Dans le foyer 1000 Clubs, accordé en kit par le Ministre des Sports et qu’ils avaient contribué à animer, Christian, Patrick, Pierre et Régis, rêvaient du jour où ils se produiraient sur scène. Ils répétaient autant que leurs études le leur permettaient. « Nous ne connaissions absolument pas la musique. Nous jouions à l’oreille et avec des repères en se repérant à leur manière sur nos instruments se souvient Pierrot. Nous avions en commun une passion pour le rock brutal et puissant avec ACDC ou Motorhead et c’étaient nos références. Les voisins de la salle créonnaise n’appréciaient pas autant que nous » ajoute celui qui ne se qualifiait pas de « chanteur » mais plutôt de « hurleur » de la bande. La sonorité du lieu n’était en effet des plus favorables à leurs pratiques musicales.
Patrick, par ailleurs éminent footballeur en cette année 1979 se démenait derrière une batterie dernier cri, Régis s’acharnait sur sa guitare électrique et Christian donnait le tempo sur sa basse. L’improvisation restait la loi commune. « Nous avons créé nos morceaux séquence après séquence, en les enrichissant au fil des mois. Notre répertoire était donc totalement inédit car né de notre intuition. » Pierrot hurlait donc ses propres paroles. Un apprentissage long et fastidieux les conduisit à se déclarer prêts pour livrer leur travail en première partie d’une soirée destinée à marquer les esprits.
« Le rock était un phénomène des villes explique Pierrot. Nous avons eu l’idée de revendiquer la création du rock rural. » C’est ainsi qu’après avoir choisi le nom des « Stillers » et avoir effectué quelques réglages dans des salles spécialisées bordelaises, les Créonnais se retrouvèrent le 30 décembre 1982 à Sauveterre de Guyenne où un certain Eric Roux se lançait déjà dans la programmation de sa passion de rockeur éclectique. L’expérience déstabilisatrice pour un public abasourdi par les décibels envoyés eut le privilège d’étonner. Vint alors à la mi-1982 l’idée d’éditer un microsillon fixant de manière définitive les créations des Stillers.
Patrick ayant quelques relations dans le milieu des « labels dépendants » et surtout des liens s’étant noués lors des concerts avec des groupes plus avancés dans la démarche le quatuor créonnais obtint l’adresse d’un studio et d’un distributeur potentiel. Chacun apporta ses économies pour monter à Choisy le Roi pour un jour et demi d’enregistrement. Une sacrée expédition au cœur du mois d’août entièrement autofinancé avec des apports personnels et des partenaires rassemblés dans une lite à la Prévert.
« Nous n’avions aucune expérience. Nous avions tout à apprendre. Une équipe sympa nous a aidés. Patrick à la batterie et Christian furent les premiers à enregistrer. Régis a suivi et enfin j’ai pu ajouter les paroles. Ce fut du spontané et il n’y a pas eu beaucoup de prises différentes. Nous avons enregistré trois titres avec notamment le plus bref de l’histoire du rock explique Pierrot. Il restait en bout de piste 23 secondes. Nous avons décidé de les utiliser. Il y a donc sur le 45 tours un titre d’un peu plus d’une vingtaine de secondes, ce qui le rend unique ».
L’aventure dans la capitale n’était pas terminée car les quatre mousquetaires du rock rural avaient eu envie d’utiliser pour la pochette du disque une photo parue dans Hara-Kiri, magazine correspondant à leur mentalité provocatrice. Restait à obtenir l’accord du fameux Professeur Choron directeur de la publication. Ils ne reculèrent pas devant l’obstacle prenant rendez-vous au journal. Choron les accueillit avec une méfiance sympathique. Ils expliquèrent leur projet. Il fut conquis et accepta en disant : « un caisse de Bordeaux fera l’affaire ! » Les visiteurs avaient prévu le coup. On déboucha donc les bouteilles et on trinqua à l’accord au sein de la rédaction. Un moment inoubliable.
Un millier de 45 tours arrivèrent quelques semaines plus tard. La la presse spécialisée s’empara de cette sortie originale ce qui valut au premier groupe de rock (et finalement le seul) rural une entrée officielle dans la discographie officielle. Ils le placèrent partout dans tous les magasins possibles. « Il y en avait même aux établissements Truant vendeurs de matériaux » précise Pierrot. Tous on été placés et vendus. Les demandes de concert se firent plus nombreuses.
Ainsi le mercredi 6 juillet 1983 dans la boîte le Saphi à Biscarrosse où ils avaient décroché un contrat, le groupe ne put véritablement démontrer son talent. Le rock rural échauffa tellement une salle déjà bien «imbibée » qu’une bagarre générale éclata contraignant les vedettes de la soirée à battre en retraite. Le « hurleur » devint vite célèbre ! Alors qu’ils n’en buvaient pas les musiciens créonnais devinrent des ambassadeurs d’un liquide jaune dont un verre figurait sur la pochette de leur seul et unique disque.
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ACDC, on connait : alternatif ou continu, continu ou alternatif, le courant passe mais, question du curieux et non moins ignorant et béotien de service : qu’est ce que ça signifie « Stillers » ?
Bonjour @J.J. !
« Stillers » ? ? Moi aussi, la curiosité m’a tenaillé ! Donc → Google → traduction → anglais/français → copier/coller et … Oh… Désastre (!), à consommer avec modération ( ! !): ALAMBICS ! ! ! C’est alors que l’on comprend mieux « ambassadeurs d’un liquide jaune » ! ! ! !!!☺
Amicalement
En anglais, Stiller signifie « tranquille ». En français, le verbe stiller signifie « couler goutte à goutte ». Tout un symbole
Bonsoir @Pierre Lascourrèges !
Merci d’apporter du liquide à mon alambic qui, par principe … coule goutte à goutte… tranquillement ! ! ! ☺
En souriant,
Amicalement
Il a bien longtemps, déjà, j’avais pris la plume pour écrire un papier sur les Stillers. Un événement pour moi dans ma carrière de journaliste à Sud-Ouest. J’ai obtenu l’interview exclusive du leader du groupe qui, pour son passage au Liburnia devant une foule déchainée, avait envisagé de faire monter une vache, puis un tracteur sur les tréteaux. J’étais tellement intimidé que je l’ai appelé Peter Gabriel. « Squiouze mi soeur », je lui ai dit. Ma langue a… fourché ». « Pas grave petit, m’a-t-il répondu, les Stillers font du rock rural. Mon prénom est Pierre ». Holà! C’est pas banal. Un Stone, quoi?
Un grand moment ce concert au Liburnia. Juste avant de passer sur scène, je me souviens avoir vomi à mes pieds. A mettre sous le coup de l’émotion.