Annie est allée militer ailleurs pour l'éternité

9223_1254432760895_604156_nAnnie est décédée ce matin. Disons plutôt qu’elle a renoncé à survivre. C’était son choix. Elle qui avait adhéré à l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) ne souhaitait plus rester dans un monde où elle ne participerait plus à la vie sociale. Engagée depuis des années sur des valeurs républicaines, elle ne supportait plus les combats stériles. Le sien lui paraissait sans issue et donc elle a laissé filer les forces qui pouvaient encore y avoir en elle.

Pour moi elle aura été une rencontre comme seule l’échange authentique peut en produire. Abonnée par le plus grand des hasards à la première version de ce blog (L’AUTRE QUOTIDIEN) elle avait entamé avec moi via internet un dialogue direct quotidien. D’accord, pas d’accord mais jamais indifférente elle avait fini par devenir d’abord une lectrice assidu puis une critique positive et enfin une partenaire exigeante. Lentement ce débat virtuel nous a rapprochés malgré la distance entre Nice et Créon. L’AUTRE QUOTIDIEN est devenu son occupation favorite et elle le diffusa dans son réseau niçois de toutes les associations dans lesquelles elles étaient impliquées. Toutes tournaient autour de la liberté, de la fraternité et de l’égalité. Elle y donnait du temps et de l’argent. Elle ne supportait plus que les lendemains de la politique ne puissent jamais chanter dans des Alpes Maritimes basculant du bleu azur au brun sombre. Elle désespérait. Jamais simplement membre de quelque chose, quelque part, mais toujours militante, Annie avait en effet tout fait, tout tenté, tout donné pour que le socialisme qu’elle portait en elle, en femme déterminé et indépendante des idées de son époux, puisse un jour triompher.

Elle puisait dans chaque chronique qu’elle attendait patiemment des raisons de croire qu’ailleurs il était possible de transformer des principes dans lesquels elle croyait en réalisations concrètes. Cette ancienne haut fonctionnaire des services fiscaux ne supportait pas l’injustice et la malhonnêteté qu’elle avait traqué des années après sa sortie de l’école nationale des impôts de Clermont-Ferrand et un passage à Sciences Po Paris ! Jour après jour elle espérait voir émerger chez elle une pensée différente ce celle qui s’étendait comme une tâche d’huile partout autour d’elle.

Annie enrageait devant cette impuissance collective socialiste à convaincre à l’extérieur alors que les rivalités internes se multipliait. Il est vrai qu’avec Léa et Louise elle formait un trio de « mamies flingueuses », ne renonçant jamais à dire ce qu’elles pensaient être le bon sens, la vérité ou une nécessité de conscience. Annie avait besoin de changer d’air… de respirer autre chose, ailleurs autrement pour se remplir l’esprit d’optimisme. Elle souhaitait devenir une immigré de l’intérieur !

La moindre absence de L’AUTRE QUOTIDIEN l’affolait car elle risquait de perdre le fil avec Créon. C’était tellement perceptible qu’un jour, à mon invitation, elle effectua le voyage vers l’Entre Deux Mers pour que nous puissions partager directement notre passion pour les idées… Installée chez nous, elle entra dans la vie d’une cité vivante, conviviale, apaisée et surtout plus proche dans tous les domaines de ses convictions. Ce fut un moment particulier que celui consistant à mettre un visage sur une personne avec laquelle vous avez noué, dans la tourmente quotidienne de l’emploi du temps, des liens éphémères. Une seconde fois, une troisième elle fit le voyage et Annie demanda qu’on lui trouve un logement définitif. Les mots et les pratiques avaient fini par la persuader que le plaisir de vivre pouvait se trouver dans une ville bastide de ce Sud-Ouest moins prestigieux mais probablement plus humaniste que la Côte d’Azur. Elle s’installa. Elle s’intégra. Elle partagea. Elle devint actrice du quotidien de sa cité adoptive. Elle milita. Elle baigna dans une ambiance plus chaleureuse que celle de Nice dont elle mesurait les dérives sociales.

