Il se moque de la nuit. Il est là, installé au faîte d’une maison encore endormie, la tête vers le ciel, vaniteux et arrogant, comme s’il voulait que son message traverse l’espace et le temps. Les spécialistes prétendent qu’il revient, année après année, faire ses déclarations d’amour ou de colère sur les mêmes lieux par fidélité à l’air qu’on lui a prêté durant les plus beaux mois. Visiblement heureux, enthousiaste même, il aborde sa tournée des zéniths créonnais avec une détermination absolue, puisqu’il sait qu’il n’a que quelques semaines pour convaincre que c’est lui le plus apte à tenir le haut du pavé.
De sa tribune d’une antenne de télévision où il règne en maître absolu, il en appelle avec ostentation au peuple, dont il ignore les contours et les réalités, et sans vergogne, il profite du silence des autres pour se tailler une belle part d’un succès éphémère. Les femmes et les hommes qui n’ont pas le cœur à écouter ses envolées lyriques, en cette période où le soleil n’a pas encore précisé toutes les formes de la ville, il les ignore. Le candidat au bonheur, en cette aube naissante du printemps, n’a cure du sommeil des justes. Pour lui l’essentiel demeure, en cette période de « renaissance », de s’égosiller, de se rengorger du plaisir irremplaçable d’être celui que l’on attend. Il jubile intérieurement, sans pouvoir cependant refréner son irrépressible besoin de notoriété. Sur un fond de ciel commençant à bleuir, on distingue une tache pointue et jaune, comme une microscopique parcelle de l’astre qui doit chasser l’obscurité toujours présente sur le monde.
Lui, il célèbre par anticipation les mois des « Lumières », alors que le siècle qui leur a été attribué n’a plus cours sur cette terre. Il improvise avec une époustouflante virtuosité l’hymne à la joie de voir revenir l’espoir de jours meilleurs. Il sait bien que ce ne sont plus, depuis belle lurette, les hirondelles qui font le printemps, puisque les hommes ont passé leur temps à détruire leurs nids de boue sèche sous les avant-toits, au prétexte que les sols devaient rester nets. Le prophète c’est lui, et ce n’est pas un lancinant « coucou » sournois venu des sous-bois qui lui volera la vedette dans ces premières aubes encore frisquettes.
Certes, il existe aussi des ténors trop discrets qui n’ont ni son volume, ni sa prestance visible bau lever du soleil. Ces « rossignols » flamboyants croient appartenir à une caste ancienne dont on sait que certains membres ont terminé leur vie sur des podiums dressés dans des cages dorées. Lui, il prétend inspirer la liberté. Mon virtuose du lever du soleil, lui ne fait pas dans la dentelle sonore, il enflamme l’air de ses solides envolées lyriques. Il se déchaîne en mêlant toutes les techniques allant des vocalises complexes aux brèves phrases incisives. Jamais une répétition, mais une improvisation dévastatrice car souvent trop enrubannée, comme s’il était nécessaire de beaucoup en faire pour séduire ! Il n’a cependant aucun public visible, mais si l’on se fie aux impressions relevées par ses admiratrices et admirateurs il est certain de sortir victorieux contre ses concurrent(e)s laissés sans voix par son audace et sa prestance.
Je suis là, comme beaucoup, comme un idiot, à écouter des sornettes musicales, alors que mon temps est compté. Immédiatement monte en moi un refrain qui me trotte depuis des décennies dans la tête. Je revois une petite dame menue, fragile même, d’une voix cristalline, interpréter le plus bel hymne révolutionnaire qui soit. Son mari, ouvrier cimentier à ses côtés, impressionné par l’audace de son épouse qui traduisait par le chant, la culture politique qu’elle avait en elle. A la fin du repas, le silence était aussi pur que celui de ce petit matin créonnais et permettait de déguster la beauté naïve d’un message. Clémence, c’était son prénom était ma voisine. Quel beau prénom en cette période de guerre où justement plus personne ne voudrait utilement le porter. Elle symbolisait mon épisode préféré de l’Histoire de France. Celui des « merles moqueurs » narguant le pouvoir étable. Celui de ce matin les représente tous !
J’aimerais tant que 154 ans plus tard la Gauche de mon pays s’empare de cette chanson. La belle Commune de Paris, celle de Louise Michel, née le 18 mars, quelques heures avant l’arrivée du printemps, pour s’achever dans le sang de celles et ceux qui avaient cru dans les vertus du politique face aux pouvoirs arrogants de l’argent qui les avait conduits à la défaite et à la famine. Leurs fantômes hantent notre époque ! Avec les trilles de chanteur qui redoublent, en poursuivant mon chemin vers des occupations que je pense toujours essentielles, alors qu’elles ne sont que l’écume dérisoire de la vie, je fredonne le « Temps des cerises », en hommage à Clémence. Le mien, il est là, juché au-dessus des habitations des hommes, sifflant avec vigueur, combativité et élégance, sa passion pour celle qu’il n’a jamais connue. Il aurait tant aimé lui dédier sa première aubade des jours meilleurs.
