Audience à la cour d’appel des affaires sociales… Un moment encore inédit dans ma vie publique. Une petite pièce au Palais de justice avec une demi-douzaine de sièges et des robes noires qui virevoltent, s’impatientent, chuchotent ou déclinent des dossiers techniques devant un trio imperturbable de juges, attentifs au moindre détail. Rien de solennel et surtout rien d’affriolant : ici on ne plaisante pas et le ton général est sérieux, abstrait, juridique. Comme l’affaire qui m’intéresse a été oubliée au rôle de l’audience, il faudra patienter durant plus de 2 heures avant que l’avocat en charge du dossier espère s’asseoir à une table de lycée au côté de son collègue défenseur du camp adverse. Largement le temps d’aller de salle d’audience en salle d’audience pour renouer avec la fibre journalistique. Il y a exactement 40 ans, je venais au tribunal chercher quelques séquences de la vraie vie en m’asseyant au banc du tribunal correctionnel. Une mine pour celui qui aime les « personnages » réels ou les « situations » permettant de récupérer d’excellents passages pour un roman.
Comme il est possible d’entrer et de sortir sans aucune contrainte, je quitte la cour d’appel où un carambouillage met en scène un patron spécialiste des faillites (24) en cascade, qui a roulé un directeur financier se croyant plus malin que lui, pour aller vers d’autres lieux. Une querelle bergeracoise où tout le monde a tenté de planquer des cotisations sociales par des artifices avec, à l’arrivée, un contentieux pour savoir qui doit de l’argent à l’autre. On se dénonce, on dévoile des subterfuges et on s’accuse d’être plus tricheur l’un que l’autre…alors que l’on était copains comme cochons. Des société fictives aux chiffres d’affaires mirifiques jamais atteints, des ventes de vins et spiritueux jamais réalisées en Chine par un Président directeur Financier (PDF je ne connaissais pas!) qui se payait largement en premier, alors que les salariés ont crevé la dalle…
Incroyable mais vrai : le reflet de cette France des affaires qui ne vit que sur des artifices permanents, une volonté manifeste de privilégier des arrangements entre vautours. Le propriétaire spécialiste des énergies renouvelables a fondu au soleil et laissé des caisses aussi vides que le vent. Il a changé le nom d’une société en l’affublant de références anglaises ronflantes… avec des milliers d’actions attribuées à sa fille « écran »… et le reste à son ami qui deviendra son ennemi pour des problèmes de fric piqué dans les caisses. Bref le milieu du fric et du frac impuni sauf quand il se déchire ! Je pars vers une autre audience.
Dans la plus grande salle du tribunal de grande instance, on cause du même monde mais cÖté pile ! La multinationale Smurfit Kappa est citée à comparaître pour avoir le 5 juillet 2012 pollué le delta de la Leyre. Les travées sont garnies par une brochette d’acteurs du Bassin d’Arcachon : ostréiculteurs, pêcheurs, défenseurs de l’environnement font front commun, face à l’ensemble de l’équipe dirigeante de cette papeterie historique qui vient tenter d’expliquer les raisons de l’effondrement d’une cuve de 4 500 m3 de « liqueur » noire, à base de soude caustique et de jus de cuisson du bois. Durant des années, ni les services de l’État, ni les exploitants, ni certains organismes de contrôle n’ont vu venir la catastrophe liée à des fissures pour un étudiant stagiaire ou à une mystérieuse cause selon le directeur de l’usine. Depuis des années, il était signalé une situation préoccupante, mais… comme rien ne se produisait, il n’était pas nécessaire de se préparer au pire. Quand il est arrivé… ce fut donc la surprise, et immédiatement des solutions furent trouvées. La Présidente s’est plongée dans un dossier technique et elle met en difficulté les représentants d’une entreprise réalisant près de 300 millions de chiffre d’affaires… L’avocat des parties civiles y va de sa plaidoirie écolo, traitant au passage le PDG de « bonobo aveugle », et réclame des dizaines de milliers d’euros de dommages et intérêts pour les filières qu’il défend. Encore du fric en jeu, mais aucune dimension humaine dans ce procès de notre époque. Le fric contre la nature ! Tout s’achète et donc on trouvera un accord ! La presse est là… et demain on en causera.
Saut dans l’autre audience du Tribunal de grande instance; là, il en va autrement. Dans sa cage de verre, un mec « pas… tibulaire mais presque ! » comme disait Coluche, a battu sa compagne. Trente jours d’arrêt total et des hématomes encore visibles sur tout le visage : le cas est grave ! La présidente, incisive, va arracher quelques mots à un accusé qui a déjà purgé 6 ans pour viol. Il a pratiqué le karaté, la boxe, le judo et sait donc faire mal. Il n’a aucune explication à son acte et fait profil bas. Il est à terre, secoué par l’opiniâtreté de la juge qui le tance, le malmène, le pousse à baisser la tête. Une tornade s’abat sur un coupable qui ne nie pas son acte. « Madame, avez-vous quelque chose à ajouter ? » lance la Présidente à cette femme tuméfiée. Elle ne s’attend pas à un plaidoyer en faveur de la brute : « C’est un brave homme qui m’a aidé quand j’allais mal. Quand je suis allée à la clinique, car je suis très malade, il venait me voir chaque jour. Moi aussi, je bois. Il a bon fond… » Même son avocat n’a plus rien à dire tellement la victime est éloquente. Elle a été frappée, mais elle excuse le geste car « elle ne veut pas se retrouver encore seule ! » terrible aveu. On est loin des autres procès, comme lors de l’affaire suivante, où un Béninois à l’identité hésitante passe au crible de la même Présidente pugnace. Il a tenté de « consoler » (selon lui!) ou « d’agresser sexuellement » (selon sa victime), la copine de celui qui l’hébergeait, placé en garde à vue pour viol ! » Elle était énervée et j’ai tenté de la calmer… » explique cet homme élégant en polo Lacoste, se présentant comme « maître d’études », qui a laissé en Côte d’Ivoire ou ailleurs un enfant et une femme. Arrivé à Belfort, passé par Dijon, il a débarqué à Bordeaux sans un sou en poche… avec l’espoir d’y trouver l’Eldorado. Il tient bon dans la tempête, mais les assauts de la présidente auront raison de lui.
Le moment est venu de revenir à « mon » affaire et à la vengeance et au fric. Dérisoire et démoralisant !
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Encore un mot français dont le sens dépend de l’endroit où on est quand on s’en sert:
la Justice…
Si j’ai bien compris, et j’ai bien compris d’ailleurs (!), les soucis techniques du langage judiciaire peuvent fortement influer sur l’idée première que l’on se fait de toute valeur morale.
Les juges n’ont au fond d’autre fonction que de vérifier que le système judiciaire est appliqué d’après des règles fort compliquées, une sorte de code de la route.
Et nous arrivons au final, comme avec le code de la route où il est possible de perdre son permis de conduire pour un dépassement de vitesse de 3 kms heure, à des jugements parfois incompréhensibles pour le sens commun..
Pour exemple, si vous roulez trop vite mais avez un bon et cher avocat, vous repartirez en voiture, un peu moins riche, ou à pied si vous êtes pauvre.
Et tout le reste à l’avenant.