Dans le nuit au 24 au 25 septembre l’estimé commissionnaire créonnais Pierre Teillet était lâchement assassiné au lieu-dit Bel air sur la route entre Créon et le village de Lorient Sadirac. La nouvelle de ce crime s’est répandue comme une traînée de poudre dans la ville bastide d’où était originaire la quadragénaire. Les conditions dans lesquelles le transporteur a été froidement exécuté a transformé sa mort en affaire nationale. Tous les journaux du matin et du soir ont immédiatement répercuté l’information. Les spécialistes des faits divers de « La Petite Gironde », de la « Gironde » ou de la « France » ont pris l’axe routier peu carrossable de l’Entre Deux Mers. Ils avaient été précédé par le Parquet assisté du plus célèbre médecin légiste français le Professeur Paul-Louis Lande. Ce déplacement donnait déjà au jour où… Teillet avait perdu la vie une dimension exceptionnelle.
Créon est en émoi. Au cours de son enquête dans les commerces et les cafés autour de la Place de la Prévôté le reporter de La France souligne dans l’édition du 27 septembre le malaise général qui vire à la psychose. « « Non seulement l’émotion provoquée par le crime de Sadirac ne s’est pas encore éteinte dans cette contrée qu’anime de pittoresque et de vie intense, le noble travail des vendanges, mais elle est encore augmentée d’une angoisse qui nous a frappé » écrit-il dans son quotidien. On craint que toutes les investigations de la police mobile émanation provinciale des fameuses Brigades du Tigre ne puissent aboutir à la découverte de la vérité et à l’arrestation de l’assassin.
« On redoute la présence permanente de ce bandit dans la foule des honnêtes gens. On vit actuellement (…) dans la terreur de son fusil.» ajoute le journaliste qui suit pas à pas l’enquête. Il est vrai que le déploiement de forces de police de la brigade du commissaire Monteil est impressionnant. Les inspecteurs Périvier, Domer, Durès, Garnung et les gendarmes locaux ratissent le terrain et questionnent le plus grand nombre de personnes. Les énquêteurs très éloignés des réalités créonnais (on leur reprochera par la suite) écoutent surtout les « accusations » de comptoir. Une demi-douzaine de suspects sont donc vite ciblés.
L’inspecteur Garnung refait pour sa part le parcours du commissionnaire à Bordeaux au cas où quelqu’un ait eu vent d’un encaissement exceptionnel et, ayant précédé, Teillet l’ait attendu sur le chemin du retour vers son domicile. Ses conclusions vite rendues écartent cette hypothèse puisqu’il apprend que le transporteur avait très peu d’argent sur lui puisqu’il avait dû débourser pour les commandes d’achats passées plus de 250 francs. Celle d’un chemineau ou d’un vagabond aussi. L’assassin est un « local ».
La liste des suspects donnée par la rumeur publique est assez précise. Voici la description qu’en brosse le journal « La France de Bordeaux et du Sud-ouest » dès le mardi 27 septembre : « l’un parce qu’il était contrebandier connu ; l’autre parce qu’il recherchait de mauvaises compagnies et fréquentait les cabarets où il s’oublie trop tard ; un troisième parce qu’il était sans ressources et qu’il aurait effectué, le lendemain du crime, un achat d’ailleurs insignifiant ; un quatrième parce qu’il a eu maille à partir avec la justice et qu’il est sujet à caution ; un cinquième parce qu’il est arrivé récemment au pays avec une réputation défavorable et d’autres enfin pour de semblables motifs ont été l’objet d’un examen spécial. » Les Créonnais réclamaient des perquisitions. Tous connaissaient le coupable.
Le juge Lefranc délivra donc des commissions rogatoires et fit même fouiller la douve à la recherche de la sacoche ou du fusil. En pure perte. Les unes après les autres le dénonciations se révélèrent inexactes. Tous les « accusés » avaient un alibi fiable et un reporter reconnaissait même que « l’on avait d’eux qu’une opinion défavorable mais aucun indice qui permettait de les compromettre complètement (…) »
L’inspecteur Durés recueille toute la journée et toute la nuit les témoignages des professionnels qui n’avaient pas, malgré leur crainte, arrêté leur déplacement pendulaire vers Bordeaux. Celui de Targon aurait fourni à un habitant de Créon une information intéressante : «j’ai aperçu à plusieurs reprises un homme armé d’un fusil sur le lieu-dit Bel Air. » Il confirma sa déclaration devant le juge Lefranc qui s’est spécialement déplacé pour l’entendre. Enfin une piste.
Il ne restait donc qu’un seul individu sur lequel portait encore quelques soupçons. « Un personnage qui mérite par son attitude, par sa réputation, par ses difficultés financières un complément d’enquête » décide le juge d’instruction. C’était celui que la vox populi persistait à voir comme un coupable certain. La police se rendit chez lui, perquisitionna et vérifia toutes ses fusils. Son emploi du temps s’arrêtait à minuit. Tout coïncidait. Ou presque.
Le commissaire Tuaillon, patron de la 9° brigade territoriale de la police mobile en rendant compte au juge Lefranc de l’interrogatoire mené souligna que « rien n’indiquait dans ses réponses que le suspect ait la conscience chargée par le crime du 25 septembre ». Mieux le coupable potentiel ne nia même pas qu’on ait pu le voir avec un fusil la nuit car dit-il « il chassait régulièrement la fouine ! » Il restait cependant trois ou quatre détails sur lesquels il devrait s’expliquer. L’un provoqua le doute : parmi les chevrotines trouvées dans le corps et sur la route, l’un s’était révélée être la bille d’un roulement d’attelage. Comparaison donc impossible avec celles saisies chez le suspect.
L’inspecteur Durés tenta une confrontation entre le commissionnaire de Targon et le coupable présumé. Elle se déroula à la justice de Paix de Créon le mercredi 28 septembre à dix heures. « Je ne le reconnais pas formellement bredouilla le transporteur. Il lui ressemble pourtant beaucoup mais je ne suis pas certain que c’est lui. » C’était mal parti ! L’unique piste s’estompait.
Le mardi 26 septembre au matin les obsèques du malheureux commissionnaire s’étaient déroulées en présence d’une foule considérable pour Créon. Les conversations avaient surtout tourné autour de l’auteur de cet assassinat… Chacun avait son idée. Le climat devint délétère. La presse omniprésente puisque les Parisiens étaient arrivés s’en régalaient.
(A suivre)
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Il va falloir attendre lundi avec impatience pour avoir la suite de cette histoire qui pourrait effectivement figurer dans la fameuse série des Brigades du Tigre.
Tout y est : la torpédo conduite à droite, les moustaches, la pipe du commissaire, les coiffures (superbe la casquette du personnage à l’arrière : Moi !!!).
à lundi donc… Si le cœur vous en dit !