Je suis absent de Créon et je vous propose ce long texte annonçant il y a neuf ans jour pour jour (9 mars 2013) mon renoncement à être maire de Créon après alors 30 ans de mandat local. Dois-je en enlever une partie… J’en doute.
« Mes chers amis,
Vous avez, toutes et tous, sacrifié un match du tournoi des 6 nations de rugby pour participer à cette nouvelle rencontre citoyenne créonnaise. Je prends donc votre présence comme un vrai signe d’estime et d’amitié, car il en faut désormais pour faire confiance à un élu, pour quitter son canapé et son écran hypnotique, pour venir dans cette salle pour dialoguer autour de la vie locale.
Quel intérêt ? Quel profit ? Quel plaisir ? Aucun! Pas l’ombre d’une satisfaction possible, si ce n’est celle de passer du statut épisodique de consommateur de la vie sociale à celui de citoyen acteur. Ma première satisfaction après 30 ans de mandat électif local, c’est d’avoir, jour après jour, construit ce type de relation avec vous, alors que tout est fait au quotidien médiatiquement pour justement rompre ces liens entre élus et électrices et électeurs.
J’ai souvent échoué en voulant construire une démocratie participative reposant sur 3 piliers : l’information, la concertation et le partage de la gestion ! J’en ai conscience. Je n’ai jamais eu la prétention d’être meilleur. J’ai seulement eu la volonté de bosser au service des mes valeurs !
Notre époque est figée sur la critique, le transfert de ses propres responsabilités vers les autres, l’indifférence inspirée par des généralisations approximatives, déclinées en permanence par de grands médias qui ne vivent que sur la crédulité, l’inculture et plus encore sur la facilité.
Ce soir je vous ai invités en cette fin de rencontre bilan à venir boire un coup, aussi amical que simple, pour d’une part fêter discrètement 30 années ininterrompues passées au service de Créon et d’autre part enterrer ma vie de Maire.
Je suis entré, dès le premier tour, dans l’équipe municipale créonnaise, à la demande de Roger Caumont le 6 mars 1983, mais avec l’hostilité de bien des colistiers.
Ils avaient même diffusé, comme à la belle époque, un poème satirique intitulé « Instit’ soit-il » que je garde précieusement pour que mes petits-enfants perçoivent la réalité du monde politicien. Je n’ai donc pas été, loin s’en faut, contrairement à la légende créonnaise, l’héritier de quiconque, et je ne serai jamais l’héritier de quiconque, car je haïs, comme petit-fils d’un ouvrier maçon et d’un paysan italien sans papiers, les héritiers dans tous les domaines.
Je sais que les plus belles victoires sont celles que l’on remporte soi-même, sans qu’on vous la donne. Nous sommes peu à connaître les péripéties créonnaises du demi-siècle passé mais dans le fond peu importe. Et dans le fond c’est aussi bien !
Durant 15 années de militantisme totalement désintéressé au sein du Syndicat National des Instituteurs et à la Mutuelle Générale de l’Education Nationale, j’avais déjà affronté les scrutins directs.
Ma mère et mon père, employés municipaux, m’avaient aussi inculqué les réalités du service public et de la gestion communale, apprise sous la table du conseil municipal de Sadirac. L’investissement au service des autres est resté, aussi longtemps que je me souvienne, la valeur essentielle de ma vie, qui m’avait été inspirée par André Meynier, Georges Vasseur, Camille Gourdon, Ernest Monlau et Roger Caumont.
Toujours, sans cesse, penser aux autres avant de penser à soi-même. Toujours se poser la question de ce que l’on peut ne pas laisser faire aux autres ! Toujours envisager quelle action pour jouer un modeste rôle pour le progrès et la justice.
Quand je me retourne je ne vois que des renoncements à ma vie personnelle et des oublis auprès de celles et ceux avec qui je me sentais pourtant le mieux. Je le mesure maintenant, mais l’engagement c’est comme faire du vélo : c’est en s’arrêtant qu’on se casse la gueule, et la spirale est infinie !
J’ai trop souvent bâti au service des autres, sans me soucier un seul instant des conséquences sur mon parcours. J’ai refusé, encore récemment, des postes ou des fonctions, à faire rêver les carriéristes, pour rester ici, au pays, en compagnie des gens qui me plaisent, de celles et ceux avec qui j’ai plaisir à siffler quelques verres de rosé frais les soirs d’été ! Je suis fier et plus encore heureux d’avoir pu m’offrir le luxe de refuser ce que d’autres auraient accepté !
Vous toutes et tous, qui continuaient à m’appeler Jean-Marie plutôt que Monsieur le Maire, vous m’apportez donc le plus grand bonheur.
Personne ne peut imaginer combien j’ai eu peur et combien je suis angoissé à la seule idée de ne plus être le même, de changer, de perdre mon identité en devenant un « institutionnel » que l’on ne respecte que pour sa fonction, mais plus pour son comportement humain.
Je sens d’ailleurs que la pression des responsabilités m’oblige peut-être davantage à ne plus toujours être moi-même !
J’en suis triste, mais comme je suis renommé pour mon pessimisme naturel, je pense parfois que je me tracasse pour rien.