Chaque nuit elle corrigeait les chroniques qu’elle guettait, à 100 mètres de chez moi, avec curiosité et gourmandise. Annie traquait mes fautes d’étourderie orthographique et se plaisait à pourfendre par des commentaires les remarques acerbes des uns ou des autres sur les chroniques. Elle tempêtait contre les inepties politiciennes. Elle élevait la voix face à l’intolérance et la médiocrité partisane. Elle tenait à assister à toutes les réunions citoyennes et elle aimait accompagner les séances du conseil municipal. Elle partageait les organisations du Comité des Fêtes, les rencontres de Télé Canal Créon, les soirées dans l’espace culturel. Elle se ravitaillait ou se faisait ravitailler par les commerçants du cœur de la bastide. Son cœur fragile, qu’elle avait d’ailleurs sur la main, a fini par se dérober à ses obligations. Il l’a abandonné comme elle avait abandonné Nice !

Annie avait adopté Créon comme elle l’aurait fait d’une famille. Elle avait fini par s’en trouver une pour partager l’affection et la tendresse amicale dont elle avait tant eu besoin. Annie a fini par être rattrapée par la solitude due à son immobilité forcée et par l’inutilité d’une vie végétative. Elle a enduré la pire des souffrances, celle qui naît de l’inaction et de l’absence de passion. Elle a tourné les talons ce matin pour rejoindre les forces de l’esprit. Qui désormais va corriger mes fautes de socialisme ? Qui va relire mes élucubrations ? Le vide est déjà là… Elle a une excuse : elle est allée rejoindre Mandela !

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Cet article a 8 commentaires

  1. Eric Batistin

    Monsieur, acceptez mes condoléances.

    Veuillez s’il vous plait ne pas confondre, dans un doute bien normal lié à votre peine, ce que vous nommez « élucubrations » et que nous appelons nous votre combat journalier..
    Vous voici donc, Monsieur, en hommage à madame Pietri, doublement en charge de porter sur vos épaules le lourd fardeau de nos espoirs.
    En espérant que vos textes offrent encore, en plus d’une ouverture d’esprit, une voie possible vers des solutions cohérentes., simples et réalisables.
    Car, comme vous nous le faites souvent savoir, ce dont d’ailleurs Madame Pietri s’offusquait souvent en commentaires sur vos textes, les institutions sont bien souvent plus aptes à emberlificoter qu’à démêler.

    Avec tout le respect que je vous dois, vous êtes, Monsieur, pour les jeunes générations, un « ancien », celui dont on écoute la parole sous le chêne, et vos mots peuvent être, selon votre humeur, aussi dangereux que la peste ou aussi puissants qu’un vent frais sur le désert !

  2. Bourget

    Merci pour elle Jean Marie.Qu’elle repose enfin en paix.

  3. Florence

    Elle n’a pas voulu ‘survivre’ mais quoiqu’il en soit, elle vivra longtemps dans nos pensées.

  4. Jean.

    Tu as tout dis et bien dis Jean Marie. Merci Annie. )-:

  5. Christian Coulais

    Et avec qui vais-je pouvoir blaguer politique ? Plus de raillerie affective autour de « mon copain Mélenchon » comme elle aimait l’appeler ! Merci Annie pour tout ce que nous avons partagé. Merci Jean-Marie pour ce bel hommage.

  6. Franck FRESNEL

    Je connaissais Annie, du temps où je militais pour le PS à NICE, il y a une dizaine d’années. Je faisais partie avec elle de ceux qui tenaient la permanence niçoise lors des élections régionales de 2004 et je garde un excellent souvenir de ces moments passés avec elle. Toutes mes condoléances

  7. Andrée

    Oh Annie.. tu vas me manquer…

  8. Michel

    Merci Jean-Marie pour cet hommage à Annie dont nous avions appris à connaître l’idéal et l’exigence de justice.

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