Nous approchons du « réarmement de l’Éducation nationale » avec des mesures phares annoncées comme des solutions à l’échec croissant des enfants et des jeunes dans le système. Après avoir vanté les mérites d’une école privée dont on découvre combien elle participe à un enseignement qui endoctrine plutôt qu’il ouvre les esprits, nous enchaînons sur des annonces gadgets ou déjà mises en œuvre. Dans les mois qui viennent le Président surveillera la couleur et la longueur des tabliers qui seront distribués dans les communes soucieuses de masquer d’autres carences sociales sur leur territoire. La stratégie est toujours la même : mettre un drap propre sur la vaisselle sale pour dissimuler ce que l’on ne sait pas régler.
Si l’on fait le tour des opérations de chirurgie esthétique proposées pour redonner du punch au malade qu’est le système éducatif il est aisé de démontrer qu’elles n’ont qu’un intérêt limité. Toujours cette idée obsessionnelle moderne de s’attaquer aux apparences sans jamais tenter de régler le fond. Trop dangereux. Trop audacieux. Trop grave dans une période où il n’y a pas un euro pour financer quoi que ce soit. Il faut donc abreuver les assoiffés de l’élixir « avant c’était mieux » marque populiste et populaire qui marche à tous les coups. Chaque fois on oublie de préciser la raison pour laquelle les « nouveautés » remises au goût du jour ont disparu : pas de crédits pour les poursuivre ou plus d’engagement bénévole ! D’ailleurs à ce propos quelqu’un aurait pu lui dire que la remise des diplômes (Brevet et bac) s’effectue déjà depuis une décennie.
Prenons l’exemple de la citoyenneté qui semble avoir séduit bien des observateurs. « Le président-ministre de tout » a annoncé vouloir « une instruction civique refondée » à l’école. Cela impliquera un volume horaire doublé, ainsi qu’une heure par semaine dès la classe de cinquième, « avec en appui les textes fondateurs de la Nation ». Il s’agirait ici d’un doublement de l’enseignement moral et civique déjà évoqué par Pap Ndiaye, alors ministre de l’Éducation, en juin dernier. Il faudra maintenant dire quels cours seront supprimés pour ouvrir cette possibilité . Français ? Non. Maths ? Certainement pas ? Sciences de vie ? Pas question. Sport ? Inimaginable après le résultats des J.O. Langues vivantes ? Impensable si l’on se fie au niveau. Alors on attend !
En fait à mon époque de vieux con, la citoyenneté dès l’école élémentaire se construisait en la pratiquant dans le fonctionnement de la classe. C’est une affaire de pratiques et un apprentissage constant. Être citoyen c’est participer et être associé à son éducation. Devenir citoyen c’est apprendre à ne pas subir. Il existait des structures permettant l’engagement collectif. A l’école les « coopératives scolaires » lorsque les enfants en étaient les acteurs, constituaient des creusets essentiels de la prise de conscience des mécanismes démocratiques. J’aurais tant d’anecdotes à ce sujet et mes anciens élèves aussi… J’en suis certain.
Analyser et ensuite construire à travers tous les médias scolaires sa propre information. Comprendre les choix de hiérarchisation, éveiller le sens critique, développer le goût pour la communication vers les autres ne s’enseignent pas mais se vivent, se partagent, se bâtissent. Une heure en cinquième ne changera pas profondément les comportements et transformera simplement ce qui devrait être de « l’éducation civique » en « instruction civique .
Dans les collèges et les lycées les foyers socio-éducatifs végètent faute de moyens matériels et humains. Ils furent le creuset de mai 68. On y faisait de la photo, du « ciné-club », du théâtre (mais oui ça a existé) de la musique, de la gestion de lieux, de l’édition d’un journal, des activités culturelles diverses avec ce que ça comporte comme prise en compte de l’intérêt général et des obligations relevant de la citoyenneté. Pourquoi ne pas les relancer avec des jeunes animateurs ? Les sorties scolaires n’existent quasiment plus. Le système s’est recroquevillé. Il s’est schlérosé.
En 1986 en Gironde une enquête rapide avait permis de vérifier que plus de 60 % des enfants ou des jeunes du milieu rural ne connaissaient de Bordeaux que le CHU et le site de Auchan Lac. Plus de 80 % d’entre eux n’avaient jamais mis les pieds dans un musée, au théâtre ou toit bonnement dans le milieu urbain. L’inspecteur d’Académie d’alors avait décidé de créer la « centre des classes culturelles » réservé aux élèves hors métropole avec prise en charge du déplacement par le Département pour les accueillir. Une idée qui existait à Rennes et à Nice. Il fallut convaincre mais l’appui institutionnel était entier et fut durable. J’ai été en charge de la mise en œuvre de cette initiative. Plus de 50 000 gamins ou de collégiens ont durant la quinzaine d’année où nous avons officié avec mon camarade Serge, bénéficié de ce Centre… atypique géré par le biais de l’économie sociale et solidaire.
L’éducation à l’art ou l’accès à la culture ou à la citoyenneté passent davantage par de telles innovations que l’ajout dans les programmes de cours spécifiques. Mais bien évidemment il indispensable de se contenter d’empiler les cours pour répondre à l’inévitable poncif voulant que l’école soit responsable de tous les maux de la société… alors qu’elle n’en est que le reflet.
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Bonjour Jean-Marie. J’ai bu comme du p’tit lait ta chronique du jour. J’en reste là: panne des sens.
Tu décris l’école telle que nous avons eu la chance de la connaître.
Nos savant politiques pensent que que l’uniforme va aider à améliorer les choses, faste foutaise, la soi-disant uniformisation disparaîtra dès le portail de l’école franchi.
Je suis toujours ébahi par la bêtise crasse de nos ministres, Dati qui annonce un plan « culture » lendemain de sa nomination alors que l’avant-veille elle ne savait même pas qu’elle serait nommée, la néo ministre de l’éducation qui explique que son gamin est dans le privé pour cause de non remplacement des profs alors que c’est son ministère qui gère le truc…
Je crois qu’on n’est plus dans la bêtise, mais dans la malhonnêteté.
« Trop grave dans une période où il n’y a pas un euro pour financer quoi que ce soit. »
Ça dépend pourquoi, il parait qu’il y a encore des sous pour fournir des canons à l’Ukraine…
Tant que j’ai sévi à la campagne, j’ai vécu de belles années avec les coopératives scolaires que j’avais initiées dans mes différentes écoles (coopératives un peu teintées d’esprit « Freinet », mais je n’avais pas les compétences). Le mouvement débutait , ou plutôt était relancé dans le département et je me suis retrouvé délégué et « en même temps » représentant des Francas à l’ODCE. Arrivé en ville, il a fallu renoncer à ce genre d’activité, du moins officiellement, les directeurs et les collègues n’acceptant pas vraiment ce qui sort du « cadre ». J’ai quand même organisé des rencontres avec d’autres classes, des sorties dans la nature à proximité.
Et comme beaucoup d’entre nous, je ne me suis jamais beaucoup plains de mon sort, bien que n’ayant pas une rétribution de 35000 € mensuels (= 20,032 SMIC) comme la nouvelle hôte de la rue de Grenelle qui déplore de n’avoir pas été assez rémunérée pour son harassant travail mensuel à la Fédération de tennis.