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La vraie passion pour l’écrit ne survivra pas

Lentement, je refais surface. Ce matin, j’avais envie d’écrire. Pas en tapant sur le clavier, mais sur une feuille blanche. Un besoin qui me prend de temps à autre et qui a ses racines dans de longues années de journalisme où nous n’avions que le stylo pour rédiger un compte-rendu ou un article. J’aime les écrits et je collectionne quelques lettres uniquement pour la manière dont elles sont écrites. Avez-vous remarqué combien un texte prend une autre dimension selon la manière dont il est transcrit à la plume ?

Les mots enflent ou se dégonflent avec les pleins et les déliés appris tous les matins sur des cahiers spéciaux où il fallait apprendre à tourner parfaitement la majuscule et reproduire la phrase type écrite sur l’arrière du tableau noir que l’instit’ dévoilait au dernier moment. Lorsque j’étais au collège quand a commencé à se poser le problème de l’écriture au stylo bille BIC cristal. Il a fallu attendre 1965 pour que la cursive à bille soit acceptée dans les écoles. J’étais alors à l’école normale et nous avions droit au stylo rechargeable à l’encre Waterman. D’ailleurs, il fut une époque où ce cadeau somptueux figurait sur les listes au Père Noël ou pour… les premières communions.

Écrire à la plume Sergent-Major ne constituait pas une sinécure. Le dosage de l’encre prise dans le petit godet de verre sur chaque coté du bureau avait une grande importance puisqu’une tache sur la page constituait une faute irrémédiable car ineffaçable. Il fallait caresser le papier et ne pas l’écorcher, car toute blessure relevait du délit répréhensible. Le plein avec sa pression calculée et le délié soumis à un doigté spécial traduisait plus que toute l’application de celle ou celui qui ne maîtrisait pas l’art de bien écrire. Un cahier sans rature, sans taches, sans malformation était souvent exposé et présenté à la classe comme un exemple de la réussite.

Le meilleur moment de la semaine se situait le samedi après-midi quand le maître répartissait les participations à la vie quotidienne de la classe. La distribution des cahiers du jour semblait réservée aux filles alors que le remplissage des encriers relevait du privilège des garçons. Manier la bouteille noircie par le liquide fabriqué par l’instit’ relevait du privilège et du gage de confiance et de sérieux. Le remplisseur d’encrier devait mettre un niveau parfait de telle manière que le manche du porte-plume ne récupère pas ce liquide miraculeux qui donnait vie aux mots.

Ce matin je ne rêvais pas de revenir à cette époque dont j’ai conservé deux manies qui ne me quittent plus. Mon bonheur d’écrire a un corollaire permanent : je n’aime que les « outils » parfaitement aiguisés ! Pas question d’utiliser un feutre qui écrase les textes ou étouffent les lettres. J’ai salué avec satisfaction l’arrivée de la marque Pilot qui conférait une légèreté et une élégance nouvelles aux pires des mots. Aucune différence. Le texte me semble-t-il y gagne en finesse. N’est-ce pas mon ami Christian ?

Il m’est insupportable de me pencher sur les grilles des mots croisés que je déniche dans tous les journaux et magazines dont je récupère les pages avec un crayon à papier « sec » et mal aiguisé. Il me semble que les solutions qui germent au fil des définitions n’ont pas la même valeur si elles s’inscrivent dans les cases avec une mine trop grasse ou trop sèche. Il me faut un HB pour que le plaisir soit parfait. J’adore probablement parce que je suis un « maniaco-perfectionniste » disposer d’un pot à côté de moi avec des dizaines de crayons ayant bonne mine de manière que je sois jamais pris au dépourvu.

Il est toujours passionnant de comparer un manuscrit des grands auteurs et le résultat à l’impression. L’écriture reste souvent une torture. Elle porte les stigmates du doute avec les multiples rayures ou ratures ce que le clavier fait disparaître. L’ordinateur a déshumanisé l’acte de transcription de ce que l’on pense ou l’on imagine. Un texte standard et impersonnel se résume désormais à un « tweet » (que je haïs) ou un SMS seulement utilitaire. Et la fameuse intelligence artificielle ? L’odeur des photocopies s’est installée dans les classes or c’est celle de la passivité.

Selon les stylos ou les crayons, je ne m’exprime ni avec la même liberté, ni avec le même enthousiasme. Le buvard du temps a absorbé toutes les fautes, toutes les inepties, toutes les réussites et toutes les créations d’une époque. Il a même emporté avec lui cette odeur superbe qu’il y avait dans les imprimeries, dans les classes ou dans les bureaux. Un buvard neuf, c’était la possibilité d’oublier ce qui avait été raté. Que c’était chouette…

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Cet article a 5 commentaires

  1. christian grené

    Bonjour Grand! Tu sais quoi? A l’école primaire, du CP aux CM, j’étais un élève très, très moyen. Pourtant chaque année, lors de la distribution des prix, j’étais fier de monter sur le podium pour y recevoir mes prix d’écriture et de dessin. J’ai collectionné les encriers et j’ai fait mienne la prescription du Dr Blondin à qui l’on demandait pourquoi il y mettait son vin rosé ou son pastis anisé. « C’est pour pisser de la copie », répondait-il.

