L’été officiel tire à sa fin. Il était marqué dans ma jeunesse par les fêtes dites de la Rosière à Créon qui se déroulaient le premier week-end de septembre. La rentrée scolaire décalée à la mi-septembre approchait et nous avions tout le temps pour rompre avec les plaisirs de ces longues vacances qui n’empêchaient pas l’ascenseur social au mérite, de fonctionner. Jusqu’à l’âge de 19 ans je n’ai jamais vraiment goûté à ces périodes de dépaysement synonymes désormais de qualité de vie. Je puisais dans la proximité les raisons de me changer les idées et surtout depuis mes 15 ans je tentais par divers boulots de glaner des subsides m’autorisant à devenir déraisonnable. Rien de bien extraordinaire financièrement mais seulement la possibilité de m’offrir des ponctuation de liberté.
Quelques francs légers puis lourds dans ma poche transformaient la fin du mois d’août. En fait les vacances débutaient en septembre. L’engagement dans le club de football avec les entraînements que je n’aurais manqué sous aucun prétexte m’a fourni la première opportunité de devenir « un » parmi les autres, « un » partageant avec les autres, « un » reconnu par les autres. Ce sentiment d’entrer dans le monde de l’action commune naissait avec les premiers matchs. Pouvoir également « faire les fêtes de Créon » constitua le plus grand bonheur de ces années « limonade ». En effet je n’ai pas connu davantage de plaisir dans ma vie que celui de pouvoir, avec mes propres deniers, en adulte consommer au Café de la Paix ou au Sport, aller au bal ou aux concerts de la Rosière, actions symboles pour moi de l’émancipation.
Ridicule direz vous ! Certes mais devenir adulte repose parfois sur des gestes symboliques forts. La fin de l’été avec ces billets que je tenais dans ma poche contribuait à me faire grandir. Commander. Être reconnu comme apte à payer. Prendre tout son temps pour siroter le breuvage « royal » qui avait été tant désiré. Le déguster avec le sentiment que je ne devais rien à personne. Autant de sentiments qui m’envahissaient en ces jours où j’allais passer de la liberté individuelle à l’enferment surveillé et codifié de l’internat. L’été 1963 fut le plus agréable de mon existence. Reçu à l’école normale, en possession d’un petit pécule de « facteur remplaçant » je pouvais aborder les champs encore inconnus de la liberté. Grâce à mon Solex, fier destrier permettant de sillonner les campagnes, je suivais les bals sur les planchers disjoints des salles dites champêtres. J’allais sur les stades ou je partais à l’aventure.
J’ai conservé deux ou trois réflexes de cette fin des années « collège ». L’un deux ne me quittera jamais. Je garde comme un signe précieux d’indépendance d’avoir au fond de ma poche une somme suffisante pour régler un café ou une consommation. D’ailleurs j’ai toujours le même réflexe : je touche, je compte et recompte mon modeste pécule car je suis hanté par la peur de ne pas pouvoir acquitter ma commande. Près de six décennies plus tard je ne parviens pas à me débarrasser de l’angoisse d’être insolvable. Même si le rosé a supplanté la limonade le réflexe reste le même. J’adore les pièces et les petites coupures car je ressens bizarrement une impression de « richesse » que je n’ai pas avec de « gros » billets. L’épaisseur de ce dont je dispose compte plus que le montant dont je dispose. Ne pas dépendre des autres. Avoir le libre-arbitre de partager, de vivre comme bon me semble constitue une constante. Une intense satisfaction.
Tous les matins au Petit Bar créonnais j’effectue un rentrée à l’école puisque je retrouve dans une cour de récréation celles et ceux qui partagent mes jeux. C’est vrai que dès que l’un manque à l’appel l’ambiance n’est pas la même. La tendance d’ailleurs serait de constituer un clan fermé. Je ne supporte pourtant pas ce comportement social et j’ai tendance à rechercher en permanence l’élargissement de ce qui ne saurait être un cercle. Début septembre durant les fêtes créonnaises le Sadiracais que j’étais (il y cependant cinquante ans dans quelques jours que j’ai été nommé instit à Créon) a eu bien du mal à s’intégrer dans la bande « bourgeoise » locale. Cette sensation de ne pas être admis au sein d’un groupe, je la retrouve de longues années plus tard quand dans des débats, des réunions, des échanges je reste considéré comme un « élu », un « individu doté d’un complexe de supériorité donnée par une fonction» et que l’on soit incapable d’oublier ce qui n’a été qu’un contrat à durée déterminée.
La période de la fin des vacances constitue une transition entre un passé plus ou moins agréable et un espoir de vie meilleure. C’est aussi celle de la découverte ou des retrouvailles avec ce que ces dernières comporte comme craintes. J’ai pris quelques billets et je vais m’asseoir à une terrasse inconnue, seul devant un verre dégoulinant de larmes de fraîcheur et je vais regarder passer les gens. Je repère celles et ceux pour qui c’est la rentrée…et plus pour moi !
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
« Les derniers jours bénis d’avant la rentrée ». Bénis? Oui, oui! c’est là qu’est le… ic.
S’cusez-moi, m’sieur.
Cher Jean-Marie, cette chute de billet « … et plus pour moi » me laisse avec un léger pincement au ❤️. Est-ce l’âge (le mien), sont-ce certains souvenirs militants de la fin des années 70 ?
Bref ! regardons les visages dutemps qui passe…