Depuis 1966, j’aurai participé à près de 20 scrutins différents sur une liste, dans une équipe ou rarement sur mon nom propre. Je n’ai manqué qu’une seule fois une élection, avec Bernard Castagnet, lors des très difficiles législatives de 1993, où une centaine de voix nous avaient manqué sur la 9° circonscription pour entrer dans l’histoire.
Le plus souvent, j’ai été au service d’un groupe, d’une équipe ou d’une autre personne et, dans le fond, je ne me suis trouvé que lors des cantonales en position d’obtenir un soutien personnel sur mon nom personnel. Tous les autres scrutins, je ne les ai conduits qu’au profit des autres ! Je n’ai jamais demandé de le faire à ma place. J’aime le combat et je m’y engage à fond !
Si je défends des valeurs, je les mets d’abord en pratique avant de les faire partager. Je ne crois qu’à la vertu de l’exemple, pas à celle des commandements ou autres prétentions sentencieuses. Avant d’être exigeant pour mon entourage, j’ai le plus souvent tenté de l’être pour moi et je vous avoue que c’est épuisant. Je ne pense pas cesser d’être ainsi ! Je sais que j’agace et que je dérange, mais dans le fond c’est irrémédiable.
Ce soir je vous dois donc, en remerciement de votre confiance, la vérité. Celle qui dérange et qui fait que je suis souvent détesté par mes amis.
En effet, après exactement 47 ans d’engagement public (j’ai été élu pour la première fois comme responsable de ma promotion d’école normale en octobre 1966 !) je dois vous confier un secret inspiré de ma désormais longue expérience.
La vie politique se résume chaque jour dans une phrase historique attribuée à Voltaire : « Mon Dieu gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis je m’en charge ! » Et au bout d’un moment, ce fardeau devient très lourd à porter surtout quand vous avez la conscience tranquille et que vous n’avez jamais rien marchandé, échangé, exigé ou quémandé et que vous avez le sentiment sincère et profond d’avoir plus donné que reçu.
Ce soir, j’ai envie de vous dire que « Jean-Marie » souffre dans sa fonction actuelle d’élu local et qu’il ne se sent plus à l’aise dans cette société du prêt à porter idéologique, de l’inconsistance des valeurs, de la dévaluation du mot « camarade », et dans la course d’écuries, pour ne pas dire de clans, qui servent seulement des intérêts personnels, de la lâcheté apolitique dominante. La forme a pris le pas sur le fond, et c’est déprimant.
Je ne me sens plus en adéquation avec ce que j’ai connu et surtout avec ce que l’instituteur souhaitait pour son parcours personnel.
J’aime profondément Créon et on ne peut pas être un bon Maire sans tout passer à sa ville.
J’ai beaucoup reçu de Créon et c’est trop !
A ce jour j’y ai passé près d’un demi-siècle et je ne garde que des images de bonheur partagé, au collège ou dans la vie quotidienne, que des moments heureux au milieu de cette bastide vivante, animée, colorée. Et j’espère, dans l’année qui vient, absorber d’autres images de cet incomparable bonheur de vivre ensemble.
J’ai aimé cette confiance renouvelée à 5 reprises et plus encore les 82 % des voix au second tour des cantonales de 2008 sur mon nom et les 63 % obtenus récemment avec Martine Faure aux législatives. C’est une vraie fortune dans une vie publique ! C’est une récompense inestimable, hors du commun. C’est une réserve inépuisable de confiance.
Mais actuellement je souffre dans la fonction que vous m’avez donnée.
• Je souffre d’imposer à ma mère, ma femme, mes enfants, mes petits enfants, mon engagement à servir les autres avant eux ! Je n’en avais pas conscience mais c’est d’un égoïsme sans bornes.
• Je souffre d’entendre de manière lancinante les propos calomnieux, odieux, méprisants voulant que les élus locaux soient tricheurs, avides de pognon, comploteurs, menteurs et même tous pourris. Je ne supporte plus moralement d’être rangé dans cette catégorie car quelles que soient mes erreurs (et j’en ai faites) ce n’était que dans l’intérêt général et je n’ai jamais failli à ce principe. Suis-je pour autant jugé différemment ? J’en doute !
• Je souffre de ne pas pouvoir répondre aux attentes de gens dans la plus profonde détresse, car le monde est devenu impitoyable et n’a rien à faire de l’Homme ! Un maire n’existe plus dans ce paysage du profit triomphant. Il n’est devenu qu’un guérisseur social quand toutes les autres thérapies ont échoué !
• Je souffre d’être jugé sur des ratios passés, impersonnels, déconnectés de la réalité, alors que je ne souhaite que mettre les finances au service de valeurs, de projets et d’avenir
• Je souffre d’être chaque jour davantage considéré comme un facho quand je parle rigueur, patience, loyauté, respect et solidarité.
