Je me suis promené tout aujourd’hui de cérémonies commémoratives en cérémonies commémoratives. Toutes formelles, figées, parfois décalées par rapport au jour et à son intérêt démocratique, rituelles. J’ai retrouvé un discours de 8 mai prononcé le 8 mai 2012… Soit il y a treize ans. Je n’en changerai pas beaucoup de mots !
« La mémoire est la sentinelle de l’esprit » a écrit dans l’une de ses œuvres William Shakespeare. En cette journée commémorative de la signature à Berlin du traité de capitulation du régime nazi qui avait enflammé l’Europe et détruit toutes les valeurs humanistes d’un vieux continent justement oublieux de sa mémoire collective, cette phrase prend toute sa signification.
Je vous remercie en effet chaleureusement de jouer aujourd’hui les « sentinelles » sur le front dangereux de l’oubli. Votre présence nombreuse pour ce moment de partage collectif d’une date essentielle dans l’Histoire du monde constitue un réconfort en une époque où nous sommes asphyxiés quotidiennement par les gaz inodores et incolores, mais terriblement mortels, de l’opinion dominante. Il est tellement plus facile de renoncer, de s’endormir, d’être indifférent, de refuser de voir, d’entendre et d’échanger pour se contenter de certitudes portées médiatiquement, que je voudrais louer votre courage et votre motivation pour être à nos cotés en cette journée.
Merci à vous les représentants des associations d’anciens ayant traversé les guerres. Merci à vous porteurs de ces drapeaux tricolores du cœur qui ne s’agitent pas frénétiquement en gage d’un patriotisme partisan.
Merci à vous toutes et à vous tous qui tenaient simplement à passer du statut peu enviable de consommatrices ou consommateurs d’un jour férié à celui beaucoup plus valorisant de citoyennes ou de citoyens conscients de la valeur de ce rendez-vous avec notre Histoire.
Merci du fond de mon cœur d’irréductible instituteur soucieux de toujours ressasser que les valeurs républicaines sont aussi fragiles que les roses qu’il est indispensable d’arroser avec des souvenirs souvent tristes des moments clés de son existence.
Merci d’avoir compris que notre présent ne peut être dissocié de ce passé dont on ne mesure l’importance que quand on l’a oublié.
Le 8 mai 1945, il était tard, beaucoup trop tard, pour réparer justement les désastres causés par une idéologie ayant enflé grâce à la complaisance de femmes et d’hommes politiques qui l’avaient laissée prospérer pour leur seul intérêt. Le renoncement à la défense des principes clés de la vie collective, aura été, à toutes les époques, un encouragement à l’éruption des pires instincts qui sommeillent dans les esprits les plus faibles. Des millions d’enfants, de femmes, d’hommes avaient payé dans d’atroces circonstances la complicité, la lâcheté, la férocité de gens réputés bien pensants. Pourquoi l’oublions nous si facilement pour céder aux sirènes des discours haineux et xénophobes ?
Il y a quelques semaines décédait Raymond Aubrac dont la formule essentielle réglant son existence a été :« résister, reconstruire, transmettre ». Quelle belle devise !
Le peuple de France n’a pas toujours eu la force dans son histoire de « résister » et encore maintenant une trop grande partie succombe aux vieilles lâchetés du racisme, de la stigmatisation, de l’exclusion et finalement de la haine institutionnelle. Cette part grandissante de l’opinion considère que céder aux propos xénophobes serait une marque de force ou de lucidité.
Pour l’avoir cru à la fin des années 30 du XX° siècle des majorités dites silencieuses ont creusé le tombeau de minorités courageuses, des « forts » ont étranglé les libertés, des « puissants » ont étouffé les consciences.
Avons nous à ce point perdu la mémoire pour ne pas réagir aux propos tenus sur des estrades fastueuses par des exploiteurs des peurs inconscientes ?
Avons nous perdu par ignorance ou par indifférence la douleur de ces regards d’enfants, arrachés à leur mère, perdus dans la nuit et le brouillard de ces camps d’extermination massive ?
Avons nous encore dans nos consciences les regards vides de ces soldats venus d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, d’Afrique noire pour mourir dans l’hiver de la plaine d’Alsace afin que nous ayons des printemps heureux ?
Aurons nous le courage de « reconstruire » comme le souhaitait Raymond Aubrac ? Il faut « reconstruire » Reconstruire un pays dévasté par les crises. Reconstruire de manière plus juste, plus accueillante, plus prospère, plus fraternelle.
Depuis des mois nous vivions dans la crainte . Des familles, des personnes seules mais aussi des peuples vivent sur notre planète dans la terreur, la faim, la précarité absolu. Crainte du chômage, crainte de la faillite, crainte de l’arrestation pour celui qui espérait un avenir meilleur chez nous, crainte de voir les enfants ou les petits-enfants étudier pour rien, crainte de ne pas manger à sa faim pour certains, crainte de l’autre pour trop de gens, crainte de l’insécurité sociale pour des millions… La crainte est partout et elle monte.
Merci à celles et ceux parmi vous qui suivront mon appel à l’espoir. La démocratie voulue par le Conseil national de la Résistance repose sur le respect, le partage, la liberté de penser et de parole pas ssur le communautarisme, les croyances, la haine, l’exclusion !
En ce 8 mai soyons heureux de témoigner solidairement, comme le voulait Raymond Aubrac pour « transmettre » notre confiance dans l’avenir reposant sur notre connaissance du passé !
Transmettre notre respect vis à vis de celles et ceux qui ont donné leur vie pour que nous puissions nous exprimer.
Transmettre notre espoir d’être capables solidairement de construire un monde meilleur.
Transmettre notre confiance dans un avenir différent de ce passé que l’on voudrait nous faire oublier en nous replongeant dans des propos honteux.
Le 8 mai 1945 aura été inutile si nous recommençons les mêmes erreurs, si nous renonçons à dénoncer les atteintes aux valeurs républicaines essentielles.
Nous n’avons donc rien à faire d’autre que continuer à résister, encore et toujours résister, aux idées faciles, factices et fragiles !
Nous avons à reconstruire, sans cesse reconstruire, avec rigueur, méthode et patience !
Nous aurons à toujours transmettre, inlassablement transmettre, avec conviction, émotion et passion ! «
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