Lorsque fin août 2005 mon fils à qui je confiais mon envie de créer un support d’expression personnelle, me proposa de m’intéresser à la pratique du « blog » j’avoue avoir eu un moment de méfiance. Que pouvait être ce support et surtout quel serait son intérêt ? Pour moi les mots que j’aimais se traçaient sur une feuille de papier quadrillé d’un bloc depuis toujours. Certes il y avait eu une vieille Remington acquise chez un brocanteur (une référence pour moi à Citizen Kane) qui m’avait permis depuis plus de vingt ans de taper puis de mettre en page par collage le « Créon Hebdo » seul hebdomadaire municipal d’information service mais j’en étais resté à l’écrit transmis oralement durant un quart de siècle aux sténos de Sud-Ouest.
Un blog ? J’éprouvais le besoin après une très longue période d’expression codée au service des autres et des idées que je défendais, de m’exprimer librement. Pas question de dissimuler ce que je vivais, ce que je ressentais, ce que je souhaitais commenter. Il m’expliqua que je n’aurai aucune autre contrainte que celles de la technique. J’avais écrit plusieurs milliers d’articles (je les ai tous gardés et classés par année depuis 1976) comme pigiste ou comme professionnel. S’y ajoutaient le bon millier de pages de Créon Hebdo mais le maniement des mots me manquaient.
La première chronique
L’aventure débuta le 3 septembre 2005 avec un site intitulé L’AUTRE QUOTIDIEN qui dura quatre ans.
Le voici :
« Me voici prêt à « débloguer »… Il parait que ça fait du bien de se lâcher de temps à autre, sans avoir à rendre des comptes à personne. Je suis parfois « blogué », complètement « blogué », c’est à dire obsédé par le souci de communiquer avec les autres, de leur offrir l’opportunité de dialoguer sur la foultitude de sujets que la vie trépidante et le diktat médiatique ne permettent plus d’évoquer. Dans une société de sur-information, il est impossible d’exister autrement que dans le moule imposé. On ne peut être soi-même qu’en de trop rares occasions, quand on détient un mandat électif.
J’espère que cette ouverture sur l’infini de la toile me permettra donc de me réconcilier avec une certaine idée de la vie, de trouver, quelque part, des citoyens ouverts sur un échange constructif. Internet étant devenu le royaume de l’anonymat formalisé, la plupart des messages colportés ne relèvent que de l’égoïsme le plus absolu. Non seulement chacun espère une réponse à la bouteille lancée à la mer que constitue son mail, mais il exige qu’elle soit ultra rapide.
Donner du temps au temps relève de la nostalgie…Plus que jamais, le temps s’échange contre de l’argent, et toute réaction tardive est soupçonnée d’indifférence. En débloguant, on a confiance dans les autres…puisque l’on oublie les réserves obligatoires de la bienséance pour aller vers la sincérité risquée.
Le maire, plus que les autres élus, subit cette pression du quotidien, celle qui le culpabilise sans cesse de ne pas pouvoir apporter une solution à tous les problèmes, à toutes les situations que ses collègues ne voient pas, car engoncés dans un système social saucissonné. Il est soumis à l’obligation de réussite pour les autres. Impliqué dans un projet, il est illico soupçonné de récupération. En retrait sur un sujet, il est assuré d’un procès pour mépris caractérisé. Il n’en fait jamais assez et toujours trop.
Cette situation inconfortable pèse de plus en plus sur l’avenir de la démocratie locale des villages et des villes comme Créon. Les défaillances annoncées pour 2007 (ou 2008) se multiplient, et demain, les communes n’auront plus que des Maires par défaut ou par opposition. Ceux qui s’évertuent à concilier, à construire, à innover, se retireront dans leur chaumière pour laisser la place à des aigris du suffrage universel. Les enjeux nationaux n’en souffriront pas. Et dans le fond, c’est la seule chose qui passionne occasionnellement les citoyens.
