Mario a décidé de ne pas débuter l’année nouvelle en quittant ce monde à l’aube du premier jour. Il emporte avec lui un pan entier de ma vie personnelle. Il était le cadet du quatuor des frères Rigo dont il ne reste plus désormais en terre ctéonnaise qu’Antoine. Arrivés dans le Lot-et Garonne de leur village de Lestans au-dessus de Venise au début des années 1930, ils symbolisaient cette immigration dont a bénéficié l’Entre-Deux-Mers girondin. Ils furent après bien des périodes noires recrutés dans une propriété sauvoise proche de Baudin où durant la période de l’Occupation ils mirent à profit leur connaissance des abords de la ligne de démarcation dans le secteur de Sauveterre pour sauver quelques pilotes alliés. Le quatuor construisit son intégration par le travail et une volonté farouche de trouver sa place dans la société de proximité qui les accueillait.
Mario installé à Créon devint l’emblématique chauffeur de la ligne quotidienne de bus entre sa ville d’adoption et la gare Ciram de la rue Lafaurie-Monbadon. Des milliers de voyageurs ont apprécié durant les décennies d’après-guerre son humour et sa joie de vivre. Mario était à la fois un ami, un adulte attentif, un confident, un repère fiable et indispensable, un amuseur près à égayer le trajet. Des milliers de souvenirs accompagnent cette période de sa vie d’autant qu’il était le conducteur réclamé pour toutes le sorties et les excursions associatives. Personne ne partait sans que l’escogriffe frioulan soit aux commandes du bus. Il fit des dizaines de milliers de kilomètres avec les jeunes et les moins jeunes qu’il transporta sans que le moindre incident lui fut imputable.
Ami de mon père en raison de leurs origines communes il était considéré comme de notre famille. Mon enfance puis mon adolescence ont été meublé par des anecdotes inoubliables. Mario appartenait à ce monde qui fut celui des villages où le bonheur résidait dans le partage. Il adorait être avec les autres, construire avec les autres (il fut de l’aventure de la Commune Libre du Quartier de la Gare) et vivre l’actualité locale. Mario gardait ses racines italiennes mais il avait posé son coeur en France. Un savant dosage qu’il sut entretenir avec doigté.
Sa philosophie de la vie se traduisait dans son jardin potager contigu à sa maison de l’angle du boulevard Victor Hugo et de la rue Charles Dopter. Un bijou soigneusement ciselé avec des plates-bandes au cordeau occupées par des légumes faisant l’admiration des promeneurs. Mario y mettait non seulement un savoir-faire exceptionnel mais aussi son amour du bel ouvrage. L’expression « cultiver son jardin » prenait tout son sens dans cet espace dans lequel il passait de longues heures. Très sérieusement blessé par son motoculteur il avait confié aux sauveteurs venus à son secours : « mon jardin m’a maintenu en vie et aujourd’hui il a causé ma mort ». Ce ne fut pas le cas. Malgré le handicap qui s’en suivit ne l’arrêta pas. Doté d’une volonté et d’un courage hors du commun, il continua à s’occuper de ce rectangle des fossés de la bastide avec passion et envie. Ses enfants ont su le préserver et garder sous ses conseils le lieu vivant. C’était la lumière de ses vieux jours.
J’aimais par-dessus tout les moments partagés avec lui. Il sortait toujours des photos et nous ressassions cette époque heureuse. Mon père disparu il faisait encore le lien avec ce passé qui a construit ce que je suis. Il adorait ressusciter son passé avec des photos. Chaque petit rectangle en noir et blanc ou aux couleurs pâles nous projetaient vers cette immigration italienne qui ne fut jamais facile, jamais totalement admise, jamais épargnée par le racisme.
Il y a quelques semaines, je fus prévenu par téléphone que Mario était rendu au Bar Créonnais et qu’il voulait me parler. En quelques minutes je le retrouvais autour d’un verre. Il puisa dans sa poche trois clichés qu’il souhaitait partager avec moi. Ses yeux brillaient de plaisir. Un bond dans les années cinquante et il retrouvait son amour du partage. Le vrai problème c’est qu’il s’était enfui de chez lui avec son fauteuil roulant. Après des péripéties cocasses il était arrivé jusqu’au bar. Une escapade sidérante. Recherché par les aides à domicile qui finirent par le retrouver il regagna sa maison heureux… Il avait eu sa parcelle de bon temps. Je garderai cette rencontre dans mes souvenirs de lui les plus précieux.
