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La passion libératrice du flamenco

Il paraît que personne ne connaît réellement l’origine de l’appellation « flamenco » appliquée à cette danse populaire devenue l’apanage des adeptes éclairés de la culture espagnole. Jean-Louis Duzert, ancien photographe du journal Sud-Ouest et compagnon de route de mon modeste parcours dans le journalisme, a pourtant réussi à travers une exposition (1) de ses instantanés saisis dans tous les lieux où l’on pratique le chant (cante), la danse (baile) et l’accompagnement musical (toque) à la vulgariser. Des moments de vérité et de grâce que  son objectif a figé dans des clichés « sol y sombra » donnant un certain mystère à cette rencontre entre deux mondes, celui de la lumière de la passion et la noirceur de la souffrance.

Les photographies de Jean-Louis Duzert entrent dans l’intimité des danseuses quel que soit leur rang dans la hiérarchie flamenca. Les mains noueuses ou figées dans des arabesques graciles, les bouches cherchant l’espoir ou traduisant la recherche de l’air libre, se projettent vers le regard de celui qui cherche à comprendre une expression artistique reflétant l’âme de celle qui la pratique. Impossible grâce à ces éléments d’un langage du corps, de ne pas comprendre le sens profond de cette  expression via un chant andalou transcrit par les gitans. Il y a peu de documents exposés par Jean-Louis qui reflète la joie de vivre. Et pourtant elle existe.  Le choix du noir et blanc renforce ce sentiment que la vie ne se construit que dans l’obscurité et le secret. Il lui donne le droit à être compris et apprécié. 

Des dizaines de moments figés par un maître du temps de la prise de vue qui avoue ne pas avoir eu le coup de foudre pour cette osmose entre un sol fermement frappé avec des talons ou caressé par des pieds nus, et un ciel tutoyé par des bras souples et tendres, éclaboussent sur les murs gris du hall du liburnia. Il lui aura fallu un cliché devenu iconique de mains ornés de bagues et de colifichets de Camaron de la isla, pour qu’il comprenne que le flamenco ne pouvait être qu’une sorte d’incantation païenne pour arracher un avenir différent. Il est allé alors le traquer dans les caves, les bars, les rues, sur des scènes banales ou il l’a capturé dans les festivals les plus prestigieux avec le même plaisir, le même enthousiasme. 

De chaque photo exposée dégouline la passion, la rage, la grâce ou la séduction. Elles envahissent les corps, les sculptent chacune à leur manière. Elles fusent ou filtrent comme des éclairs ou des caresses des regards. Elles transforment les gestes les plus ordinaires en œuvre d’art différentes. Jeunes, moins jeunes, dévergondées, soignées, sveltes, enveloppées, tourmentées ou apaisées les femmes transmettent à la fois la révolte des peuples méprisés auxquels elles appartiennent, et leur volonté d’exister fièrement par la danse. Il s’agit d’une provocation sociale, un défi, une provocation vis à vis des tenants de l’ordre moral et religieux, un grave péril, une incitation à la débauche qu’il fallait interdire.

Figées par un objectif précis et attentif, certaines danseuses se transforment en sculptures ciselées ou s’évanouissent dans des feux d’artifices de parures finement agencées. D’autres dégagent une force morale ou une audace physique inspirant le respect. Jean-Louis Duzert met en évidence cette force obscure propre aux créatrices d’une chorégraphie expressive. Les doigts plus ou moins fins des guitaristes contrastent avec cette puissance de celles qu’elles accompagnent. L’homme vit la révolte flamenca en auxiliaire d’une expression corporelle essentielle. Il met en évidence les convulsions, les élans, les emportements de femmes sans jamais en être l’inspirateur.

Sur les murs du Liburnia s’affichent une liberté que durant des années les totalitaires religieux ou politiques ont considéré comme subversive ou œuvre d’une classe « pouilleuse ». Chaque instant saisit par Jean-Louis constitue en quelque sorte un témoignage d’autonomie culturelle, une revendication de la créativité pour celui qui est derrière l’objectif mais surtout des actrices et acteurs de celles qui la magnifie. Jean-Louis Duzert ne photographie pas le flamenco, il entre dans le cœur et le corps de celles qui le pratiquent. Il vit au cœur de ces instants de partage d’une passion qui se transmet désormais comme le signe d’une appartenance sociale. 

Cette exposition vous séduira car elle vous permettra de vous imprégner d’un art vivant et en perpétuelle évolution. Vous comprendrez ce qu’en pense Israël Galvan, chorégraphe espagnol : « Le flamenco ne résout pas la guerre et n’empêchera pas la fin du monde, mais il peut aider à garder la tête haute » La tête haute, le regard direct, un corps de liane enroulée autour de l’arbre de la passion, les danseuses « éternisées » par Jean-Louis Duzert réveilleront en vous le goût du soleil et de l’évasion ! Ne manquez pas l’occasion. C’est trop rare. 

(1) Exposition Balada flamenca du 11 mars au 31 mai au Liburnia à libourne . Entrée gratuite

 

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Cet article a 2 commentaires

  1. christian grené

    Jean-Marie, les mots me manquent pour te dire l’émotion suscitée par ta rubrique du jour. Tu vois, en contemplant avec toi les photos de Loulou, j’ai irrésistiblement pensé à notre chère Laura qui eût sans doute aimé être à nos côtés en cette soirée où il n »était pas seulement question de flamenco et de photos mais aussi d’Amitié.
    Laure Garralaga est notre Laura Gallego à nous.
    Merci 1 000 fois Jean-Marie.

  2. Pierre Lascourrèges

    Rubrique chargée d’intenses émotions et qui grave dans nos mémoires les heureux moments partagés en cette soirée de vernissage d’exposition, juste avant de passer à table et échanger de bons vieux souvenirs entre anciens collègues du journal à une époque où l’on prenait plaisir à travailler et rigoler ensemble…

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