Il y aura toujours des candidats à la tour d’ivoire des Hôtels de ville renommés, puisque le mode électoral ne les expose plus à la désillusion personnelle. Leurs échecs sont imputables à une appartenance politique, et surtout pas à leur personnalité. Ils survivent à tout, mettant leurs défaites sur le compte de l’injustice de la vie Le petit bout de la lorgnette permet de transformer les éléphants en puces, et plus encore de donner la dimension des microbes aux acteurs de proximité. A tout moment, ils peuvent mourir d’un revers de main déloyal.
Je ressens, après plus de dix ans de responsabilité locale, la triste réalité de la notion d’équipage. Elle ne repose pas nécessairement sur la confiance que l’on met dans le capitaine du navire et dans ses sauf le choix, obligatoirement liés à des événements extérieurs qu’il ne maîtrise pas toujours. Le temps des découvreurs, imposant leurs espoirs d’horizons nouveaux, est passé de mode.
Désormais, on entre dans la période des « je ne veux ta place pour rien au monde, je n’ai aucune ambition… ». Il y a pourtant des révoltés du Bounty qui se préparent, au nom de l’absence de dialogue…Comme si cette notion indéfinissable supposait de n’être jamais soi-même!
Mais je déblogue… Il est vrai qu’à mon âge… » Que dois-je changer ?
J’allais donc déboguer à plein tube durant dix-neuf ans en changeant seulement le titre (Roue Libre) et la présentation et les principes .
Rester libre
Tous les jours (sauf le dimanche) et avec parfois des reprises quand les liaisons étaient impossibles j’ai tenu le rythme quotidien du « texte ». Un principe annexe : laisser les commentaires libres sauf s’ils se révélaient manifestement injurieux (de mémoire je n’en ai pas trouvé) ou attaquant une personne (rares). Je n’interviens que très très rarement sur les prises de position des abonnés car elles sont toutes respectables. Lentement une communauté s’est créée et j’ai trouvé des partenaires de talent. Une lectrice à laquelle je pense fort en ce jour Annie Piétri lectrice niçoise assidue est même venue habiter Créon pour vivre la réalité de ce dont je parlais. D’autres sont restés fidèles. Beaucoup sont passés.
L’Autre Quotidien a agacé. Le directeur de la rédaction de Sud-Ouest m’a appelé pour me tancer sur un texte décrivant les luttes internes (qui n’existent pas évidemment!) au sein du journal. Matthieu Croissandeau alors au Nouvel Obs que j’avais surpris en grande discussion avec Julien Dray à la Brasserie parisienne « Le Bourbon » a exigé que je retire son nom d’une chronique au nom de « la confidentialité » de ses sources. Un socialiste depuis passé à autre chose m’a dénoncé à la Fédération girondine du PS dans une lettre dégueulasse… Bref le crime de haute-trahison a toujours plané au-dessus de ma tête. Simplement les illustrations du fameux principe de Voltaire : « gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge ! » Rien n’a vraiment changé. La liberté donne une force que l’on n’a pas toujours quand elle ne porte pas les écrits.
L’avenir
Je ne sais pas ce que deviendront les plus de 6 000 chroniques écrites. Elles n’ont pas toutes été transcendantes ou utiles mais c’est impossible que ce soit le contraire. L’avantage du papier c’est que l’on reprend quand on veut. Tous les articles que j’ai écrits sont consultables à tout moment. Sur le blog c’est impossible et donc le temps aura raison de l’ouvrage. D’ailleurs je peine toujours à retrouver des textes que j’ai en mémoire. J’aimerai en préserver quelques-uns intemporels sur quelques thèmes mais le travail est colossal. Écrire n’a jamais été pour moi un labeur mais un besoin et une détente. Le choix est vite fait.
Alors il ne me reste que le rêve : se retrouver et partager un repas avec toutes les lectrices et les lecteurs qui le voudrait. Un espoir qu’il faudrait vite concrétiser car le temps file et il n’y a pas que les neurones qui faiblissent. Je suis donc preneur de toutes les idées… pour cet été par exemple (1). Le numérique n’aura jamais pour moi la valeur de la rencontre et de l’échange.
Je n’ai pas vu le temps passer. C’est le plus grave. J’ai conscience qu’il n’en reste plus beaucoup. Aurais-je encore longtemps la force de pédaler pour pouvoir me laisser aller en Roue Libre ? Peut-être que les chroniques d’après le 8 juillet 2024 auront une importance plus grande. Et ce quel qu’en soit le résultat. Il y aura une loupiote dans l’obscurantisme qui menace.