• Je souffre car j’ai toujours cru qu’il fallait donner politiquement l’exemple pour être crédible. Je ne veux pas être celui qui scrupuleusement ne respectera pas les engagements présidentiels sur le cumul des mandats. Une fonction exécutive et rien d’autre. Je l’ai fait pour la communauté de Communes, je poursuis le chemin. Et même si je dois encore me créer de nouvelles inimitiés, je suis de ceux qui pensent que le vrai non cumul des mandats doit être posé dans la durée et pas toujours dans le nombre ! 31 ans d’élu créonnais et en fin de course 19 ans de Maire, c’est suffisant, et c’est peut-être pour certains déjà trop.
Je ne suis plus adapté à la fonction que vous m’avez confiée, car elle nécessite une motivation incessante, un investissement personnel sans faille, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
Elle n’est possible qu’avec une passion permanente intacte au service de la vie des autres. Je sais par ailleurs fort bien qu’il n’y a rien de pire dans la vie publique que de se croire indispensable !
Alors je vais en tirer les conséquences !
Mes amis, le moment est donc venu pour moi de refermer le splendide livre de mon engagement municipal.
Je ne serai donc pas candidat aux élections des 9 et 16 mars 2014. Pas comme maire et pas non plus comme conseiller municipal. Je tourne définitivement la page locale, pour en écrire une autre, et laisser la rédaction de l’avenir créonnais à quelqu’un d’autre.
J’ai un gros pincement au cœur. J’ai même beaucoup de peine. Pourquoi ne pas le reconnaître. Mais pour moi, la raison doit l’emporter sur les sentiments.
C’est une déchirure que je cicatriserai avec l’engagement de demeurer présent dans la vie locale. Je ne rentre pas sous ma tente de « vieux sage casse pompes » mais de toutes mes forces je poursuivrai mon engagement pour le dynamisme créonnais sous d’autres formes.
Je ne suis pas candidat au Sénat ou à un autre mandat.
Je poursuivrai jusqu’à son terme mon mandat de conseiller général, et je verrai le moment venu, selon le découpage du canton de Créon, ce que ferai… pour servir l’intérêt départemental très menacé par l’acte 3 de la décentralisation.
Aucune ambition cachée. Aucune supercherie. Aucune arrière-pensée. La transparence absolue.
Le Maire ne sera plus là dans un an, mais « Jean-Marie » sera toujours présent au cœur de Créon avec d’autres rôles peut-être plus utiles que ceux que j’ai remplis à ce jour depuis 1974 !
Mes collègues ici présents en ont été prévenus avant vous. Je le leur devais, en raison de leur soutien amical sans faille, pour certains depuis 18 ans Je les en remercie publiquement. Je vous l’ai dit, je n’aime pas les héritiers. Je n’en ai donc désigné aucun, et je n’ai pas de testament politique. Je les ai laissé libres de leur choix. Ils se sont réunis hors de ma présence, et ils ont décidé de confier à Pierre Gachet le soin de conduire en mars prochain la liste sortante. J’en suis heureux, car je sais que Pierre a les capacités intellectuelles, la rigueur de pensée et l’allant nécessaire pour accentuer la dynamique créonnaise. Je le soutiendrai de toutes mes forces comme je soutiendrai toutes celles et tous ceux qui s’engageront à ses côtés dans une liste qui alliera l’expérience et le renouveau.
Je vais profiter encore de l’année qui s’ouvre pour vivre encore plus intensément ce Créon qui me colle aux basques. Fêtons dignement ces 30 ans de mandat, et je vous rassure, je n’ai pas encore l’intention de rouiller sur un banc ou un canapé.
Je ne résiste pas au plaisir de vous lire ces quelques lignes de Bernard Clavel, l’un des mes auteurs préférés, dont je vais paraphraser pour la circonstance :
« Si je fais aujourd’hui le compte de la douleur, de la peine, des nuits de veille, des déceptions, des sarcasmes encaissés, des jalousies sordides, des pièges de toutes sortes, des épreuves, des trahisons subies, des privations aussi que j’ai imposées aux miens, je suis tenté de dire que c’est, en effet, un très grand malheur que d’être atteint par le virus indestructible de la vie publique (l’écriture aussi). En revanche, si je regarde le chemin parcouru et les rencontres qui le jalonnent ; si je me penche sur quelques actions menées en faveur de ce à quoi nous croyons, et que nous nous obstinons à défendre ; si je considère que ce chemin m’a tout de même ramené à la terre de mon enfance pour me permettre d’y vivre dans des conditions que mon départ solitaire ne me permettait pas d’espérer, je me dis que, somme toute, s’il y a un certain bonheur d’être( maire), il arrive qu’il débouche sur un certain bonheur d’être écrivain ».
Merci de tout cœur à vous d’être tellement nombreux !
Vive Créon !
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Bonjour Jean-Marie,
Selon Wikipédia vous avez été Maire pendant 19 ans et non 30.
Il doit y avoir une erreur de comptage.
Bien à vous
Je partage tout à fait ta nostalgie et ton pessimisme quant à l’avenir …
Mais tu as fait et bien fait ce que tu voulais faire… Ce n’est pas rien.
Cela dit, bonne escapade!
Et que Créon vive avec un autre Maire ou l’actuel
Jean-Marie il y a toujours des gens qui vous gratifient humainement. C’est essentiel …..