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Eté ou pas été : je n’ai pas eu le temps de garder la ligne

Hier de son lieu de vacances mon fils m’a envoyé une photo du second brochet  (1) qu’il a pêché. Un coup terrible pour mon moral. Et un retour en arrière Chaque fois que je passais dans la boutique tabacs, épicerie, bazar de Mme Troquereau à quelques pas de l’école, outre les calabres, ces bonbons en réglisse parsemée de sucre, en forme de croissant de lune, je n’avais en effet d’yeux que pour les lignes de pêche toutes prêtes exposées sous verre.

Bien évidemment il m’aurait fallu quelques dizaines de francs que je n’avais pas, pour accéder à mon rêve de pêcheur en eau douce. Je contemplais donc avec envie ces splendides bouchons multicolores effilés ou dodus susceptibles d’annoncer des prises que j’imaginais exceptionnelles. Il me faudra attendre encore de longues années avant de pouvoir assouvir cette envie de luxe.

En fait la vraie solution passait par l’auto-confection des lignes. Un travail qui demandait un budget très inférieur mais un processus particulièrement élaboré. La première étape consistait dans le choix du bambou support parmi la touffe compacte qui poussait sur l’arrière de notre lieu de vie. Il le fallait à la fois le plus altier possible, souple, flexible et solide surtout dans sa partie terminale.

Soigneusement nettoyée avec un couteau affûté récupéré dans le terroir du buffet de la cuisine la gaule naturelle reflétait le type de poissons espéré, et surtout son adaptation au lieu de pêche. En allant chez madame Laitue (2) l’homologue créonnaise de la « mère » Troquereau avec une petit pécule gagnait par de menus travaux il devenait possible d’acquérir les éléments de la ligne idéale. Elle vendait les éléments indispensables au détail.

Un débat avec mon frère, sur la « grosseur » du fil, le volume et le poids du flotteur, les différentes tailles des hameçons, la discrétion des plombs préludaient au montage. Installée avec précaution sur une écorce de pin travaillée aux deux extrémités ou parfois sur un bouchon de bouteille de vin coupé en deux parties, la ligne « faite maison » devait être testée très rapidement.Il suffisait pour cela de descendre jusqu’au trou d’eau proche du pont sur La Pimpine pour vérifier la tenue de l’ouvrage.

Une certaine appréhension comparable à celle de tous les inventeurs au moment de la première sortie de leur création nous mettions notre réalisation à l’eau. Les observations portaient sur la verticalité du bouchon dans le maigre courant, la place des plombs par rapport aux nécessités des adaptations au fond potentiel ou la grosseur des hameçons. Ces réglages ultimes effectués, une opération délicate suivaient : dégoter les appâts adaptés. Un travail parfois assez compliqué.

A coté de son abattoir, l’oncle Claude, boucher de Sadirac possédait un ossuaire où il stockait dans une cabane aux planches disjointes les rebuts de son magasin. Dans une odeur pestilentielle les mouches avaient transformé ce lieu peu engageant en une immense nursery à asticots. Peu importe le contexte nous allions récolter, en rentrant de classe, dans un bocal de confiture garnie de sciure récupérée dans l’atelier de menuiserie de l’autre oncle Maxime, les appâts qui nous vaudraient des pêches miraculeuses.

L’autre option consistait à soulever tous les pots de fleurs, les jardinières, les pierres ou fouiller un tas de fumier pour dénicher ces vers de terre filiformes très mobiles sensés aguicher l’appétit des poissons. La quête en plein été de lombrics relevait parfois de l’exploit. Il fallait des heures pour dégoter ces appâts de premier choix destinés au menu fretin de La Pimpine essentiellement constitué de goujons ! La pêche se méritait.

Nous avions un concurrent sérieux sur le « trou » du Pont : le mari de la cheffe de gare, marin au long cours, qui passait ses journées à terre à venir griller des paquets de Gauloises en taquinant le vairon. Il les mettait dans une grande boite de conserves pour collectivités et j’ai toujours pensé qu’il les relâchait pour éprouver ke plaisir de les rattraper le lendemain. Impossible de le concurrencer. Il nous fallait pêcher ailleurs. 

Nous avions alors notre Edorado secret et interdit. Niché au milieu de la forêt sadiracaise , un vaste étang artificiel, inaccessible car totalement invisible, constituait une réserve naturelle exceptionnelle. Tanches, carpes, gardons y pullulaient mais étaient difficilement accessibles en raison des conditions de pêche. Arbres morts, bancs de roseaux, rives escarpées, branches penchées sur l’eau constituaient un cimetière pour les plus belles lignes. Les pièges donnaient un parfum d’aventure à toutes les expéditions.

Le lieu m’a toujours fasciné par sa sérénité et sa beauté. J’avais vraiment l’impression d’être l’un de ces explorateurs découvrant un trou d’eau magique au milieu de nulle part. Il y avait en plus un zeste d’exotisme puisque les calicobas constituaient des proies faciles se ruant sur tout hameçon qui s’agitait devant eux. Leur voracité rendait le décrochage problématique. A tel point que souvent il fallait souvent inciser le poisson pour y parvenir. La tableau de pêche très fourni par ces perches arc-en-ciel n’était pas du tout mangeable en raison des arrêtes mais convenait aux chats. Heureusement selon la météo quelques gardons sauvaient la journée. Mon plaisir n’en était pas moindre. Tout éclaboussait la nature et j’y ai beaucoup appris.

Les martins-pêcheurs battaient des records de vitesse, les martinets effectuaient du rase étang avec une virtuosité inimaginable, les poules d’eau s’enhardissaient chaque fois un peu plus, les gros poissons sautaient à la surface, les libellules paradaient, le chant des oiseaux meublaient le plus beau des contextes, celui du silence. Cette eau sombre, ce cadre poétique au lever du soleil et le frisson de la transgression d’une interdiction, conféraient à ces journées de vacances estivales un caractère magique.

(1) La photo du bandeau

(2) je vis depuis plus de 20 ans dans ce qui fut son magasin bureau de tabacs et son domicile

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Cet article a 5 commentaires

  1. christian grené

    Ton fils a « prêché » je ne sais où mais accroché un brochet à sa ligne, moi je prêche dans le désert qui n’a rien d’un… « Edorado ». Oh! Jean-Marie, un peu de vacances te ferait du bien, non?

  2. christian grené

    Désolé M’sieur! J’ai pris la grosse tête et me manque plus que la blouse grise pour être déguisé en instit’.

  3. J.J.

    Les calicobats ! Une assurance pour le pêchaillon que j’ai été de ne pas renter bredouille, même si leur capture ne pouvait assurer la dégustation d’une bonne friture (s’ils étaient assez gros, on pouvait toujours lever les filets et les faire frire, délicieux, le reste pour les poules …).
    Considérés par les « vrais » pêcheurs comme de désagréables parasites(coupables de « touches » trompeuses), sans avoir eu le temps d’être inscrits sur la liste des espèces en voie d’extinction, ils ont, il me semble, complétement disparu de nos eaux dormantes ou courantes.

  4. FLORÈS

    Belle prose poétique, merci.

  5. Laure Gaeealaga Lataste

    Je viens de prendre connaissance de ces échanges et vous remercie pour tous « ces taquinages du gardon ».
    Belle prise pour celui qui a eu l’adresse (pas la chance) de ferrer ce magnifique brochet…!

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