Écrire pour moi c’est comme respirer… Alors autant que je persiste. Et là je ne déblogue pas !
(1) Le 27 juillet par exemple
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
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« Une lectrice à laquelle je pense fort en ce jour Annie Piétri lectrice niçoise assidue »
Quand j’ai lu ton invitation à célébrer la 5000éme « Roue Libre », c’est à elle et à ses commentaires que j’appréciais beaucoup, que j’ai immédiatement pensé.
Tes 5000 chroniques ont une valeur historique incontestable, ne serait-ce que pour tes prévisions de l’avenir qui se sont souvent avérées justes (et encore plus ce jours-ci).
Je te conseillerais de te mettre en relation avec les Archives Départementales pour voir avec eux comment faire un dépôt, ces presque 20 ans de quotidien intéresseront un jour les historiens.
Et bon anniversaire à Roue Libre
PC@ Excellente idée. Comme on dit « chez nous » : « O s’rait dommaghe qu’o s’parde ! »
Bonjour,
voila un long bout de chemin parcouru en « roue libre », un blog découvert par feu mon frère qui me l’avait recommandé en me disant » ce type est étonnant, une parution par jour! il me pète … » ( ce qui dans cette expression personnelle était un large compliment). Pas un jour sans consulter le billet du jour, suivi d’une réflexion superficielle ou plus profonde sur le que sais-je sur ce sujet ? Faut-il répondre et avec quels arguments, connaissances, compréhension ou opposition? Un autre angle d’approche étant possible est-il pertinent de l’évoquer? Parfois je m’abstiens, hélas pas assez souvent, d’intervenir car tout a été dit ou alors parce que je suis trop inculte sur le sujet ou bien que le temps m’a manqué …
Merci à vous de me permettre cette petite gymnastique matinale pour mes neurones vieillissants; merci de camper sur les Valeurs républicaines chères à mon cœur; merci pour vos contemplations poétiques qui écartent temporairement les nuages noirs pour faire apparaître un petit coin de ciel bleu.
Quelques vers de mirliton volés à Georges vous voudrez bien me pardonner s’il vous plait.
Des éditos j’en ai lu beaucoup
le seul qui est tenu le coup
Qui n’ait jamais viré de bord
Mais viré de bord
s’écrivait tout les matins
et faisait tellement de bien
il mettait les copains d’accords
tous les jours d’accords.
Au rendez-vous des bons copains
Y avait pas souvent de lapins
Quand l’un d’entre eux manquait à bord
C’est qu’il était mort
Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l’eau n’se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il manquait encore
Désolé mais l’éloignement m’interdit de trinquer avec vous, mon verre de rosé aura ce soir la saveur de la 5000 éme de Roue libre. Ne lâchez pas le guidon ami ( je me permets) JM nous restons dans votre roue… libres évidemment !!
Bonne journée
Cher Jean-Marie,
je t’ai écrit hier sur ta boite mail personnelle. Tout un chacun reconnaitra ton talent sur le 5.000 mètres littéraire. On t’attend maintenant sur le marathon alors que les J.O. approchent: 42,195 km…
Bien à toi.
En tout cas , sacré boulot , et le travail , ça se respecte .
n’ ayant pas de vrai légitimité a commenter , je l’ ai pourtant fait de nombreuses fois , c’ est le principe de proximité .
En effet , tel le locavore qui consomme à proximité , je suis lectovore , je lis ce qui est écrit à proximité , n’ habitant pas très loin de Créon.
Le format, et l’ intérêt des articles et commentaires me font y revenir depuis quelques années déjà .
Cordialement .
Bonjour J-M !
« (1) Le 27 juillet par exemple »
Ton expèrience d’aîné (! !) ne me démentira pas: il n’y a rien de plus chargé qu’un agenda de …retraité ! ! ! Aussi, craignant les obligations impromptues, je surligne d’un immense « COMPLET » ! ! !
Merci et encore BRAVO pour ta performance ! ! !
Amicalement … La Classe ! !☺☺☺