Mario appartient à tellement d’autres vies. Son accent rocailleux partagé entre l’Italie et la France résonnera encore dans l’espace créonnais. Les images de son jardin n’ayant rien de secret meubleront l’esprit de celles et ceux qui longeront le boulevard Victor Hugo. Son humour éclairera encore le quotidien de ses amis. Le regard derrière la fenêtre qui scrutait les véhicules pour trouver un complice. Le coup de klaxon de ceux qui tenaient à lui signaler leur passage n’existera plus.
Que ses enfants et ses petits enfants, son frère Antoine acceptent les condoléances attristées et affectueuses de toutes celles et tous ceux qui aimaient Mario. Arrivederci Maario. Si tu vois Eugène embrasse le pour moi.
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Ce matin la petite histoire de Jean-Marie Darmian est à la fois triste et pleine d’amour mais ainsi va la vie
Mario Rigo est et reste dans le cœur des creonnais et des Creonnaises
Il a été notre chauffeur de car pour beaucoup d entre nous, le jardinier du merveilleux jardin des douves pour d’autres, l’ami fidèle et indéfectible pour beaucoup.
Moi j’ai juste envie du vous dire qu’il était celui qui me reliait à mon enfance, celui qui pouvait encore me parler de mon grand père Eugene de grand mère Jeanine de papi Abel et mamie catherine. J’adorai l’écouter me raconter les voyages à lourdes, les bêtises de parrain et papa. Il reste dans mon coeur celui de mes étoiles.
Je manquerais au sens de l’amitié, que cultive si bien Jean-Marie, si je manquais ici l’occasion de te présenter mes vieux. Euh!.. mes voeux. Gros bisous à toi, Christine, et à celles et ceux qui t’entourent.
Bonjour,
mes condoléances pour la disparition de cette figure locale que je ne connaissait pas. Il aurait peut être aimé ce proverbe Italien,
« Quando finisce la partita il ed il pedone finiscono nella stessa scatola » qui se traduit par « Lorsque le jeu est terminé, le roi et le pion vont dans la même boîte. » Il s’agit d’un proverbe italien bien connu qui reflète l’idée qu’en fin de compte, quel que soit leur statut ou sa position, nous sommes tous confrontés au même sort. Il est souvent utilisé pour transmettre le concept d’égalité face à la mort ou à la fin d’une lutte.
Une sorte de Roi de nos démocrature est parti lui aussi rejoindre la boite quelques jours plus tôt. Le site officiel de l’Élysée déclare « Avec le décès de Jacques Delors, l’Europe perd un artisan infatigable, et la France une figure tutélaire de la scène politique depuis quarante ans. »
Quel citoyen engagé dans la société n’a pas été choqué par l’avalanche d’éloges qui a plu sur Jacques Delors, sans que l’ombre d’une critique ou d’une nuance ne soit émise ? Serge Lequéau, ancien militant de la CFDT, nous propose un témoignage éloquent. Témoignage que vous pouvez lire ici sur le blog de JM Harribey:
https://blogs.alternatives-economiques.fr/harribey/2023/12/31/quand-jacques-delors-faisait-des-confidences-aux-militants-de-la-cfdt-temoignage
Roi ou pion, en bien ou en mal nos existences seront jugées lorsque les fleurs sur nos tombes auront fané.
Un dernier proverbe de la sagesse Italienne » La verità è figlia del tempo. »
Le temps met la vérité au jour pourrait-on dire.
Bonne journée
Je ne connaissais pas Mario mais je suis émue en lisant le billet de Jean Marie. Sa vie ressemble tellement à celle des miens venant de la même région la Vénétie. Le travail pour s’en sortir et élever les enfants afin qu’ils ne connaissent pas la misère, c’était leur but. Nous sommes si fiers d’eux car nous connaissons le prix de leurs sacrifices.
Ces jours -ci, justement, je trie les photos anciennes à la demande de nos petits enfants désireux de connaitre mieux leurs racines Italiennes et Françaises.
Mario rencontrera sans doute « là-haut » Luigi, Emilia, Libero,. Nous les rejoindrons car riche ou pauvre, personne n’y échappe. Merci Jean Marie !