Dans quelques heures (pour les plus matinaux d’entre vous) des milliers de jeunes et de moins jeunes qui les accompagnent vont se ruer sur les sites internet donnant les résultats du baccalauréat. Le moment est institutionnellement important mais il faut bien avouer qu’il ne change plus le destin de celle ou celui qui est reçu ou collé. Pour beaucoup des lycéen.ne.s ayant obtenu le parchemin qui n’en est d’ailleurs plus un, l’important se situe ailleurs et ils scrutent le résultat de leurs vœux sur « Parcoursup ». En plus cette année dans le contexte sanitaire d’une année de terminale pour le moins compliquée beaucoup savent déjà quel sort le réserve les jurys puisque le contrôle continu est essentiel dans le résultat. et c’est une bonne chose !
Pour ma part ce jour sera un peu particulier. Il y aura, jour pour jour, 55 ans que j’avais le résultat de cet examen réformé par un Ministre avide de notoriété comme tous ceux qui s’installent rue de Grenelle. Christian Fouchet gaulliste historique ayant rejoint les forces française libres a toujours le record de longévité dans un ministère avec près de 4 ans et 3 moisde présence. Il avait décidé de supprimer la première partie du bac (en première) et singulièrement renforcé la seconde.
La nouvelle formule du bac fit des ravages tant elle était sélective. Un écrit avec seulement quatre matières (100 points à obtenir) et un oral de rattrapage pour les candidat.e. dépassant les 90 sur 100. Tous les autres étaient renvoyés vers un redoublement sec. Dans ses objectifs figurait également la suppression de Proprédeutique, la création des IUT et l’amorce du fameux DEUG. Son projet provoqua en partie la révolte estudiantine de mai 68 après qu’il ait été « muté » au ministère de l’Intérieur. L’UNEF continua en effet, même après son départ de la rue de Grenelle une forte contestation d’un système de sélection déguisé.
Cette journée de 1966 après celle du 13 juillet 1963 date du résultat du concours d’entrée à l’École Normale d’Instituteurs de la Gironde marqua un vrai changement dans la famille. Je fus en effet le premier de la famille a obtenir ce diplôme… rien de vaniteux dans ce constat mais simplement la réalité d’une époque. Le petit-fils des immigrés italiens ayant posé le sol, sans papiers sur le sol français moins d’un demi-siècle au préalable et de l’ouvrier maçon ayant terminé sa scolarité pour travailler à 11 ans comme garçon d’écurie du Docteur chez qui il était placé, offrait une réussite dont ils étaient extrêmement fiers. Pour eux, pour mes parents c’était un aboutissement, une assurance de promotion sociale.
Je n’oublierai jamais leur joie silencieuse et intérieure que seule un peu de buée dans les yeux trahissait. L’École Normale avait fait ce miracle. Elle avait permis par les études gratuites contre un engagement décennal à servir la République dans la fonction publique cette ascension par l’éducation. C’est ce parcours qui m’a toujours unis à celles et ceux qui avaient eu à le vivre. Inutile de se parler, d’échanger, nous savions d’où nous venions et nous trouvions très vite les repères nécessaires à trouver un accord sur les valeurs essentielles. Les enfants de la méritocratie républicaine se reconnaissent sans se parler et savent partager.
Aujourd’hui ma petite-fille Léa attendra sereinement le résultat du bac près de six décennies après son grand-père. J’étais certain de mon avenir grâce à ce diplôme. Il lui restera tout à construire. Il lui faudra encore des années pour trouver une voie qui lui convienne et qui lui permette de s’épanouir. Quand nous étions dans la certitude et l’assurance d’accéder à un sort meilleur que celui de nos parents et grands-parents, elle entre dans le doute et la difficulté. Sa réussite me rendra aussi fiers et aussi heureux que l’ont été celles et ceux qui m’ont accompagné. N’empêche que ce ticket de passage indispensable les conduits sur une autre « rive » où tout est encore à refaire dans l’incertitude.
J’ai tremblé comme père pour savoir si mes enfants parviendraient à franchir cet obstacle institutionnel leur ouvrant la possibilité de s’engager vers des horizons réputés plus lumineux que les miens. Dans le fond plus que réussir au bac il vaut mieux tout simplement pour y parvenir essayer d’avoir les clés de la réussite de sa vie personnelle. Et ce n’est pas un examen qui actuellement le permet. La sélection actuelle par l’échec, par l’institution pyramidale visant à construire une élite basée sur le savoir abstrait et pas sur le savoir-vivre, le savoir-être, le savoir apprendre, le savoir-s’adapter, le savoir être autonome, responsable, libre… ne démontre pas qu’elle concourt à la réussite sociale. Mais ce n’est pas prêt de changer ! En attendant je me prépare simplement à être heureux, pour moi, pour elle et pour celles et ceux qui auraient tant aimé être encore là pour profiter de cet instant !
