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Le jour où je deviens immigrant clandestin (2)

Le 5 novembre 2011 devient le jour où après avoir été suspecté au départ de Medellín en Colombie d’être un éventuel exportateur de produits illicites, je me suis retrouvé avec un vol Air France annulé à Caracas…et sans visa ! 

Dans le fond l’annulation du vol Caracas Paris n’aurait pas constitué un avatar insurmontable si je n’étais pas venu de Medellín ! Après que des groupes internationaux aient été constitués pour partir vers les hôtels nous nous sommes en effet dirigés vers la sortie de l’aéroport Simon Bolivar. Mon Irlandais mécanicien d’hélicoptère conduisait notre petite escouade. Devant nous un poste de police fortement armé avec des couloirs individuels pour accueillir celles et ceux qui souhaitaient entrer au Venezuela. En fait pour nous il s’agissait d’un passage obligatoire. Personne de la Compagnie pour nous accompagner. Tous mes compagnons franchirent l’obstacle passeport en mains sans grande difficulté. A la mine que fit le cerbère qui feuilletait mon viatique j’ai vite compris que suspect j’étais, suspect je demeurerais ! Il cherchait feuille après feuille quelque chose sans visiblement trouver ce qu’il escomptait.

En espagnol » vénézuélien » il me posa une question à laquelle bien évidemment je ne compris rien. Je voyais le groupe auquel j’appartenais s’éloigner sans se retourner. Il me montra en haut d’une page le mot « visa »… Je lui répondis avec quelques mots « no visa ! ». Il me dévisagea encore plus interloqué. Visiblement ma situation ne convenait pas du tout. Incompréhension totale. Il me regarda avec courroux et un certain mépris. Je baragouinais « Frances… Medellín… Caracas…Paris…. transit » Un seul mot l’interpella Medellín. Il referma le passeport appela à la rescousse une femme à l’uniforme chamarré. Au nombre de dragonnes et de fourragères qu’elle portait je compris qu’elle était d’un rang plus élevé.

La policière discuta avec son subalterne. Elle reprit mon passeport et l’éplucha. Comme il n’y avait rien de nouveau elle parut embarrassée. Elle me fit signe de la suivre. Deux cerbères porteurs d’une arme type mitraillette (ma culture militaire ne va pas plus loin) m’encadrèrent et nous partîmes vers une destination inconnue. Pour eux la situation était bizarre : j’entrais au Venezuela alors que je n’avais pas de visa et que j’avais accédé à l’avion sans le moindre tampon policier !  

Pendant ce temps les mousquetaires du vol annulé avaient disparu. Eux étaient en règle puisqu’ils étaient déjà dans le pays et avaient franchi les contrôles pour accéder au vol.  On me fit asseoir dans un couloir desservant de multiples bureaux. Quelques minutes plus tard je fus présenté à un militaire encore plus doré et garni de galons. Il me jaugea du regard. La policière lui tendit mon passeport et lui demanda probablement la conduite à tenir. Il regarda ma photo, me regarda. Il me demanda ma carte d’identité française. L’officier supérieur tenait un suspect étranger débarqué de Medellín et voulant entrer au Venezuela sans visa ! 

Après vérification pour la seconde fois de mon passeport il me demanda d’où je venais. En rassemblant les mots de mes racines italiennes je parvins à saisir le sens de sa question. Je lui répondis avec quelques mots « mission, vélo, Colombie, retour en France, vol annulé..  » Il finit par comprendre que je ne pouvais pas avoir de visa car avec mes billets il constata que j’étais passé en zone de transit. Avec un sourire éclatant il tamponna mon passeport et fit signe que l’on me relâche d’un geste de la main du genre « du balai…du balai ! » Il avait le visage de celui qui avait affiché son pouvoir et sa générosité. 

Mes accompagnateurs armés me ramenèrent dans le vaste hall claquèrent des talons et m‘abandonnèrent. Un beau cadeau car le lieu ressemblait à un désert. Où étaient passés les passagers du vol annulé ? Où devais-je me rendre ? Comment contacter quelqu’un? La panique. Je scrutais l’horizon. Au fond, très loin, j’aperçus ce qui ressemblait à un rassemblement immobile. Je tentais ma chance. A marche forcée je finis par rejoindre une troupe dans laquelle se trouvaient mes copains d’infortune. Je me retournais pour bien vérifier que les policiers ne me suivaient pas. Soulagement. c’étaient les derniers passagers qui patientaient. 

 L’Irlandais m’accueillit avec sympathie me demandant où j’étais passé. Le Palois me réconforta en me confiant que « certains avaient été mis en taule pour moins que ça. Ils se méfient de tout et surtout de ceux qui arrivent de Colombie ! » Ravi de l’entendre. Lui était accompagné 24 heure sur 24 d’un garde du corps local. Ingénieur dans la filière pétrolière il était considéré par Elf comme pouvant être enlevé contre rançon. Toutes les heures son surveillant l’appelait pour savoir si tout allait bien ! « L’équipe » internationale reconstituée embarqua la dernière pour une destination inconnue.

Air France avait réquisitionné des mini-bus d’une vingtaine de places. Ils étaient entièrement capitonnés avec les rideaux tirés qu’il nous fut recommandé de ne pas ouvrir. Au milieu sur l’avant une plateforme ronde couverte de moquette. Bizarre. Kylian m’apprit que c’était des bus servant pour des spectacles de strip-tease qui roulaient en permanence et récupéraient sur un circuit les clients ! Le véhicule hors d’âge nous a emmenés cahin-caha vers un immense hôtel de standing colonisé par l’armée qui fêtait un généralissime. « Il appartient à une maîtresse de Chavez » me glissa l’Irlandais qui vivait depuis des années au Venezuela après avoir bourlingué en Australie. Il était minuit passé et… toujours pas de chambre ! Je ne sentais pas très à l’aise au milieu de ces militaires en tenu de gala… Pourvu qu’il ne me demande pas mon passeport. Des hommes armés partout. « Chavez a dû passer ou va passer » me confia le réparateur d’hélicoptère. 

(à suivre)

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Cette publication a un commentaire

  1. A. Blondinet

    Prendre l’avion avec un Irlandais est une assurance. Il a toujours des ales avec lui, blonde ou brune, même si l’actualité ne laisse pas de rendre songeur. Mais toi, l’Italien, tu n’auras pas eu besoin de leur jouer de la Medellin aux hommes de Chavez pour les convaincre que tu venais juste pour découvrir l’arbre à cames.

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