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Le « crime » des petits matins froids

Il règne un silence suspect sur la ferme. Les arbres ont la goutte paresseuse au bout de leurs branches. Elle hésite entre se figer de froid ou se laisser tomber de lassitude sur le sol gelé. Une écharpe de brouillard tente de dissimuler le reste du paysage comme s’il fallait se méfier des regards indiscrets. L’aube tarde à venir. Elle doit savoir qu’il est inutile qu’elle se lève car le soleil a décidé de rester sous sa couette molletonneuse de nuages. A moins qu’elle n’aime pas que dans sa lumière blafarde, se commette une nouvelle exécution quelque part dans une cour à guillotine. Il est vrai que depuis la veille les préparatifs se sont multipliés. La mort rôde.

Le maître des lieux a dressé contre la grande porte de la grange une longue échelle de bois qui conviendrait parfaitement à une spectaculaire évasion. Un palan lui a été ajouté sans que l’on sache quelle sera son utilité. Juste devant un large baquet de bois à la forme d’un large cercueil posé sur des planches disjointes, augure mal de la suite. D’autant que sont rangés des racloirs affûtés comme les lames de rasoir et de longs couteaux effilés. La fébrilité monte. Un mauvais coup se prépare. 

Les renforts emmitouflés arrivent. Ils se regroupent devant le brasier entretenu à grand renfort de bûches massives non utilisables dans la cheminée. D’une marmite dodue et noire s’évade une vapeur d’eau brûlante. Les troupes en profitent pour se sustenter avec un café brûlant agrémenté d’une lampée de gnôle comme des Poilus se préparant à monter en première ligne. La bataille sera exigeante. 

Le temps presse. Le boulot n’attend pas. Le propriétaire décrète la mobilisation dès que le bourreau est arrivé. Une escouade aux brandillons les plus épais s’esquive. Il contourne les dépendances pour une destination inconnue. Le reste de la bande rassemblée près du feu ne s’en étonne pas. A chacun sa tache. Les réservistes n’interviendront que si le combat s’avère incertain. Des cris déchirent brutalement ce qu’il reste du manteau de la nuit. Des hurlements épouvantables. Un concert digne d’un film d’horreur. Incontestablement le commando frappe dur. Je mets mes mains d’enfant sur mes oreilles. Impossible cependant d’étouffer les sons. Je me faufile vers le lieu d’où ils viennent.

Avant même que les cerbères entre dans la cellule, celui qu’ils sont venus quérir donne du grognement, de la plainte, du gémissement, de l’effroi. Il pressent le sort qui lui est destiné. Son énergie du désespoir se décuple quand il est tiré de force hors des murs où il se pensait protégé. L’occupant de carré d’où il voyait le ciel sur le toit en pratiquant son lard favori, met le poids de son quintal dans la balance. La lutte inégale se poursuit durant plusieurs minutes. Les jurons fusent. Épuisé mais toujours aussi gueulard le pensionnaire privé de patates et d’eau de brouet venu de la cuisine finit sous la contrainte par être extrait de sa demeure.

Chaque patte arrière empoignée par un homme différent comme il le ferait des manches d’une brouette, bloque toute volonté les retours. Un autre lui dé-tire-bouchonne la queue en la ramènant vers l’avant. Deux d’entre eux s’affairent sur ses oreilles. Conduit par une corde rêche la future victime résiste mais succombe sous le nombre puisque tout le monde collabore à ce court déplacement d’un forcené vers ce qui ne sera pas un asile pacifique. Arrivé devant l’échelle, attaché par les pattes de son arrière-train, il ne parvient plus à exprimer sa colère ou son désespoir. Hissé par des bras puissants il finit par renoncer d’autant que finalement il est ligoté sur les barreaux de ce qui devient sa croix.

La matinée du long couteau débute. Renommé au point d’effectuer en quelques heures une tournée des fermes où il est accueilli à casse-croûte ouvert, le tueur jauge sa victime. Une femme s’approche avec une bassine et une grande cuillère de bois. Elle interviendra quand l’égorgeur aura œuvré. Ce dernier a aiguisé une dernière fois sur un fusil pendu à sa ceinture son arme dont il a le privilège. Il ne se servirait à aucun prix d’une autre fine lame. Et pour rien au monde il s’en séparerait.  Sans l’ombre d’une hésitation il  plonge son couteau sur le coté de la gorge de celui qui pousse un dernier cri et qui dans un sursaut laisse échapper son sang dans tous les sens provoquant l’ire de la préposée à la récupération. Les copmlices apprécient le geste à la vitesse avec laquelle la victime succombe. 

