You are currently viewing Le jour où le rêve de Bertal s’est évanoui (5)

Le jour où le rêve de Bertal s’est évanoui (5)

La naissance du musée souhaité par Antoine-Victor Bertal avait été mouvementée et très provisoire. Les sommes folles accordées à Créon avaient été dépensées. Mais le pire était à venir… Tableaux ; bibelots, œuvres léguées disparaissent peu à peu et définitivement le 1° juillet 1952

Les deux guerres mondiales ont sérieusement mis à mal les idées généreuses d’Antoine-Victor Bertal. Les 160 toiles exposées n’auront plus de conservateur le 22 novembre 1914 et le musée sera fermé à clé. Les subsides prévus en rente sur les capitaux donnés par l’enfant de Créon ne représentent plus rien. Tout a été dépensé. Le jeune Créonnais amoureux des arts, de la peinture et du dessin ne touchera que 25 francs en 1916 et les rosières 450 francs… On licencie le 1° janvier 1915 M. Graton le conservateur et par mesure d’économie on ne recrute pas de remplaçant. Les œuvres sont sans soins et moisissent. Un sursaut pousse le conseil municipal à envisager en 1920 « des mesures pour sauvegarder les tableaux car une douzaine d’entre eux ont souffert. Camille Lhoste adjoint remplaçant le maire pour quelques mois propose que André Adrier soit mandaté pour une expertise » Rien ne sera fait en ce sens.

En 1920 un nouveau conservateur arrive Pierre Gardère qui sera à son tour viré pour être remplacé par Jules Grenier. Il décède deux ans plus tard . Gabriel Marchés lui succède. Les querelles municipales s’intensifient. Le legs Bertal n’existe que par la seule fête de la rosière. Il faut attendre 1935 pour que Louis Allegran devient « garde musée » dans l’indifférence générale. Plus de visites, pas de restauration, pas de travail sur la valeur des œuvres. On en sort quelques-unes pour les placer à l’église, aux écoles et dans la mairie. Certaines disparaissent ou son maltraitées car retouchées ou… repeintes.

Durant la seconde guerre mondiale la Feldcommandantur installée à Créon sollicite la liste des tableaux valant plus de 100 000 francs. Une liste est dressée à la hâte. Aucun n’atteint cette somme car à l’origine Graton avait largement minimisé par manque de culture artistique. Un orage a partiellement brisé la verrière qui était sur le toit de l’Hôtel de ville et l’eau s’infiltre dans la salle du musée. L’humidité altère les toiles dont personne ne mesure l’intérêt. Il faudra que la délégation spéciale installé en lieu et place du conseil municipal décide ‘de remplacer au plus tôt les carreaux qui ont été brisés malgré les précautions prises par le gardien ». Tout bascule le 29 janvier 1952.  Un Inspecteur général des musées de province débarque à Créon pour vérifier l’exécution du testament. A la demande de qui ? On peut avoir une idée.

Chaban-Delmas s’installe à la tête de la mairie de Bordeaux. Il a recruté une conservatrice jeune, ambitieuse, dynamique et compétente pour relancer les musées de Bordeaux dont celui dit des Beaux-Arts. Melle Martin-Méry connaissait fort bien Robert Mesuret (1) qui dresse un rapport accablant pour la ville de Créon : « le local d’exposition (remarquez qu’il ne parle pas de musée) est trop éclairé (la verrière) et trop exposé aux écarts de température. L’essai de restauration qui a été effectué ne fut pas heureux car les toiles ont été plus abîmées qu’embellies. Seule une vingtaine d’entre elles gardent leur valeur ! » Si rien n’est entrepris le musée sera définitivement fermé et le legs Bertal ou plutôt ce qu’il en reste sera saisi par l’État. Le Préfet est formel : « il faut restaurer les tableaux et les protéger ! »

Les élus créonnais « pour éviter des frais à la commune demandent que ce travail soit effectué par l’inspection des musées » et acceptent que « les œuvres soient mises en dépôt dans un musée ,national. » Robert Mesuret saute sur l’opportunité et partage le patrimoine entre… le musée de Bordeaux (les plus belles 41 peintures) et celui de Libourne dirigée par M. Martrinchard ravi de récupérer plus de soixante-dix dessins, gravures et peintures. le 1° juillet 1952 la volonté de Bertal qui avait déshérité sa famille au profit de Créon, est bafouée. Près d’un tiers de ce qu’il avait accumulé a disparu ou a été saccagé. le reste part vers des destinations non souhaitées par son testament. Le « hold-up » est parfait ! 

Michel Bastiat élu en 1959 va se battre pour récupérer le legs. Le 14 novembre 1964 il écrit à ses collègues de Bordeaux et de Libourne pour récupérer le patrimoine artistique placé selon les termes de l’arrêté de manière « précaire et révocable » dans les musées extérieurs. Réponse : une somme folle est exigée pour ans d’entretien et de conservation. Il arrache le 26 mai 1966 l’accord de Bordeaux car Jean Chatelain directeur des musées de France avait donné son accord ! Il ne rentre à Créon que trente-six œuvres (quatre ont disparu!). Impossible de relancer un musée avec si peu d’œuvres. Le rêve de Bertal qui voulait « faire le bien et donner à ce charmant pays » qui fut le sien « de la distraction et l’aspect d’une ville plus importante qu’elle ne l’est en réalité » n’avait pas résisté à l’indifférence !

(1) Robert Mesuret, né en 1908 et mort en 1972, est un historien de l’art et  conservateur de musées originaire de Bordeaux et établi à Toulouse, spécialiste de l’art du sud-ouest de la France.

Ce champ est nécessaire.

En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Cette publication a un commentaire

  1. A. Blondinet

    Un Bertal, des Berto… lucci. Avec eux, on croit toujours que c’est le dernier. Bernardo nous avait fait le coup avec son Dernier Tango à Paris, puis à remis ça avec Le Dernier Empereur.
    Signé: Rital Hayworth.

Laisser un commentaire