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Le jour où Jean-Jacques a cru voir le Père Noël

Notre ami Jean-Jacques se souvient du jour où il n’a plus cru dans les pouvoirs spécifiques du Père Noël. 

« Ma grand-mère était une fervente catholique, à la limite de la bigoterie, comme cela était fréquent à l’époque ; elle entretenait une correspondance avec des prêtres, leur demandant des conseils qui ne s’avérèrent pas toujours judicieux. Elle avait une cousine éloignée, moniale dominicaine à Paray le Monial, où s’illustra la célèbre visionnaire Marguerite Marie Alacoque (défendu de rire !!!), qui était la gloire spirituelle de la famille.

Son fils (mon oncle) avait été séminariste, mais au moment de prononcer ses vœux, il n’avait pu se décider à sauter le pas et avait entrepris une carrière dans l’armée (passé du goupillon au sabre, comme diraient de méchantes langues). Il est cependant resté très croyant toute son existence, et garda des liens avec ses camarades de séminaire, qui furent quelque peu ambigus du temps de leur jeunesse, si j’en juge par les courriers que j’ai retrouvés dans le grenier et les allusions qui se faisaient parfois à  » bas bruit  » dans la famille.

Bien que ma grand-mère ait fait couper court aux relations que ma tante avait nouées, dans ses jeunes années, avec un jeune homme, sous prétexte qu’il était juif (fi ! un déicide !), elle eut cependant pendant l’occupation une attitude très digne à propos de la persécution des juifs. Lors d’un séjour au Maroc, elle avait résidé dans un quartier populaire où juifs, chrétiens et musulmans vivaient en bonne intelligence, cela lui avait fait remettre en cause l’animosité entretenus contre les pratiquants d’autres religions.

Lorsque j’eus 4 ans, on m’inscrivit au  » jardin d’enfant  » (mettre les lèvres en avant, en cul de poule, et prononcer : « jordin d’onfon ») dans un établissement confessionnel mené de main de maître par une demoiselle licenciée ès bigoteries. C’était une grande femme sèche, non dépourvue d’élégance malgré sa longue et sinistre robe noire, le cou souligné d’une bande de gros grain blanc (son  » collier de chien « selon une irrévérencieuse appellation), symbole ostentatoire de virginité.

En plus des activités propres aux écoles maternelles, nous étions soumis à des exercices religieux fréquents : messes, prières en début et fin des demi-journées d’activité, séances d’instruction religieuses etc.… C’est là que j’ai commencé à me faire remarquer à mon désavantage : ces cours étaient donnés soit par des institutrices ou surveillantes, soit par la directrice elle-même ; et parfois les versions des mythes que l’on nous contait variaient par quelques détails. Déjà maniaque de l’ordre et de l’exactitude, déjà fortement pinailleur, et peut être un peu contestataire  » de bonne volonté  » je ne manquais pas de relever ces détails :

Vous dites ceci, et pourtant la dernière fois, Mlle X a dit cela. « 

Ce qui me fit attribuer l’épithète de  » petit raisonneur  » et la réputation d’avoir la tête dure.

Une partie du programme consistait à nous persuader des dangers que représentent les hérétiques, mécréants et surtout les païens et les idolâtres. Les païens ! L’horreur absolue, l’abomination de la désolation :  » Entendez vous dans nos campagnes, mugir ces féroces païens !  » Adorateurs d’idoles, de surcroît !

Une autre partie du programme était consacré à l’enfance du Christ (pas l’oratorio de Berlioz) : un petit blondinet gentil, la tête ceinte d’une auréole, doux, charmant avec ses camarades, avec lesquels il partageait son goûter, et autres niaiseries de même farine.

Ce culte du Christ enfant je crois persiste encore ; il y a quelques années, me promenant un dimanche matin au marché de la rue Mouffetard, j’avisais, s’apprêtant à entrer dans l’église saint Médard, une jeune dame bien mise, tenant par la main une petite fille fort élégante, et s’efforçant de dompter de l’autre main un jeune forcené qui criait, trépignait, pleurait. Et la bonne dame de s’exclamer :  » Voyons, Gontran ? Enguerrand ? Amaury ? (je ne me souviens plus) Cessez immédiatement cette comédie ! Vous allez fâcher le petit Jésus ! « . Pauvres enfants !

Nous chantions également une chansonnette à la gloire du personnage :  » Le petit Jésus s’en va à l’école,

En portant sa croix dessus son épaule (ça devait être une croix modèle junior Babygros, qui grandit avec l’enfant, et la maîtresse devait se demander : que fait-il donc avec ces deux morceaux de bois et ce cercle brillant autour de la tête ?)

Quand il savait sa leçon (Tiens, il ne la savait donc pas toujours ? Pas si parfait que ça le mignard !)

On lui donnait des bonbons

Une pomme douce

Pour mettre à sa bouche

Un bouquet de fleurs

Pour mettre à son cœur. »

Pardon pour ces commentaires que d’aucun pourraient peut-être trouver blasphématoires.

Je trouvais cela très mièvre et nigaud, et je me suis longtemps posé des questions sur ce culte : comment peut-on fantasmer sur un personnage que l’on considère quasiment comme vivant, et pour lequel on ne possède aucun document de l’époque, dans une sorte de vie parallèle, alors que l’on a conté sa vie à l’âge adulte et sa fin tragique ?

C’est à peu près à cette époque que j’ai vécu une expérience étonnante. C’était l’après-midi de la veille de Noël. Nous nous apprêtions à nous rendre à la messe de minuit, qui, à cause du couvre feu, était célébrée à cinq heures de l’après midi. Avant de partir, il convenait que j’installe une de mes paires de chaussures devant la cheminée, selon la tradition ; car le père Noël devait passer pendant que nous étions à la messe. Il était sans doute tenu lui aussi de respecter le couvre feu, et d’ailleurs c’eut été imprudent de circuler la nuit : imaginez le drame si les artilleurs de la Flak avaient confondu son traîneau et ses rennes avec un Spitfire, un Lancaster ou un De Havilland Mosquito !

Au moment de partir, je m’avisais que j’avais oublié quelque chose dans ma chambre, je m’y rendis donc. Lorsque j’ouvris la porte, je fus saisi de terreur, refermais doucement la porte et restais bouche bée, le cri que je voulais pousser retenu dans ma gorge nouée (voir le célèbre tableau d’Edvard Munch : Le Cri).

Me voyant blême, tremblant, suffoquant, mes proches me demandèrent ce qui m’arrivait et je répondis dans un souffle :

– » Je viens de voir le Père Noël, il est dans ma chambre ! « .

Réponse embarrassée :

– Mais non, voyons, arrête de dire des bêtises !

Mais je persistais malgré tous les arguments développés pour me persuader du contraire (sauf évidemment à reconnaître que le Père Noël étant un mythe, je ne risquais pas de pouvoir le rencontrer !).

J’avais bien vu le père Noël, à genou devant la cheminée, avec une sorte de capuche marron sur la tête, il ne fut pas possible de m’en faire démordre, et aujourd’hui encore, je cette revois cette scène, une pure hallucination. Lorsque je découvris plus tard que cette histoire de Père Noël n’était qu’une carabistouille, que les grandes personnes s’amusent à propager pour s’amuser de la naïveté des enfants, je me suis posé des questions autrement plus graves. Le Père Noël est une fiction savamment entretenue auprès des jeunes enfants ; sous l’influence et l’autorité des adultes ; ils ne sont pas encore capables de former un, jugement critique.

 

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