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» le contrôle continu est essentiel dans le résultat. et c’est une bonne chose ! »
Oui et non, des avantages et des inconvénients : si j’avais été réduit à mes résultats de contrôle continu pour avoir mon bac, étant considéré à priori, et je ne sais trop pour quelle raison, pour un fantaisiste et un « amateur », je ne l’aurais jamais eu !
Il est vrai que je ne montrais peut être pas la même pugnacité dans les exercices quotidiens que dans les conditions d’un examen ou d’un concours, surtout à l’oral.
Contrairement à beaucoup de mes camarades, je n’avais pas compris que l’on était pas là pour apprendre pour le plaisir de savoir, mais pour ressortir des connaissances dans un but utilitaire, que dans la plupart des cas que l’on s’empresserait d’oublier.
Hors sujet : le match contre la Suisse et la prestation de l’équipe de France m’ont inspiré cet alexandrin historique.
S’il y a un poète parmi les lecteurs, il peut continuer.
« Ils rêvaient Marignan, ils vécurent Pavie.. ».
@ à J . J
Difficile de se mesurer à pareil poète !
Aussi je vais oser une parodie… » À perdre sans vergogne, on se couvre de honte ! »
Bon, ce n’est pas génial mais vous ne pourrez pas dire que je n’ai pas essayé…
Laure@ Si chaque lecteur de Roue Libre ajoutait un vers, nous écririons une épopée.
Hé ! Popée ! Comme disait Néron…
Enfin ! La sélection tant décriée par tous ne se fait plus officiellement sur les connaissances et la méritocratie républicaine mais sur l’entre soi et la sélection sociale et personne ne dit rien. Ils y sont arrivés ! Le bac, graal obligé pour poursuivre des études supérieures, n’existe plus et ne sert plus à rien. Place à parcoursup qui gère la vie future de nos enfants sans tenir compte de leurs aspirations mais permet enfin aux universités et établissements supérieurs de choisir sur des critères inconnus du grand public, les heureux candidats bien « blancblanc » comme il faut et propre sur eux.
Peu importe que tu sois un très bon élève, tu ne fais pas le poids face à un fils de collègue ou d’ancien coreligionnaire du président où du généreux donateur de l’université. Si par cas il y a des trous à boucher dans des filières dont personnes ne veux on te repêchera peut-être au nom de notre grandeur d’âme. Bien entendu, même pour cela, il vaudra mieux sortir d’une école privé où une grande partie des gens de « gauche » vous diront que leurs enfants ( surdoués par essence) y ont trouvé un environnement favorable et des professeurs plus attentifs aux élèves, en oubliant que ce qui a prévalu surtout à leurs choix c’est la non mixité populaire et la sélection par l’argent.
Et oui, depuis la fameuse phrase d’un ministre (Chevennement en 1985 si je ne m’abuse) souhaitant 80 % d’une classe d’âge jusqu’au bac. Seulement il ne parlait pas forcément nécessaire qu’il y ait 80% de réussite au bac. Aussi pour arriver à cet objectif mal compris tous nos fameux « pédagogistes » ont tordu l’enseignement dans tous les sens pour arriver à cette catastrophe d’une population de moins en moins instruite et incapable de raisonner et d’analyser le monde dans lequel on les condamne à vivre.
L’abstention subie lors des dernières élections en est une des conséquences. L’école depuis ce moment a préféré construire des consommateurs individualistes et égoïstes plutôt que des citoyens responsables et conscient de la défense du bien commun.
Combien de temps avant la déflagration entre ces élites hors-sol et les classes populaires écartées de tout (accès à la même éducation, à la culture, à l’élévation par la connaissance et le travail, au fonctions électorales et au pouvoir de participer à un projet commun tout simplement.
Bref, comme un retour avant 1789, avec la part belle faite àl’enseignement confessionnel financé avec nos « deniers »(les trente qui me restaient).
Fille de réfugiés espagnols arrivés à Bordeaux le 5 février 1939 et née le 07 du même mois et de la même année, c’est en 1959 (pour la 1e année et 60 pour la 2e) que je connaîtrai l’angoisse de l’attente du résultat… Je partagerai les larmes de joie de ma mère fière d’avoir sa fille unique bachelière ! Dans la foulée, comme Jean-Marie, je serai reçue au concours d’entrée de l’École Normale de Caudéran réservé aux filles bachelières. En 1961, je suis envoyée à Toulouse pour y apprendre mon métier de professeur…
L’enseignante qui devait nous prendre en charge (nous étions 2) au prétexte qu’elle n’était pas au courant, refuse de nous accueillir…
Nous allons à la poste pour téléphoner à l’école normale… Réponse : » inscrivez-vous en fac… » Nous nous exécutons, et à la fin de cette année universitaire, j’obtiens Propédeutique. De retour en Gironde, en 1962, j’obtiens mon premier poste à Langon… Impossible de continuer en Faculté ! Je serai professeur de français et d’espagnol. En 1963, je suis nommée à Floirac où je retrouverai de nombreux enfants d’immigrés espagnols comme moi.