Le long des routes, à tous les carrefours ou presque, près des églises ou sur les places publiques, les tables de camping étaient de sortie en ce premier jour du mois de mai. Nombreuses et nombreux étaient celles et ceux, de tous les âges, qui espéraient faire fortune en vendant des brins de muguet, souvent totalement étrangers à leur jardin. La tradition des porte-bonheurs à prix prohibitifs suscite, chaque année, de plus en plus de vocations, comme si, dans le doute, les gens espéraient que le bonheur vienne encore une fois d’un profit imprévu. Peu importe que ce jour là, d’autres marchent dans les rues pour résister, et défendre les intérêts du plus grand nombre, puisque pour eux le salut passe par la vente à la sauvette d’une fleur réputée, dont ils ignorent le sang royal. Rien à voir en effet entre les symboles de le « Fête des travailleurs » et celui de l’offrande faite à ses proches pour que la crise ne les touche pas trop !
Cette marchandisation qui colle aux basques d’un moment extrêmement précieux pour le mouvement social, devient désastreuse, puisque le jour où tous les citoyens devraient se rebeller, ils plongent comme acheteurs ou vendeurs dans le monde de la consommation. Les politiques et des syndicalistes suivent la « tradition » sans même en connaître les origines. En ce qui me concerne, je hais le muguet qui ne joue un rôle que parce que les marchands du temple se sont arrangés pour lui donner un statut similaire à celui des chrysanthèmes pour la Toussaint
D’ailleurs, ces deux fleurs ont eu de la chance qu’Eric Besson n’ait pas joué un rôle éminent dans la vie politique du Moyen-Age, car elles auraient été renvoyées dans leurs pays d’origine. Le muguet est en effet originaire d’Asie, du Japon plus précisément. Il est connu et acclimaté en France depuis le Moyen-Âge. Le muguet a longtemps été le symbole du renouveau et du printemps, il était donc logique qu’il devienne symbole des bonnes récoltes possibles. C’est, selon les historiens, le… 1er mai 1561, que Charles IX instaura la tradition d’offrir du muguet en guise de porte-bonheur et surtout pour ouvrir, avec des brins aux charmantes clochettes blanches, le fameux mois de… Marie consacré par l’Église à la Vierge. La date actuelle, réservée aux salariés, fut adoptée en 1889, au congrès de la fondation de la IIe Internationale à Paris. Cette date fut choisie en mémoire des morts de la manifestation du 1er mai 1886 à Chicago qui demandaient l’instauration de la journée de… 8 heures. Il n’y a jamais eu la moindre référence au muguet dans ce choix, puisqu’à Paris, lors d’une manifestation en 1890, les manifestants défilèrent en portant à la boutonnière un triangle rouge symbolisant leurs revendications, à savoir la division idéale de la journée en 3 huit : travail – sommeil – loisirs. Ce triangle fut remplacé par la fleur d’églantine, puis par le muguet cravaté de rouge. Ce n’est qu’en 1936 que l’on retrouve les premières ventes de muguet à l’occasion des défilés . La chanson « il est revenu le temps du muguet … » est, elle, associée à cette époque, mais elle disparaît des répertoires. . En voici des extraits.
