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L’office dominical des dévots du ventre

Ils portent fièrement sur ce que l’on appellerait une panse rabelaisienne se confondant avec leur torse l’inscription en lettres rouges usées par les lavages « confrérie du veau ». Alors que l’hippodrome de Craon s’ébroue de l’averse fraîche de la nuit ils se sont déjà installés à l’une des tables du chapiteau dressé pour les agapes de la vielle qui se sont terminées il y a fort peu de temps. Un îlot de bonne humeur se créé au milieu d’une marée de tables désertées par des leveurs de coude cherchant à noyer leurs déboires de parieurs ou à fêter des réussites imprévues. Une rangée de verres fait le pied de grue au centre de « l’autel » où officient couteau affûté en mains le grand prêtre de l’andouille de Château-Gontier.

Des gestes précis, un talent consommé pour la fabrication d’hosties régulières entassées sur la nappe, une déconcertante dextérité pour ciseler les échalotes, René le charcutier officie au milieu d’une troupe pratiquant la messe basse du casse-croûte. «  Chez les Gautier nous sommes charcutiers depuis trois générations » explique-t-il quand on lui demande les composantes de ses créations appréciées dans un silence religieux. Lorsque l’on ose poser une question sur les ingrédients nécessaires pour faire l’andouille il lâche son slogan « Gautier souvent imité mais jamais égalé ». Impossible dans savoir plus.

« Les recettes sont top secret » ajoute l’un des ripailleurs distribuant le vin de la messe des copains d’abord. Devant l’insistance de l’étranger qui scrute un entassement de rondelles régulières et aguichantes selon un évangile de l’évêque Cochon. « Ce sont des andouilles fourrées avec des lardons et des morceaux de jambon » m’explique l’un des convives. Les machines à engloutir tout ce qui se trouve dans leur champ de vue se mettent en route. Elles ne différencient pas les types d’andouilles qu’elles croisent sur la table. Tout fait ventre.

Un foie gras maison ne résistera pas longtemps. Une terrine de pâté doucement bronzée sous une cuisson estivale diminue rapidement tant ils sont nombreux à vouloir s’en payer une tranche. Dissimulés sous des torchons ou des feuilles d’aluminium des charcutailles artisanales attendent de paraître dans la lumière. Elles ne survivront pas longtemps dans l’ombre. Inlassablement, au bout de la table, Pierre puise dans un sac géant d’échalotes de Roscoff et pèle les condiments indispensables à cette partie de campagne. Posées à même une tranche de pain des lichettes de cette « gousse » ovoïde dorée régalent des gosier s qui en effacent les effets par une rasade de Chardonnay.

Le « petit-déjeuner » s’élargit au fur et à mesure que par l’odeur alléchés les convives arrivent. Aucun d’entre eux n’est refusé. Bien au contraire il est invité au partage de ce qui ressemble à un office matinal de jours exceptionnels. Le ton monte. Les anecdotes fusent. On rit. On se congratule. La bonne humeur assaisonne la volée de plats qui envahit la table. Le jaune doré des verres devient le seul soleil du début d’une journée grisâtre. Nul ne songerait traiter ces Français de veaux tellement ils inspirent le bien-être dont on rêve. Le veau est un animal qu’il vénère plus mort que vivant. Ici tout se déroule à la bonne blanquette entre amis d’une certaine idée de la France.

Paulette derrière son comptoir ne revendique pas le titre de Reine des paupiettes qu’elle propose à une clientèle de gourmets ayant oublié leurs culottes courtes depuis belle lurette. Toute la filière qui par monts et par « veaux » promeut une cuisine d’antan débarrassée de ses gâte-sauce des fabrications industrialisées se retrouve pour défendre ses spécificités. A la table de Maître Jacques le charcutier l’éleveur, le maquignon, le restaurateur et le consommateur avisé partagent le simple plaisir de ces dévots vénérant les bienfaits du ciel. Cochon qui se dédie. Ils ne se font pas prier pour participer à ce rendez-vous dominical des Trois Glorieuses de Craon.

La Confrérie du veau n’aime pas qu’on lui prête la spécialité que n’être que des ventres. Ses membres veulent bien être mis à toutes les sauces mais pas à celle des gens sans volonté élevés sous la mère ou biberonnés au lait artificiel de la notoriété. Chez eux personne ne fait la tête. On rit et on sourit. On coupe et on recoupe. On grignote ou on engloutit. Dans le cœur de chacun un veau dort. Le leur n’est dans le fond qu’un prétexte pour des ripailles.

Lentement l’espace se remplit et s’anime. Quelques tables plus loin, le vin d’honneur se prépare. Les confrères patienteront pour enchaîner sur un casse-graine plus institutionnel et à midi passé ils changeront simplement de menu. Adieu, vaches et cochons ils reviendront au veau. Il faut bien assurer la promotion de leur raison d’être.

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Cette publication a un commentaire

  1. Gilles Jeanneau

    Lorsque j’étais jeune, j’étais habitué au « ventre de veau » . C’est ainsi que j’ai été amené à adorer les tripes …puisque c’est de cela qu’il s’agit, non pas à la mode de Caen mais à celle de ce coin de Gironde.
    J’aime d’ailleurs tout dans le veau comme dans le cochon: la tête de veau (de chez Datcharry à Peyrehorade, c’est la meilleure que je connaisse) et les andouillettes, les boudins et tout le reste….
    Allez bonne journée de ripailles

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