La pression en ce mercredi matin, n’est pas que dans les verres prévus pour la recevoir. Elle ne cesse de monter au fil des minutes sur le marché le plus animé, le plus chaud à tous points de vue et le plus fréquenté de l’été. Le Bar Créonnais manque de tables pour accueillir sous les couverts, tous les postulants à un café, un galopin ou un rosé matinal. La tentation de se prélasser sous les premiers rayons d’un soleil que l’on annonce royal, conduit bien du monde au même endroit. On guette de loin une place qui se libère ou l’on attend au plus près pour ne pas manquer l’opportunité de s’installer sur l’espace disponible. La quête d’un moment de partage s’affirme comme une tache ingrate. L’été à son apogée, génère la nécessité d’être patient. Dès la semaine prochaine le reflux sera perceptible. On respirera mieux.
Ronan se démène comme un bon petit diable appliqué derrière le comptoir. Il gère sur sa droite la salle où se sont réfugiés les habitués dont personne n’oserait contester les droits acquis par leur présence quotidienne à leur emplacement réservé et sur sa gauche il enregistre les commandes. D’ailleurs par précaution, deux émissaires ont investi les lieux bien plus tôt qu’à l’accoutumée. Leur table deviendra au fil de la matinée celle de la multiplication des convives et des commandes. Le groupe ne cessera de grandir et la chasse aux chaises se pratiquera avec vivacité et pugnacité. Le cénacle des « démeurés » s’élargit à chaque instant.
Les ordres fusent. Des listes de commandes collectives diversifiées parviennent au comptoir. La machine à café a ses vapeurs. Delphine arpente les couverts. Elle tente de contenter le maximum de ces assoiffés de l’été. Pas facile d’autant que bien évidemment, tout le monde sait que désormais en vacances l’exigence d’une réponse rapide appartient à la modernité. Pas plutôt assis le touriste ou le client occasionnel exige que l’on s’intéresse à ses désirs quand il hésite de longues minutes avant de formuler sa commande. Le boulot de serveuse de première ligne exige un savant dosage entre sollicitude et fermeté, entre patience et promptitude et entre indulgence et rigueur.
Les consommatrices et les consommateurs affluent et il faut que la clientèle ayant ses habitudes, jouent maintenant des coudes pour préserver son bout de comptoir. Certains impatients tentent des percées vers le barman. Ils tentent de jouer de leur influence pour passer plus vite dans la file des commandes en cours. D’autres cherchent à la source ce que l’on ne leur a pas encore proposé ou servi. Vers 11h 30 la pression atteint son sommet. Le bar se transforme en fourmilière ou en ruche. On n s’entend plus dans la salle. Le dialogue n’existe plus autour de la table où se négocient les accords des paris mutuels ou individuels. Dramatique. Un accident de PMU peut se révéler catstrophique. Leur « Sud-Ouest » disparait happé par des curieux occasionnels.
La quiétude habituelle de la semaine a disparu, noyée sous les réalités estivales. La file devant le camion où l’on fait des chichis à la chaîne s’allonge. La pâtisserie reine du marché attire toujours autant les « grands » enfants et leur progéniture. Papi ou mamie ont du temps et ils savent en donner. En fait partout en ce jour de marché l’authenticité reste le meilleur atout. On sent le plaisir du partage dans tous les regards. Au « bistrot », sous les arcades ou dans les allées étroites entre les étals, des générations différentes, des nationalités différentes et des pouvoirs d’achat différents se côtoient, échangent et vivent un été d’insouciances. Ils vivent heureux sous le soleil.
Delphine court toujours d’une table à l’autre. Ronan débouche le nouveau rosé lancé en ce jour. Désormais on invoquera Sainte-Marie en levant son calice de cette offrande des vignes du seigneur Dupuch. Une vraie promotion de la production locale qui déroute provisoirement les buveurs « installés » mais qui finira par leur convenir. D’ailleurs eux-aussi réclament un service plus rapide des « soeurs » de celle qu’ils ont éclusée en un tour de verres. Le mercredi la bande des « tontons » buveurs et arrosés, enrichie de quelques adeptes de la mise en bière ou de l’apprivoisement des petits galopins, se sent dépossédée de son domaine de prédilection. Même s’ils ne l’avouent pas le ressentiment des « colonisés » leur devient familier. Ils aiment bien se retrouver entre eux avec leurs manies, leurs soucis, leurs divergences et l’importance de leur propre sort. Un égoïsme d’indigène.
Tous se dispersent vers 12 h 30. Surtout ceux qui sont attendus pour le déjeuner et qui n’avoueront jamais qu’ils appréhendent des reproches consécutifs au retard provoqué par leur escapade quotidienne ou presque. Les autres résistent et occupent plus longtemps la table. Le bar créonnais se vide peu à peu. Delphine souffle. Ronan le lutin agile du comptoir se calme. La machine à café a refroidi. La pression retombe. La plus grosse journée de l’été passe ! Demain sera un autre jour !
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« Bières qui moussent ne valent pas les rousses ». J’ai lu ça dans « Ale », le journal de la femme moderne, à la terrasse de »‘L’Orient », alors que j’étais complètement à l’ouest.
Imaginer cette folle matinée est un délice
Rien ne peut remplacer le regard sur cette agitation organisée dès mercredi matin à creon le jour du marché
Comme j’aime y fureter à l’affût des mots qui racontent des rires qui soudent.
Retrouver ce moment est à classer au rang des petits bonheurs de Creon
Il me tarde d’y retrouver les copains et Delphine
« La machine à café a ses vapeurs… » Cette expression réveille en ma mémoire… » une bonne nouvelle ! » Et pour la famille en mal de paternité, elle se transformait en mauvaise nouvelle…!
Comme c’est étrange. Mais, j’ai l’impression de me reconnaître au milieu de cette foule de buveurs de tisanes