Il est revenu le temps du muguet
Comme un vieil ami retrouvé
Il est revenu flâner le long des quais
Jusqu’au banc où je t’attendais. (…)
Le temps du muguet ne dure jamais
Plus longtemps que le mois de mai
Quand tous ses bouquets déjà se sont fanés (…)
Il s’en est allé le temps du muguet
Comme un vieil ami fatigué
Pour toute une année pour se faire oublier (…)
Dans le fond, tout au long de l’année 2010, on constatera que ce que Francis Lemarque a dédié à l’amour sera particulièrement vrai pour les françaises et les Français. Ils se sont offerts, à prix d’or, un brin éphémère d’espoir, dans un contexte qui ne leur en réserve aucun. En 1936, les ouvriers et les fonctionnaires avaient su transformer leur force collective en un bouquet social éclatant : la victoire, deux jours plus tard, du front populaire ! Léon Blum préfère nettement le coquelicot au muguet, et le rouge domine dans les défilés massifs, où la passion rime avec l’action. C’est, faut-il le rappeler, pendant l’occupation allemande, le 24 avril 1941, que le 1er mai est officiellement désigné comme la Fête du Travail et de la Concorde sociale et devient chômé. Cette mesure est destinée à rallier les ouvriers au régime de Vichy. Son initiative revient à René Belin. Il s’agit d’une sorte d’Eric Besson de l’époque, au parcours similaire à celui d’Adrien Marquet, puisque Belin avait été ancien dirigeant de l’aile socialiste de la CGT (Confédération Générale du Travail) devenu secrétaire d’État au Travail dans le gouvernement du maréchal Pétain. A cette occasion, la radio officielle d’alors (TF1 n’existe pas, doit-on le rappeler, et le quotidien du bouclier fiscal, Le Figaro, va suspendre sa parution) ne manque pas de préciser que le 1er mai coïncide avec la fête du saint patron du Maréchal, Saint Philippe (aujourd’hui, ce dernier est fêté le 3 mai) que les nostalgiques continuent à honorer par une belle messe traditionaliste !
En avril 1947, la mesure est reprise par le gouvernement issu de la Libération, qui fait du 1er mai un jour férié et payé… mais pas pour autant une fête légale. Autrement dit, le 1er mai n’est toujours pas désigné officiellement comme Fête du Travail. Cette appellation n’est que coutumière… comme l’est devenue la vente du muguet !
Je n’aime pas le muguet, comme Germaine n’aime pas les bonbons de Brel, même « si les fleurs sont plus présentables, elles sont aussi plus périssables ». Je me moque de ces clochettes qui sonnent le désespoir de ces gens qui battent ce qu’il reste de pavés dans les villes, pour attirer l’attention sur les milliers de licenciements qui se profilent. Je déteste cette perversion d’une journée « fériée » arrachée dans le sang et les larmes par des ouvriers dont les jardins contenaient les vrais brins de la vie. Je ne veux pas voir les espoirs mis dans ces fleurs, dopées au nitrate, se faner en quelques heures dans le vase précieux où la maitresse de maison les a placés. Pour moi, le temps des cerises, des gais rossignols et des merles moqueurs ne s’accommode pas avec les clochettes odorantes… poussées sous des serres pour donner des rêves à celles et ceux qui commencent par ouvrir leur porte-monnaie. C’est pourtant très tendance…
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Un grand MERCI
Monsieur, en accord avec vous, j’ai entendu hier sonner les clochettes de la vulgarité.
Etant invité pour le repas de midi, j’ai pourtant choisi de donner trois euros (!) pour un brin… Une mère et sa fille armées d’un sourire gêné pour l’une, carnassier pour l’autre… Le ridicule de la situation devant chaque commerce ouvert ce jour là, où trônaient pas moins de cinq ou six stands en concurrence, m’a franchement mis mal à l’aise. Étaient-ce des personnes dans le besoin immédiat ou quelques repus avides ? Difficile à dire, sauf bien sûr pour ce qui est des jeunes en quête d’argent de poche…
Il ne me reste, comme vous, que le goût amer du sens perdu…
Mais, étant artiste et ne me laissant pas abattre facilement, je propose aux joyeux syndicalistes ceci: achetons du muget par camion et distribuons le gratuitement, avec force sourires et embrassades !
Ou mieux, le brin de muguet devrai être une obligation d’achat par l’entreprise pour l’offrir à chaque employé(e). Et pardon aux quelques patrons attentionnés qui ont déjà eu cette charmante idée…
Quel magnifique article ! Quel lyrisme ! Merci, pour « l’historique » du 1 er mai… et pour votre texte si profondément touchant et authentique.