Rien ne vaut une plongée dans le passé pour prendre conscience des réalités du présent. Depuis maintenant de longs mois je fouine durant des heures parfois, dans les documents mis à disposition via internet par la Bibliothèque Nationale. La presse y tient une place de choix et constitue un mine inépuisable de faits passionnants. Lentement le doute envahit celui qui se faufile entre les pages en mauvais état mais tellement attrayantes des journaux. Il y en avait des dizaines reflétant toutes les opinions au début qu XX° siècle.
Ils rivalisaient. Ils recherchaient à apporter une information aussi précise à un lectorat pourtant limité compte tenu du petit nombre de lectrices et de lecteurs potentiels. Un régal de les voir se battre pour décrocher l’inédit d’événements ordinaires ou exceptionnels. L’engagement politique est assumé et mis en avant dans toutes les circonstances. La place accordée aux amis du journal est considérable. Les faits y sont décrits avec une précision redoutable. Rien de plus passionnant que de suivre l’actualité de l’époque matin et soir sur le même quotidien puisque souvent deux éditions étaient disponibles.
Le sentiment qui prédomine c’est que les contenus restent éternels. Les crimes, les vols, les affaires louches sont aussi graves et nombreuses qu’à notre époque. La seule différence c’est qu’ils occupent une place limitée dans les parutions mais bénéficient d’un suivi régulier jusqu’à leur conclusion judiciaire. Les reporters ont la possibilité de suivre au plus près l’enquête et fournissent des renseignements avec une étonnante précision qui dénotent une vraie connivence entre police? justice et presse. Celles et ceux qui savaient lire démultipliaient les révélations du quotidien. Lors d’un triple assassinat dans le Créonnais lors de la reconstitution une foule de 6 000 personnes se presse pour suivre les étapes de l’affaire sur le terrain ! Il y a cent quarante ans aucune photo et aune représentation des coupables mais des mots pour laisser au lecteur la part d’imagination la plus faible.
Aux alentours de 1880, la III° république reste très fragile. La politique est violente, traversée par des fractures idéologiques très fortes, sans concession entre les partis. On retrouve des Républicains qui se battent avec vigueur contre des Bonapartistes sous le regard des « Réactionnaires » (Monarchistes, Légitimistes). Passionnant par exemple de comparer par exemple les résultats des cantonales de 1880 avec la situation des secteurs concernés. La carte n’a guère évoluée.
Le Conseil général devient républicain mais 14 opposants issus de territoires girondins appartiennent à ces factions qui… ont muté mais restent présentes. Le Médoc, le Blayais, le fond de l’Entre Deux-Mers, une partie du Sud-Gironde envoient des élus que l’on classerait maintenant à l’extrême-, extrême droite. On retrouve par exemple : Saint Savin, Sait Ciers sur Gironde, Saint André de Cubzac, Guitres, Targon, Pellegrue… et d’autres. Étrange retour de l’histoire. Le basculement républicain a eu lieu en Gironde mais pas dans de nombreux départements ruraux.
L ‘Assemblée nationale est l’objet de toutes les attentions. Le 21 décembre 1880, la même année Léon Gambetta est par exemple ovationné au palais Bourbon en déclarant notamment : (…) Je le sais, messieurs, il y a deux politiques, il y en a eu deux de tout temps, et il y en aura toujours deux, parce que le mouvement de l’esprit humain est ainsi fait qu’il porte les uns à l’innovation, à la marche en avant, à l’affirmation toujours plus hardie et toujours plus audacieuse vers le progrès, vers la conquête et vers la réforme ; et qu’il retient les autres qui, par tempérament, par qualité d’esprit, – car c’est souvent une qualité, il y a plus de lest dans les esprits qui résistent – sont au contraire pour le stationnement, pour le calcul longtemps balancé avant la résolution. » Il a aussi ces paroles d’une brûlante actualité : (…) » La République, c’est un gouvernement de démocratie, c’est le gouvernement qui est le plus fort de tous les gouvernements connus contre la démagogie. Pourquoi ? Parce qu’il ne gouverne et ne réprime ni au nom d’une famille ni au nom d’une maison, mais au nom de la loi et de la France » (…)
Chaque journal est un trésor avec ses tournures de phrases amusantes, ses échos attendrissants ou marqués par le malheur de la pauvreté matérielle et culturelle, ses annonces de réclame décalées et ses polémiques enflammées. Que du bonheur que de se plonger dans le passé et de picorer des brins d’une vie qui n’est que la nôtre en moins sophistiqué, en moins superficielle et en moins convenu. Un bain d’archives permet surtout de relativiser ce que nous considérons à tort comme essentiel ou dramatique. Çà fait un bien énorme.
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C’est vrai que lorsque l’on a mis le nez dans le site de la BNF (Gallica par exemple), on a de la peine à en sortir.
Cher Jean-Marie, je ne sais pas si cette plongée dans les vieilles pages de ces journaux sur lesquels nous avons mis notre griffe t’a fait du bien. En tout cas, aujourd’hui, je ne plonge plus que dans la lecture du « Canard Enchainé » et de « Roue Libre ». Mes seuls moments d’évasion et de liberté où l’écriture et l’intelligence guident mes pas chancelants.
Merci Canard, merci le JMD.
Cher Christian,
Je fus longtemps lecteur de Canard Enchaîné, ce qui n’est plus le cas maintenant qu’il se permet de temps à autre de hurler avec les loups, une amorce de virage à droite qui me déplait.
Il est vrai qu’avec l’âge, je ne m’arrange pas moi non plus.