Combien je voudrais que Léa, Julien et Ezio, mes petits-enfants, ne ressentent jamais cette déception de ne pas avoir su sauver les valeurs qui fondent la vraie qualité de la vie sur terre… Qu’en écoutant le « merle moqueur » ou le « gai rossignol », ils n’éprouvent pas ce sentiment d’impuissance qui m’assaille en cette période si sombre. En défiant les dernières étoiles du ciel, avec panache et talent, l’oiseau du printemps, laborieux et sobre, se mue en militant d’un printemps que nous devrions toutes et tous envisager comme porteur d’avenir. Je m’aperçois que c’est fini il a délivré son message. Il est parti. Le monde s’en fout !
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Je me souviens de ce jour sans nuage, oú j’étais accompagné dans mon potager depuis déjà quelques temps d’un jeune merle luron. Alors que je jaugeai la tâche à venir, une ombre furtive et silencieuse s’empara d’un seul coup de serre de mon joyeux compére.
Le soleil brillait et moi je rentrai meurtri avec ce moment fugace gravé dans ma mémoire
Tout n’est pas fini:l’écho poétique,le verbe libre,la parole d’un nouveau matin viennent ponctuer la lente dérive de la barque de la vie que nous peinons à conduire ; le fait est que le temps est immobile et que c’est nous qui passons;pourtant,le printemps revient ,même si le rythme de notre pas ralentit. Le philosophe déjà,évoquait l’oiseau de Minerve prenant son envol à la tombée du jour:il faut que les choses aillent vers un accomplissement pour qu’on en décrypte le sens progressivement. Pour autant,c’est au plus profond de la nuit et parfois de la désespérance que vient la première lueur du matin éclairant à nouveau la possibilité de la légèreté et de l’insouciance.
Bien sûr,il y’a des matins laborieux et des merles grincheux:j’ai observé dans mon jardin qu’éparpillant quelques miettes et morceaux appréciés des rouges gorges et des mésanges,je voyais un merle s’approprier l’espace à coups de bec et d’ailes,ne tolérant alors que les plus agiles;mais les oiseaux reviennent ,insensibles à la tentation du découragement…tout n’est pas fini!
Quel beau texte qui me fait penser aux « chants de la terre » et aux « premier matins du monde »alors que se découvre un possible renouvelé. Il y’a bien sûr les coucous,mais il ont toujours un temps de retard sur la capacité de construire un nid,de porter un projet,de gagner une bataille.
Notre temps est compté ,certes,mais il ne l’est vraiment que lorsqu’il est achevé;avant,il y’a encore beaucoup à faire. Quel beau message à nos petits enfants que ces accents de liberté narguant les pouvoirs établis,quel message d’espoir qu’un bras d’honneur renvoyé joyeusement à l’arrogance dévastatrice de Donald Trump! Un moment,dans le périple du merle,j’ai imaginé un européen chantant la liberté et les matins qui viennent en échappant au bec et aux crachats de quelques rapaces aux plumes décolorées. Un moment,j’ai vu la cage dorée de la notoriété se refermer sur les battements d’ailes de ces oiseaux devenus inutiles . C’est l’éternel retour de l’oiseau du printemps qui vient faire signe ,frôlant l’eau du fleuve lorsque la brume se lève;c’est aussi l’heure où le brochet chasse…
Certes,le pire est devenu possible;mais,Espèrons ensemble qu’un chant mobilisateur se lèvera et que les valeurs des Lumières trouveront quelque occasion de s’incarner dans de prochains matins de paix et de liberté,qui inspireront -quand même- confiance pour l’avenir.
Une anecdote « merlesque » et un inoubliable souvenir : un soir, arrivant dans mon jardin, une jeune merlette tombée du nid est venue se percher sur ma main, et quelques instants nous nous sommes regardés, moi tout étonné de la confiance que cette petite bête avait mis en moi. Et puis elle s’est envolée, mettent fin à ce moment de grâce et de paix.
Cette évocation du « Temps des cerises », ce beau texte poignant et ces commentaires m’émeuvent profondément. Moi, un vieux racorni, ce matin mes amis vous allez me faire pleurer d’émotion.