Le silence tombe sur le cœur de la ville bastide au fur et à mesure que le soleil, tendance brésilienne, se réfugie derrière le toit des immeubles de la Place de la Prévôté. Déserte. Elle est déserte. Pas un chat même bleu s’y promène. Les passages motorisés dans la rue se raréfient et les derniers sont marqués par une volonté manifeste du conducteur d’en finir vite avec le trajet prévu. Pas question de s’attarder au moment où les écrans des télévisions entament le jour le plus long pour les supporteurs. Le canapé ou le fauteuil attendent le sportif du dimanche. Le vrai. Celui qui s’entraîne depuis des mois afin d’être prêt pour l’ouverture. Un drapeau solitaire flotte au vent léger venu d’à travers la ville bastide. Il est Portugais et installé à une fenêtre comme une anomalie. Le Mondial a vidé de toute vie apparente la cité pour consacrer un repli sur les murs protecteurs des domiciles.
La crêperie et le restaurant ont préféré fermer leurs portes car les tables ne risquaient pas d’attirer le moindre convive. Profitant de son écran un peu plus géant que ceux des modestes appartements voisins le café « Le Sport » (le bien nommé!) a ouvert exceptionnellement son rideau de fer pour la soirée. Verre de bière en mains, maillot frappé du coq d’or et de l’étoile ou plus simplement d’un France lapidaire une vingtaine de clientes et de clients trompent le temps qui semblent trop long. En attendant que le coup d’envoi arrive quelques uns d’entre eux, pieds nus tâtent du ballon sur le grand parvis blanc transformé en aire de jeu. On a pris de l’avance sur tous les autres en exultant aux prouesses supposées d’un tireur se pensant d’élite, en saluant une jonglerie de plage d’un mioche ou en raillant un gadin pris par un audacieux se prenant pour un participant au film publicitaire de Nike !
Quelques fenêtres ouvertes distillent les airs connus des flots de publicité qui empliront les caisses de TF1 reconvertie en tenancière de la fierté nationale. Une odeur alléchante de pizza flotte dans l’air car les commandes arrivées doivent être préparées avant le coup d’envoi par le specialiste de la rue Baspeyras. Dans le huis clos des salons il faut se préparer à partager les places face à un écran que l’on espère porteur de miracles. Plus un bruit. Créon est parti pour le Brésil…
Les chaînes perroquets de la télé n’ont pas cessé un seul instant de fourguer des infos répétitives et inutiles sur le face à face entre les Bleus et le Honduras dont bien des spectateurs ignoraient l’existence avant cette soirée.
L’attente est forte pour ne pas dire angoissante. Le silence des rues n’a pas été troublé par les échos d’une Marseillaise que le protocole brésilien a occulté… Lentement Créon s’enfonce dans une soirée de tous les dangers pour le moral du pays. La grappe humaine des Sans Télé fixe (dits STF) du Café « Le Sport »s’est agglutinée devant le comptoir où les premiers commentaires fusent ». Le niveau de la « pression » baisse car la température nécessite un strict respect des consignes sur les risques de déshydratation. La « mousse » posée sur la pelouse pour les coups-francs succédant aux coups tordus n’a rien de comparable à celle qui humecte les gosiers. Le « jaune » et le « rouge » sont aussi des mots connus dans cette enceinte. Les balcons du stade créonnais autour du carré central sonne creux et il est même désertique. Personne pour chanter, pour hurler, pour encourager, vitupérer… le monde du silence pour un mondial en immersion que l’on ne peut pas vivre dans le partage.
Les événements se précipitent… la tension monte mais rien ne filtre derrière les « murailles ». Si à la pause d’une confrontation agaçante une porte s’ouvre ce n’est que pour déposer en vitesse la poubelle sur le trottoir ou pour prendre un bol de fumée interdit intra-muros ! Les martinets sillonnent dans des poursuites fulgurantes le ciel créonnais en criant leur joie d’avoir vu de là-haut Benzema ouvrir le score ! Ce sont les seuls à manifester leur joie avant que la nuit tombe car Créon est en état de mort clinique footballistique ! Impossible de connaître les réactions suscitées par la première sortie des Bleus. La chaleur tombe sauf dans le café où on voit maintenant la vie en rosé ! La nuit se referme sur la première page d’une aventure dont l’issue est encore incertaine. Des millions de supporteurs doivent accomplir le geste le plus difficile, à Créon comme ailleurs : appuyer sur le bouton « off » de la zapette pour mettre un terme au début d’un rêve potentiel de gloire. Le boulot, le bac, la grève… ces mots douloureux laissent des bleus qu’il va falloir soigner avec un zeste d’espoir dans une France gagnante !
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Les rêves enfantins se nourrissent de merveilleux,
et les ballons n’y sont que bulles de savon,
où vivent un instant emprisonnés de lumière
quelques insectes affolés ou amusés
flottant dans l’azur pour disparaître d’un coup…
On a beau dire, on a beau faire, on a beau penser,
rien ne peut endiguer le flot
qui submerge toutes les consciences,
et vide les esprits de tout entendement,
quand, à tout prix et à n’importe quel prix,
toutes et tous faisons encore une fois semblant de croire
que le jeu de ballon au pied est une passion pure,
presque enfantine.
En d’autres termes, cela se nomme une régression.
Pendant que d’autres, plus froids et si adultes,
se jouent et profitent de toutes les vilenies
d’une humanité tragique et ensorcelée.
Décidément, je n’aime pas les adultes !
Une évocation très vivante, si je puis dire, de la léthargie qui règne sur ta petite ville.
Panem et circenses !
C’est vrai, je me répète, mais quel anesthésiant ce sport !
Ça me rappelle un peu la légende de Néron jouant du violon (qui n’avait pas encore été inventé !) pendant l’incendie de Rome, ou plus justement le duc d’Orléans dansant sur un volcan (en l’occurrence le Vésuve).
« Le boulot, le bac, la grève, le chômage », un gouvernement qui se prétend de gauche et qui fait des courbettes au MEDEF, la grande intox des médias manipulateurs à la botte, une régression sociale » tsunamique », etc… ces mots douloureux laissent des bleus mais l’espoir ou la réalité d’une France gagnant un match ou deux ne changera rien à la situation désastreuse !
Si l’on nous montre plus complaisamment les hystériques supporters que les manifestations de contestataires, il n’en reste pas moins que le peuple brésilien ne s’y trompe pas et semble manifester un enthousiasme fort mitigé.