Lorsque la dernière goutte a été récoltée, la pauvre victime est dépendue. Comme il est à poils on brûle avec des torches de paille la toison de son corps. De grands seaux puisés dans la marmite bouillante finissent sur son cadavre plutôt crotté déposé dans le cercueil provisoire. Le tueur file vers une autre scène de « crime » avec sa poche garnie d’une paquet de petites coupures pour le dédommager de son déplacement et régler son forfait ! Il n’a aucun remords. Il a méticuleusement rangé son couteau, après l’avoir nettoyé avec un chiffon huilé,  dans un étui en cuir où il en possède plusieurs au cas où…  

Raclettes et mains les petites mains pèlent le cuir du mort. Il apparaît une peau laiteuse, douce et raffermie par le froid. Les spectateurs s’extasient sur le poids annoncé par la pesée officielle qui permettra d’épater la concurrence. Le brouillard s’est légèrement dissipé. Le silence pas encore troublé par les bruits de la basse-cour ou les aboiements de chiens se réinstalle. Les « assassins » jubilent, se transformant en tireurs des litres, histoire de noyer leur chagrin de perdre un être cher qu’ils ont choyé depuis un an. Enfin presque… Le cochon est mort… Sa seconde vie débute. 

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Cet article a 7 commentaires

  1. Gilles Jeanneau

    Que de souvenirs tu ravives là, Jean-Marie…
    Mais je crois qu’aujourd’hui, il n’est plus possible de pratiquer la tue-cochon à la maison.
    C’était pourtant la base d’une saine vie à la campagne accompagnée de son éducation à la collectivité…
    Autre temps

    1. François

      Bonjour @Gilles Jeanneau !
      D’après quelques échos de la campagne profonde, c’est encore possible SAUF si un suivi commercial est assuré genre vente à la ferme ou en circuit court ! !
      Le problème se trouve dans la disparition de l’élevage du goret (contraintes, odeurs, voisinage et j’en passe !) et le « tueur » qui n’a pas assuré l’apprentissage !
      Il y a surtout:
      – une modification dans les critères de l’alimentation humaine ( …peut- être … bénéfique car il y aurait moins de paralysés dans les chaumières, le cochon ayant de « mauvaises graisses » [dixit un véto] )
      – le commerce met à disposition des « foires au porc » qui font chauffer la carte bancaire et non la chaudière du cochon ( pas de particules fines ! (Mme Hidalgo ! !))
      – les bonnes cuisinières de notre enfance n’ont pas transmis les recettes acquises au goût exquis et … personnels ! ! ! !
      Amicalement

      1. J.J.

        François @ « les bonnes cuisinières de notre enfance n’ont pas transmis les recettes acquises au goût exquis et … personnels ! ! ! ! »
        Mais il reste encore quelques cuisiniers pas trop maladroits qui conservent encore dans leur tête et dans leurs carnets quelques bonnes recettes.
        Malheureusement c’est la matière première qui manque et aussi l’appétit pour venir à bout des cochonnailles élaborées et pleines de « matières grasses saturées »…

  2. J.J.

    Pour se défendre comme ça, ce devait être un sacré goret ! Je n’ai jamais eu, heureusement, dans mon improbable carrière de « saigneur du village » à faire avec un animal aussi regimbant. Cette activité est hélas maintenant interdite, ou si elle se produit, c’est dans la plus stricte clandestinité, et il n’est pas facile d’empêcher la pauvre bête d’exprimer bruyamment sa désapprobation et son désespoir.
    Ce genre d’activité était pourtant un pilier de la vie rurale. Après avoir choyé et dorloté pendant de longs mois le « moussur », le monsieur ou le bourgeois, on se résignait à le transformer en pâtés, jambon, grillon, boudins, sauce de pire ou gigouri.
    On appelait ça « faire un assassin » en Angoumois, Saintonge, peut être en pays Gabaye. Les moins fortunés achetaient parfois un porc pour deux familles, en ce cas, ils tuaient « la moitié d’un cochon…

  3. christian grené

    Autre temps, autres meurs. Au XIIIe siècle, par exemple, on brûlait vif les hérétiques. Je me souviens du 29 mai 1431, à Rouen, où une pucelle avait été la victime d’un abbé qui, bien avant Johnny, chantait « Allumez le feu ». Comment il s’appelait ce curé déjà?
    Et comment ne pas évoquer, plus près de nous, la baie des cochons?

  4. Alain.e

    Il parait que  » dans tout homme , il y a un cochon qui sommeille  » , dommage , cet article m’ a réveillé des souvenirs lointains d’ une autre époque assurément, mais cochon qui s’ en dédit .
    J’ ai assisté dans ma jeunesse à ces grandes fêtes de famille ou il fallait tuer le goret , et j’ en garde un bon souvenir .
    Aujourd’hui , une association quelconque dénoncerait des actes de cruautés abominables envers cet animal et je ne pourrais pas être copain comme cochon avec eux évidemment.
    Pourtant ,à l’ heure du tri des déchets alimentaires , un porc , ça consomme , un début de solution peut être ?
    Cordialement.

    1. J.J.

      Alain .e @ « Pourtant ,à l’ heure du tri des déchets alimentaires , un porc , ça consomme , un début de solution peut être ? »

      Exact ! Et il y avait des éleveurs de porc qui passaient contrat avec des établissements scolaires, l’armée, les hôpitaux etc. pour récupérer les restes des cuisines collectives

      Rien ne se perdait, tout se transformait.
      C’est vrai que le cochon m’inspire !

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