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Le jour où j’ai pu enfin mouiller le maillot

Durant quelques années les débuts des mois d’août avaient pour moi des allures de rentrée. J’ai même attendu avec une vraie impatience le jour où je pourrais accéder à des moments collectifs que j’appelais de toutes mes forces. J’en rêvais la nuit et je ressassais sans cesse la liste de tout ce qu’il serait nécessaire de rassembler pour être au rendez-vous. Pas question d’arriver fort démuni lors de ce moment que j’avais tant espéré. Surtout que cette année là je devais débuter dans l’équipe fanion du Club Athlétique Créonnais. Personne ne m’aurait retenu pour me rendre au premier entraînement sur une pelouse bosselée valant pour moi celle du Parc Lescure. Tout au long des vacances je ne vivais que pour ce jour !

D’abord il y avait eu des chaussures neuves que les heures de travail estival accompli selon toutes les opportunités possibles, me permettaient d’acquérir lors d’un déplacement spécifique au « Palais des Sports» bordelais du Cours Alsace et Lorraine. Le choix dépendait essentiellement des possibilités financières du moment. Celle à crampons moulés avec deux bandes blanches sur le coté n’avaient pas le même standing que celles qui possédaient les mêmes accessoires en aluminium pouvant se visser. Tant pis. On verrait plus tard. Il y a soixante ans je rejoignais en effet l’équipe de football bien que junior l’équipe fanion du CAC qui descendait de Division d’Honneur. Nul n’avait plus de fierté, de bonheur et de motivation que moi !

Le poster de Nestor Combin avec son compère Fleury Di Nallo épinglé au-dessus de mon lit attisait ma convoitise d’exploits sur un terrain réel, contre une équipe réelle et avec des équipiers réels. Les joutes face à mon frère bien plus doué que moi, ne suffisaient plus à meubler cette attente de devenir un « vrai » joueur de foot. Dès que le vendeur ambulant de boissons gazeuses et autres, qui cumulait son métier avec le poste de secrétaire du club de football créonnais nous informa qu’une licence m’attendait au Café de la Paix, je ne tins plus en place.

Les photos chez Monge, la visite chez le docteur Jarry furent bouclées en un rien de temps. Le précieux viatique vers les joies du sport collectif obtenu il suffisait d’attendre la première convocation à… un entraînement. J’y serais allé tous les soirs s’il avait fallu. Or nous fûmes invités le premier dimanche matin d’août à nous rendre au stade municipal pour se mettre sous les ordres de Benito Delgado un ancien pro espagnol assez décontracté. J’y retrouvais en 1965 quelques copains de l’équipe juniors (Piazza, Cassagne, Lanusse, Faure et Odry), un cadet surclassé (mon frère Alain) pour entrer dans la dimension collective qui me manquait tant, et des joueurs en fin de carrière (Pierre, Galand, Bonardo, Alexandre…) ou au top (Passet-Lacrouts). Tous les éléments rémunérés qui avaient participé à la montée en DH et à une saison difficile étant partis il fallait faire confiance aux jeunes en promotion d’Honneur. Je buvais les paroles de l’entraîneur. Je regardais jouer les seniors. Je me faisais le plus discret possible dans le vestiaire. Il ne fallait surtout pas gâcher le bonheur d’être admis chez les « grands ».

Tout au long du mois d’août les retrouvailles dominicales me ravissaient. Pas question de manquer les entraînements qui avaient été confiés pour la préparation physique à jean Meynard, professeur d’éducation physique de l’école de Santé navale de Bordeaux. Rien ne me rebuter. L’intensité des séances me plaisaient et je mettais un point d’honneur à terminer dans les premiers comme si toute ma carrière en dépendait. J’avais une peur bleue de ne pas figurer dans la formation devant débuter en match amical sur le terrain de Floirac. Ce ne fut pas le cas mais ma déception fut grande quand on m’attribua en raison de ma vitesse de course le poste d’ailier gauche (déjà) puis pour diverses défaillances celui de défenseur central ! Mes fantasmes de buteur étaient une tantinet ébréchés mais dans le fond l’essentiel était assuré : je jouerai !

Dans les vestiaires en planches disjointes je reçus donc avec délectation un maillot blanc, un flottant (le mot short n’existait pas dans le vocabulaire) et une paire de chaussettes bleu marine. L’équipement appartenait au club et nous devions l’entretenir ce qui ravit ma mère quand je lui rapportais une tunique frottée à un terrain manquant de pelouse. Jamais je pense je n’ai enfilé une tenue avec autant de plaisir. Je n’ai d’ailleurs aucun souvenir du résultat de la rencontre. Le sentiment que cette rentrée me parut plus belle que celle de l’école normale reste lui bien présent en moi quelques décennies plus tard. Et tout au long de l’année scolaire ma peur de ne pas pouvoir sortir pour aller jouer me tenaillait le samedi au moment de l’annonce des sanctions liées aux notes.

Jouer. L’essentiel a toujours été pour moi de jouer. Durant les douze saisons qui suivirent quel que soit le poste occupé et le niveau, ce plaisir ne m’a jamais quitté. « Vraiment le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. ». Ce constat d’Albert Camus reste ancré en moi et ne me quittera jamais. Il m’arrive encore souvent de marquer  des buts exceptionnels qui éclairent l’écran noir de mes nuits blanches. Combien je voudrais retrouver mes chaussures à crampons moulés, mon maillot blanc et mon flottant bleu en ce mois d’août ! 

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Cet article a 3 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Le « Grand Camus » guidera toujours nos pas…

  2. Gilles Jeanneau

    Oh oui, j’aimerais revivre moi aussi ces débuts de mois d’août où <l’on ne craignait ni le soleil ni la pluie pour aller préparer la saison de foot sur le stade qui ne rivalisait pas du tout avec la pelouse de Lescure (ou même celle de Galin où j’ai eu le plaisir de jouer un jour….)
    Allez bonne journée quand même!

  3. A. Blondinet

    Dis donc Jean-Marie, tu m’en bouches un coin en m’apprenant que tu avais Jean Maynard comme préparateur physique. Fort heureusement qu’il s’écrit avec un Y… Mais quand tu me parles du CAC, ne me dis pas que tu portais le n°40!
    Bises à tou(te)s.

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