En été, il existe des mots clés du bonheur. Tous sont liés à une passion individuelle ou collective que la saison permet de mettre en exergue, mais tous ne sont pas utilisables au fil des mois. Il en est une que l’on ne peut employer que quand le soleil a rendez-vous avec la lune puisqu’ il s’applique aux deux contextes : « terrasse ». Pour ma part, je mesure la réussite de vacances éventuelles au nombre de phrases dans lesquelles je peux inclure cette référence du plaisir estival. Toutes sont différentes mais toutes dégagent le bonheur inestimable de permettre de ne pas voir le temps passer.
Que l’on s’y retrouve seul ou entre amis, la terrasse sert d’espace privilégié pour les retrouvailles avec soi-même ou avec les autres. Les comportements se différencient, mais l’objectif est identique : voler des instants de partage à un quotidien beaucoup moins libre qu’espéré ! Bien entendu, tout dépend de la manière dont a été conçu le « terrain » et de sa situation. Certains sont publics et donc installés sur un domaine duquel on a vue directe sur la réalité, alors que d’autres sont secrets, nichés derrière une habitation, afin d’échapper, justement, au regard des autres. Dans une journée, ils vivent de toutes les manières différemment !
Dès que le soleil arrive au rendez-vous de l’été, les bars, les cafés et les restaurants étalent leurs éléments de réception. Selon le standing souhaité, le confort, le style, la qualité diffèrent. Ils n’influeront finalement que sur le prix final du séjour, puisque l’essentiel se trouve dans l’utilisation que le consommateur veut en faire. En ce qui me concerne, le critère de choix ne repose absolument pas sur le confort mais sur le positionnement de la table d’hôtes. Il me faut mes aises et la possibilité de jouer au plus grand plaisir des vacances : avaler un expresso, déguster un rosé frais ou siroter un demi panaché, selon l’heure, en jouant les entomologistes sociaux !
Le recul par rapport à la scène principale de la rue, de la place ou du site, prend une importance particulière car je suis un buveur observateur solitaire. Le rite est toujours le même avec une commande spécifique et hérétique pour les vrais spécialistes : le demi panaché, qui dénature à la fois la bière pression et pervertit la limonade, constitue mon code secret personnel me permettant de revenir dans mon passé.
La limonade reste en effet la boisson mythique de mon enfance et la bière demeure le breuvage de mon émancipation. Toute ma vie personnelle tient dans ce mélange permanent entre les chaînes des racines et les envolées libertaires. Donc, installé dans un fauteuil confortable à la terrasse d’un café, je scrute les « fourmis » humaines qui se déplacent devant moi ou qui se rassemblent sous les parasols. Il m’arrive même, je l’avoue, d’écouter les conversations voisines… avec leur diversité et leur spécificité : une moisson de bons mots ou d’anecdotes exceptionnelles ! Je vais à la rencontre des autres avec un plaisir jubilatoire.
Toute la difficulté de l’exercice réside dans la nécessité de vider le verre lentement, mais le breuvage réchauffé n’est pas fameux, afin de faire durer le plaisir de la présence sur la terrasse. Le serveur jette au bout d’un certain temps un regard furtif sur l’évolution du niveau, et parfois, si le poste d’observation est satisfaisant, une seconde commande s’impose. Rien n’est plus révélateur de la réalité sociale du quartier, du village, de la ville que ce temps passé à jouer les voyeurs.
J’essaie derrière chaque visage de mettre un métier, une opinion, un comportement, un pays, une culture . Ce jeu intérieur secret, silencieux, se termine sans cesse par une insatisfaction totale : il est en effet impossible de vérifier la vérité du résultat. Je vais même souvent dans le détail, entre deux gorgées de nostalgie, en me prononçant sur le niveau des classes auxquelles s’adresserait par exemple une(e) enseignant(e) potentielle. La coupe de cheveux, les vêtements, le choix de la boisson, la manière de communiquer avec les autres, l’attitude à l’égard du serveur (et encore plus vis à vis de la serveuse), la commande au restaurant (plat, vin..). Le prix du vélo, les accessoires ou la tenue dénotent le pays d’origine. Et ils sont de plus en plus diversifiés sur la place de la ville bastide. Depuis cette terrasse, je joue aux explorateurs, en ouvrant simplement une fenêtre sur le monde !
Les habitudes s’installent vite. Selon un mot de Chirac je me suis désormais adapté à la pratique des « bars parallèles » selon les horaires d’ouverture. Le Bistrot des Copains ou le Bar créonnais ont chacun leurs habitués, leurs spécificités et leurs rites. On y boit pas le même rosé et on effectue la mise en bière de manière différente. Il arrive que je passe de l’un à l’autre pour le plaisir de partager avec un habitué ou un autre. Chacun a son heure, son breuvage ou son envie de partage ou de dialogue. Pas besoin d’une montre car l’heure reste la même.
Pierrot le fou qui dégaine en rafale son Pellegrue, son Etauliers, son Lesparre ou sa gironde profonde; Jean-Jacques le Nelson de Pauillac qui navigue en solitaire sur sa mer des souvenirs; Yves le guide Michelin des restos ou des loisirs pour ses petits-enfants; Toye l’ancien élève devenu homme des bois; René qui par vocation professionnelle a toujours voulu être au courant de tout et bien d’autres chaque jour, Stéphane le courant d’air constituent mes plus fidèles compagnons de la table carrée. De brèves rencontres de comptoir avec des pédaleurs venus de la contrée de la choucroute, de celles des elfes, des oranges mécaniques ou des petits pois à la menthe alimentent mes envies d’ailleurs. Je me laisse terrasser avec d’autant plus de plaisir que je découvre qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de moi.
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Cher Jean-Marie, je suis fait du même bois – ne conjugue pas là le verbe boire – que toi.
Sauf que j’habite loin de mon Triangle des Bermudes, à Libourne, qui conduit du Bar du Lycée à la Renaissance en passant par l’Orient dont je me flatte d’avoir narré l’histoire dans les colonnes de « Sud Ouest » au temps jadis.
Coucou ! Me revoilà… après quelques jours passés en région toulousain, à me faire chouchouter par ma fifille chérie… Et voilà que je renoue avec ce « Roue Libre » des « Bois ( du verbe boire) Sans Soif ! Ah ces « terrasses, »… Oasis qui nous assurent une dégustation d’autant plus rafraîchissante que les patrons ont pris la précaution de nous protéger des ardents feux du soleil !
Vuelve Laurita mia. Bienvenida a la « Libre Rueda » al cual le faltan las y los escritores.
Abrazos fuertes y hasta la mañana!