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1944 : le quotidien d’un enfant charentais (1)

Lecteur fidèle de Roue Libre depuis de nombreuses années, Jean-Jacques Bonnin m’autorise à publier en cette période de commémoration des événements de 1944, son témoignage. J’aime ses écrits qui apportent une vision de l’Histoire au quotidien bien différente de celles des grands discours. L’Histoire vécue…

 » Ils sont là ; depuis quatre ans, j’étais encore tout petit, mais je les ai vus descendre à toute allure la rue de Montmoreau, direction Bordeaux, destination la frontière espagnole, pour finir de couper la France en deux. Qui sont ces « ils » ? Je l’ai su plus tard : un détachement de blindés de la division Das REich  » de sinistre mémoire.

Il y a maintenant deux pays : la France occupée par la Wehrmacht, sous administration allemande et une France, supposée libre sous le régime autoritaire qui « collabore » avec l’ennemi, protégée par une armée s’exhibant en de pompeuses cérémonies mais sans réelles capacités. La Ligne de Démarcation part du nord de la France et descend jusqu’aux Pyrénées. Elle partage la Charente en deux parties, et, par un curieux hasard, en suivant approximativement la limite entre les secteurs de langue d’Oc et d’Oï.

La ligne de démarcation en Charente

Ces « ils », on les nomme aussi les « schleus », « les haricots verts », « les verts de gris », « les Fritz », les « frisous », les « frisés », les « fridolins », les « doryphores » qui dévorent et épuisent nos ressources alimentaires et réduisent notre liberté. Mais on emploie surtout le terme « boche ». Quant on entend quelqu’un utiliser ces termes, il y a peu de chances que l’on ait affaire à un « collabo ».  C’est la résistance passive, pratiquée par de nombreux citoyens qui le soir, la nuit, écoutent radio Londres ou radio Moscou. Et ce n’est pas toujours sans danger, gare au voisin malveillant qui a entendu et qui n’hésitera pas à vous dénoncer. La délation est monnaie courante et les malheureux juifs en particulier en seront souvent les victimes. Tout le monde se méfie de tout le monde, une atmosphère lourde, empoisonnée. Et il y a ceux aussi qui agissent en secret en organisant la résistance. Mais ceux là, on ne les connaîtra qu’après la Libération ou, lorsque découverts ou trahis, on apprend leur arrestation par la Milice ou la Gestapo.

On vit résignés, dans l’espoir qu’un jour « ça va cesser » qu’ « ils »partiront, seront chassés, mais les espoirs sont minces. Pourtant depuis la victoire de l’Armée Rouge à Stalingrad, en début 1943, un peu d’espérance est revenue. Bien sûr, les forces US et britanniques en débarqué fin 1942 à Alger, mais depuis il ne se passe rien, sinon l’invasion de la zone libre par les troupes allemandes qui craignent un débarquement sur les côtes de la méditerranée. « Wait and see ? »

Les bombardements

En ce début 1944, les nuits étaient rarement calmes. De plus en plus souvent on était réveillé par le bruit des moteurs d’avions. Nous entendions parler des bombardements à la radio, dans les conversations. Parfois la nuit ou le jour, l’alerte sonnait, mais à part les équipes de la Défense Passive, peu de monde bougeait. Nous entendions et finissions par reconnaître à peu près les types d’avions qui nous survolaient : par exemple le grondement sourd des bombardiers à haute altitude (Lancaster, Dakota etc.) ou bien le vrombissement aigu des avions de reconnaissance ou des chasseurs (Lightning, Spitfire) que nous déclarions être des  » Mosquitos « , eux aussi très haut dans le ciel. Des avions allemands sillonnaient sans doute le ciel pendant la nuit, mais pour nous le bruit d’un avion était toujours celui d’un allié. Peut-être parfois étaient-ce les petits  Lysander »  venus amener des personnes venues organiser les réseaux de Résistance ou au contraire, exfiltrer des résistants en fuite, car « grillés » et craignant une arrestation qui équivalait à la torture et à la peine de mort. Mais ces vols restèrent évidemment secrets et nous ne pouvions déterminer quels étaient ces autres moustiques.

La population pensait dans sa majorité que notre ville ne présentait pas une grande importance stratégique et que ces avions venus de si loin n’allaient pas s’intéresser à de si chétifs objectifs.

Une nuit cependant tout a changé (19 mars 44). L’alerte venait de sonner, ça n’était pas la première fois, on entendait approcher les avions. Mais soudain de grandes lueurs sont apparues dans les ténèbres. À cause du couvre-feu aucune autre lumière n’était visible : des fusées-parachutes venaient d’être larguées. Dans la nuit, les voisins apeurés s’interpellaient et tentaient de se redonner du courage, de vieilles dames se lamentaient en demandant grâce au ciel, car cette fois nous savions que  » c’était pour nous « . Tout près, nous semblait-il, les avions descendaient en piqué. Bientôt de sourdes explosions ébranlèrent le sol et les maisons. Je tremblais de peur.

Mais après avoir largué leurs bombes incendiaires les avions avaient repris de la hauteur, déjà l’escadrille s’éloignait, le calme revenait. La poudrerie venait d’être bombardée. J’étais sain et sauf, rassuré, je me croyais naïvement dorénavant invincible, à l’abri de tout danger.

Ce bombardement fit une seule victime : un employé imprudent revenu dans les locaux menacés pour y prendre ou y vérifier quelque chose. Seul l’objectif stratégique avait été atteint, sans autres grands dommages. Les spectateurs se plurent à reconnaître en même temps que la beauté du spectacle, l’efficacité et la discrétion des aviateurs britanniques. Les américains ne jouissaient pas du même prestige, il faut avouer objectivement que leurs interventions étaient le plus souvent catastrophiques pour la population civile !

Depuis cette nuit là, chaque alerte qui sonnait précipitait les gens dans les illusoires abris souterrains des caves d’immeubles ou des tranchées à ciel ouvert. Les immeubles possédant un abri souterrain étaient recensés, aménagés et signalés par une plaque apposée sur la façade et indiquant leur capacité d’accueil. Plus prudemment, si on en avait le loisir, on courait se réfugier vers la campagne proche. Comme nous habitions à proximité d’une ligne de chemin de fer, et d’un tunnel, points stratégiques et objectifs possibles, nous partions nous mettre à l’abri dans les jardins, les prés ou les bois voisins (à suivre demain)

Jean-Jacques Bonnin

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