  2. François

    Bonjour J-M !
    Comme disent les Fines Plumes : « Quel vibrant hommage aux pleins et aux déliés !  » … qui ont fait tirer tant de jeunes langues confrontées à l’effort soutenu ! !
    Encore, ce matin, que de souvenirs visuels et olfactifs remontent à la surface de ton écrit !
    – Le tableau noir et sa craie blanche ou de couleurs que la main de l’instituteur en blouse grise ( Oui, El Bambino Attal, l’uniforme n’est pas une nouveauté !) faisait danser quotidiennement sur sa surface verticale avec la grâce et la précision d’un danseur d’opéra, suivi, le soir, du passage rapide de la brosse poussiéreuse (Et oui, les écolos, nous avons été exposés à la pollution de la craie ! ! !)
    – La bouteille d’encre, au bec ravitailleur: au moins une fois par an, l’ensemble finissait sur le plancher ou le carrelage de la classe !
    – la plume Sergent Major ( un Trésor de brocante ! ) qui avait horreur des chutes sur le carrelage,
    – les « pâtés » qui n’avaient rien de foie ou de campagne !
    – le buvard à mémoire inversée … qui, plus tard, servira de « pompe à réponses » pour cervelle surchargée !
    Dommage que tu ne puisses point comparer avec quelques QCM pris au hasard dans les classes de la bastide: ces chefs-d’œuvre issus de la photocopieuse dont les cases vierges sont souvent remplis d’un gribouillis genre mouche tombée dans l’encrier de nos souvenirs ! J’ai souvent l’occasion d’observer (sur l’épaule de mon fils-prof) ces interrogations à corriger: devant ces merveilles, je ne peux m’empêcher d’entendre, dans le lointain de ma mémoire, le froissement du papier et la voix imposante de la blouse grise : « Je ne corrige pas ce torchon! Recommence …et PROPREMENT ! »
    Bon, comme dit @J.J., je suis un vieux croûton !
    Merci qu’en même pour avoir ravivé notre mémoire !
    Soigne-toi bien ! !
    Amicalement

  3. facon jf

    Bonjour,
    L’écriture est la science des ânes, dit un adage scolaire. Est-ce pour avoir suivi le pas des ânes que l’institution pédagogique n’accorde plus à l’écriture le respect qui lui était dû autrefois ? Certes, on apprend encore dans les petites classes à former les lettres, mais très vite, le plus vite possible, on se débarrasse de cette pratique fastidieuse, comme si le but était atteint dès lors que l’écolier sait former correctement un a, placer la barre du t au bon niveau, allonger suffisamment la jambe du p. Bref, l’essentiel de l’apprentissage de l’écriture, dans nos écoles, ne vise plus qu’à la seule utilité de pouvoir se lire et être lu.
    Incompétent notoire en graphisme et en calligraphie, je me suis débattu pendant mon enfance pour me lire et être lu. Mon imagination tellement plus rapide que ma main malhabile, armée de la fameuse plume sergent major, perdait le fil de ma pensée. La lutte incessante du cancre pour s’évader des taches et des ratures polluait tellement le buvard qu’il en prenait l’aspect d’une serpillière. Ma gomme disparaissait à vue d’œil et ma place se décorait aussi vite des résidus de la cellulose du papier martyrisé la faisant ressembler à un établi de menuisier. L’écriture était devenu ma hantise, pour lui échapper j’ai inventé une sorte d’écriture hybride entre le script et la cursive toute personnelle. Je bavais devant l’écriture léchée des  » chiadeurs », ces tâcherons du plein et du délié. Ma jalousie tourna au dépit puis au mépris de l’art calligraphique. Tout comme le renard de la fable j’ai fini par penser  » Ils sont trop verts et bon pour des goujats » ou « l’écriture est la science des ânes »,
    Le cahier, le porte-plume et l’encrier restent dans ma mémoire des instruments de torture et les méthodes d’enseignement de l’époque ( ou la règle du maître ne redressait pas que les traits) sont partis dans les musées.
    Doit-on s’en réjouir ?
    Bonne journée

  4. Alain Montanguon

    Bon pied, bon oeil et bonne mine, ainsi lesté l’esprit peut vagabonder en roue libre.

  5. J.J.

    À part pour les pages d’écriture, j’écrivais et ai continué à écrire longtemps comme un cochon. Quand j’ai hérité d’un CP…il a bien fallu que je m’y mette, …même de la main gauche(expérience avec une collègue du GAP).
    Et puis j’ai repris mes mauvaises habitudes d’écrire comme un cochon, en cela aidé par le traitement de texte. Devant ce constat calamiteux (parfois je n’arrivais pas à me relire…), je me suis remis à la cursive appliquée. Ça prend du temps, mais c’est une discipline, une sorte de yoga quasi immobile.
    Et qui se souvient de la « chasse aux gauchers », fermée depuis longtemps ?

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