Il ne tient pas en place. Il longe le comptoir du bar PMU pour jeter un coup d’œil sur la télé qui diffuse des courses au trot attelé aux Pays-Bas. Il regarde les cotes avant de pianoter sur son téléphone mobile. De temps à autre il jette un œil sur son salon de coiffure tout proche. La période actuelle n’est guère propice à la fréquentation par les habitués et donc Yohann administre son temps libre. Il décline tous les atouts de l’artiste : insouciance, décontraction, exubérance, séduction, esthétique et talent. Un authentique Figaro, tel que Beaumarchais l’a dépeint dans son œuvre primesautière.
Tous ses clients vante son adresse. « Il n’utilise que les ciseaux. La tondeuse il ne connaît que pour les petites finitions » explique un habitué des lieux en train de cocher les cases sur son ticket de PMU. Figaro virevolte autour du fauteuil coupant méticuleusement la chevelure qui lui a été confiée. Pas question pour lui de laisser un tif dépasser. Un bruit sec, un cliquetis rapide : il traque avec application un à un les récalcitrants. « C’est du bon boulot à l’ancienne qui vaut le tarif appliqué » ajoute l’un de ses fans en passant sa main sur un crâne quelque peu dégarni. « Il a voulu me dessiner quelques sillons artistiques mais à mon âge j’ai évidemment refusé. Il ne peut pas se contenter de l’ordinaire ! » Le coiffeur ne manque pas d’enthousiasme et il n’est pas inutile de savoir qu’il faut savoir le canaliser. L’imagination est au pouvoir.
Comme le veut la tradition, le « merlan » n’hésite pas à pousser la chansonnette. Pas d’airs d’opéra (même s’il a la silhouette de Pavarotti) à son répertoire, mais des reprises qui lui permettraient d’animer une soirée. L’imitation de Bourvil figure par exemple au hit-parade des habitués. « Je lui cherche un béret avoue discrètement la patronne. Ce serait parfait. Il me fait tellement rire » avoue la patronne. Ce « fou chantant » à la Trénet que tout le monde aime bien, égaye les espaces couverts. Ce matin il entre et sort du bar en fredonnant « les yeux menthe à l’eau » un titre qui ne correspond vraiment pas à ses habitudes d’assoiffé assidu.
Beaumarchais aurait aimé le voir manier ses tickets de PMU. Vif, démonstratif, enthousiaste dès que le sort lui est favorable il sombre en quelques instants dans le drame quand la chance (ou la science du jeu) le quitte. Il joue à l’instinct. Sur une course il récupère quatre cents euros. Il exulte en brandissant son ticket d’un bout à l’autre du bar. Il répète maintes et maintes fois que c’est le numéro 7 qui lui vaut cette manne du PMU. Il prend à témoin un joueur discret tapi dans la pénombre d’où il surveille les cotes de ses favoris et leur échauffement avant de parier. Il partage.
« Je sens bien le 4 dans la prochaine » lance-t-il à la ronde. Quand on lui objecte que le rendement de celui qui est favori risque d’être faible il assène sa vérité : « j’ai besoin de gratter et quelques dizaines d’euros ne font pas de mal ! » Yohann surveille son favori reprochant de manière véhémente au pilote « de se retourner sans cesse ». En fait le trotteur mènera de bout en bout apportant un petit pactole supplémentaire au Figaro qui repart constater s’il y a un client pour ses ciseaux. Toujours personne. Il reviendra et rejouera jusqu’à souvent perdre tout ce qu’il a engrangé en une heure. Il fredonne encore et toujours son amour pour « les yeux menthe à l’eau ! », heureux comme le serait « le barbier de Séville.» avec une nuance : il a convolé en jutes noces avec le PMU !
Au fil de la journée le Mozart des ciseaux ira du salon à la borne des paris du PMU. Jouant en permanence la célèbre séquence musicale de « Figaro-ci, Figaro-là » il installe son personnage sur la scène de la vie quotidienne de cet angle des arcades. Atypique mais sympathique ; décapant mais attachant, instable mais fiable, Yohann meuble une matinée d’été au cours de laquelle les touristes à vélo effectuent une pause devant un café. Ils regardent avec amusement les va-et-vient de celui qui pourrait fort bien adopter comme emblème « les ciseaux et le ticket ».
« Pronto a far tutto, la notte e il giorno (Prêt à tout faire, de jour et de nuit) ; Sempre d’intorno in giro sta. (Toujours autour à virevolter) ; Miglior cuccagna per un barbiere, (la meilleure cocagne pour un barbier), Vita piu nobile, no, non si da. (Une vie plus noble, non, il n’y a pas) ». Comment ne pas penser à cette présentation de la vie du Barbier de Séville en observant celui qui a adopté sans complexes une philosophie… « à demis » faisant mousser la vie ?
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« Per un barbiere de qualità… »
Le métier de barbier est quelque peu revenu à la mode (le dernier installé en ville à ma connaissance : l’Aristo Barber). D’ailleurs beaucoup de salons de coiffure ayant déjà pignon sur rue se revendiquent de « barbier », une nouvelle mode.
Mais j’ai remarqué que les coiffeurs, du moins en zone rurale, considéraient généralement un peu leur métier comme subsidiaire et cultivaient assidument un violon d’Ingres.
Ainsi, j’allais dans un salon de coiffure d’une petite ville de campagne où le maître des lieux , correspondant sportif du canard local abreuvait ses victimes de tous les exploits des « Olympiques », des Red Star, des Étoiles Sportives et autre Gallia du secteur. Comme son coup de ciseaux n’était pas infaillible, je me suis rendu chez son concurrent qui lui, ajoutait à son activité le lucratif commerce de vente d’engins et accessoires de pêche…
Là aussi, les conversations manquaient de variété. Les année 69 arrivant, j’ai renoncé à fréquenter les salons d coiffure : Peace and Love !
Les coiffeuses du quartier où je réside maintenant se contentent d’entretenir une conversation amicale en prenant soin de feu mon opulente chevelure qui maintenant me couronne de neige.
La légende du Barbier est tellement développée qu’à Séville, on m’a montré une petite échoppe que l’on prétend avoir été celle de l’immortel Figaro.
Je ne sais plus où, il y a quelques jours, j’ai vu le cylindre tournant des anciennes enseignes de barbiers devenus coiffeurs pour hommes. Ça m’a fait drôle, on en a perdu l’habitude… Au profit d’appellations franglaises des officines et salons tournant autour de hair (il y a tout de même encore quelques appellations bien de chez nous tournant autour de tif).
« …j’ai vu le cylindre tournant des anciennes enseignes de barbiers devenus coiffeurs pour hommes. » Ça aussi ça revient à la mode (vu fréquemment dans les aventures de Lucky Luke, l’enseigne du traditionnel coiffeur français émigré au Far West).
« Au profit d’appellations franglaises des officines et salons tournant autour de hair .. ».et qui atteignent sans peine un haut niveau de ridicule prétention et de ringardise.
Sans être vraiment génial, je m’accommode mieux dut « tif « bon enfant.