la collecte des objets distribués par la caravane pressée d’aller se mettre à l’abri. Des chapeaux en papier façon calot, des stylos bic introuvables dans l’herbe de l’accotement, des sachets avec un cachet ou la vente au cul du camion de sacs avec Pif gadget ou L’Équipe ! Tout nous émerveille, nous enchante et nous fait envie… J’attends pour ma part le passage de mon idole. le reste ! Il arrive sur une route luisante après la montée de la cote de Camarsac à plein régime. Malgré la bourrasque qui le freine, malgré la pluie battante, le Normand ne se désunit pas. Son allure extraordinairement souple, aisée, « une précieuse mécanique remarquablement réglée » avale une chaussée râpeuse. Quelques secondes. Mon père muni d’un antique Kodak tente une photo qui restera dans les archives familiales comme un trésor. Bien évidemment compte-tenu de la vitesse du personnage central elle manque de netteté mais pue importe : j’ai vu Anquetil foncer, (malgré une crevaison à un peu plus de la moitié du parcours que je n’apprendrai que lendemain dans le journal) vers un succès écrasant à 42,911 km/h de moyenne. Il rattrapera son seul rival Win Van Est parti devant lui et terminera son premier tour avec près d’un quart d’heure d’avance sur le second Marcel Jansens ! Le soir nous sommes rentrés frigorifiés, trempés …. mais heureux quelle belle journée !
(1) Nous pouvions voir les images sans le son assis sur un talus face à la fenêtre d’une maison où se trouvait la première télé du village !
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Le même jour à Pomerol, j’allais avoir 6 ans, il pleuvait, on a passé la journée dans la voiture et je ne me souviens que du maillot jaune du grand Jacques….