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Eté ou pas été : les cabanes de la liberté

Celles et ceux qui ont eu une enfance libre dans leur village regardent la version originale de « la guerre des boutons » avec une véritable nostalgie. Ils y retrouvent en effet bien des attitudes, bien des paroles, bien des inventions propres à ces grandes vacances passées à imaginer, créer et faire vivre des lieux pour les secrets collectifs que l’on nommait « cabanes ». Dans le fond c’était simplement un héritage des initiatives prises par les pères bâtisseurs de palombières ou tonnes.

Le premier débat concernait le choix du terrain d’emprise qui devait être le plus discret possible et surtout indécelable par les « ennemis » potentiels. Les hautes fougères, les taillis profonds, les arbres touffus constituaient les repaires idéaux pour implanter ce qui deviendra la plus belle des bâtisses. Le concepteur venait souvent des Éclaireurs de France ou des scouts où il avait appris les techniques du choix des branches ou des troncs. Il avait une âme de chef et il dirigeait le chantier avec une sûreté donnée par le savoir-faire.

Les pourvoyeurs de matériaux plus humbles se chargeaient de piller le plus discrètement possible les stocks des ateliers paternels afin de répondre aux attentes du chef. Dans le fond tout le monde avait son rôle dans cette œuvre commune qui forcément serait la plus réussie car elle naissait d’une solidarité sincère. Les petites mains tressant les fougères pour assurer le camouflage, les costauds plantant les pieux, les malins trouvant une solution à chaque problème ponctuels, les généreux chargés du ravitaillement : ce n’étaient jamais forcément ceux qui réussissaient à l’école qui étaient les plus performant sur le chantier ! La cabane constituait ainsi l’antidote parfaite à cette fameuse réussite ne reposant que sur la théorie quand le plus important restait de s’intégrer dans une équipe pour agir.

L’ouvrage accompli, la seconde étape résidait dans l’amélioration du confort. Un véritable concours de design était lancé puisque les cageots abandonnés, les planches oubliées, les pierres brisées devaient se transformer en meubles utilitaires. Chacun avait sa touche créative et finalement le conseil de la bande pouvait se tenir assis sous un toit jugé protecteur. Un trou creusé dans le sol soigneusement ratissé abriterait le feu indispensable pour que l’œuvre soit parfaite. Le banal devenait précieux et les objets abandonnés retrouvaient une place et en quelques jours on avait un chez soi jugé exceptionnel.

Grâce au souci permanent de l’amélioration le gîte s’embellissait chaque jour davantage et on envisageait désormais l’autonomie alimentaire. C’est là que les lectures se révélaient précieuses : tous les aventuriers respectables survivaient grâce à la cueillette, la pêche et la chasse. Pour la première activité, au cœur de l’été, les fruits constituaient la première ressource. La cueillette des mûres dans les ronciers, la récolte des prunes tombées des arbres (après qu’ils aient été discrètement secoués), la rapine des premières grappes de raisin de table ou des dernières fraises garantissaient de joyeux moments de convivialité. Il arrivait même que des tentatives de confitures soient lancées. J’ai ainsi personnellement en mémoire une mixture noirâtre de mûres dans un bocal où les doigts plongeaient à tour de rôle qui aurait mérité le label « grand-mère » !

Pour la pêche la vérité oblige à dire que l’enthousiasme était moins fort. Immangeables les calicobas (perches arc-en-ciel) et peu ragoûtant les goujons frits au bout d’une tige de noisetier directement sur la flamme. La discussion portait souvent sur le fait que les récits relatifs aux exploits culinaires des naufragés ou des aventuriers étaient bien loin de la réalité.

La pose de pièges avec des fourmis volantes comme appâts au bout de branches soigneusement choisies fournissait en culs-blancs oiseaux écervelés assez facile à capturer. Personne souhaitait les plumer et il fallait parfois tirer au sort celui qui serait de corvées. Noircis plus que cuits, cramés plutôt que grillés ces malheureux volatiles accréditaient eux-aussi que la « cuisine » de plein air n’était pas la plus nutritive.

Le bonheur réputé être dans le pré se nichait dans ces cabanes de l’enfance. On y passait des vacances encore plus merveilleuses que dans les plus grands palaces que d’ailleurs on ne connaissait pas. L’été était celui de la liberté et de la fraternité. Impossible maintenant d’imaginer des gamins partant le matin pour les sous-bois ou les bois sans que leurs parents préviennent la gendarmerie ou les autorités.

Rien ne peut plus être spontané dans les loisirs des enfants de ce XXI° siècle car ils deviennent un sujet d’angoisse permanent. Ils sont surveillés, aseptisés, muselés, contrôlés, encadrés, normalisés de telle manière qu’ils entrent dans un monde social où tout est prévu et conçu pour eux. Ils entrent dans le système de la consommation de loisirs… qui leur fait préférer le Club Mickey, la cabane en kit de « Brico quelque chose »à la simple pratique de la nature ou de l’action positive collective. Est-ce mieux ?

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Cet article a 15 commentaires

  1. Darmian Marie-Christine

    Et pas que de l’été !
    La notre avait trouvé son nid derrière la mairie de sadirac dans les bambous pour l’une et à Cenau à Vayres derriere des roues de charrettes au pied du noisetier.
    Deux lieux deux bonheurs d’enfant chez les grands parents avec les cousines et les cousins. Il y avait aussi celles de l’hiver dans la salle à manger avec les couvertures glissées sous les lampes empire de Nonna, sous la table de la salle à manger de mamie Giséle ou elle nous laissait prendre nos tartines beurre chocolat en poudre …
    Ma cabane préférée c’était celle le soir avec ma petite lampe de poche sous les draps pour lire encore un peu lorsque il était pourtant l’heure de dormir …
    Comme elles sont belles mes cabanes
    Dans ces cabanes il y a eu des rires des pleurs des rêves surtout des rêves
    J’aime toujours autant faire des cabanes

    1. christian grené

      Bonjour ma petite reine en « roue libre ». Viens, je t’emmène avec moi dans ma cabane au Canada. Y’a plein de Charlebois autour.

      1. MC Darmian

        J’adore comme toujours les mots les tiens
        Bises de la petite la fille du grand sifflet

        1. Laure Garralaga Lataste

          @ à mes amis christian… Jean-Marie…
          J’avance… j’avance…Mon histoire avance… J’en suis au dernier chapitre…J’y retourne après ce message…

    2. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon amie Marie-Christine…
      Pour moi aussi, ma préférée était cette cabane du soir… cachée dans mon lit où je me racontais des histoires (qui ne m’a jamais quittée)… avant de m’endormir… !

  2. François

    Bonjour J-M !
    Aaaah … La Cabane ! ! ! Que de souvenirs vont ressurgir dans beaucoup de cranes blancs ou dégarnis … ceux de la campagne mais aussi ceux dont les HLM jouxtaient un bois accueillant ! ! Même les Alzheimer vont avoir les larmes aux yeux …
    La Cabane ( dont l’architecture, le design(!) et la destination ne peuvent se comparer à celle du fond du jardin ! ! !), c’était la preuve d’un été réussi, mais surtout d’une adolescence radieuse dans la découverte … autorisée de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité sous une approche Éclaireur ! !
    Pour le côté « alimentaire », sache que j’ai découvert, quelques années après la Cabane du fiston, comment disparaissaient les boîtes « tire-vite » du casse-croûte du paternel ! ! Bon … avec une certaine complicité ! ! !
    C’était aussi la possibilité de découvrir et d’observer la vie du sous-bois avant que l’on nous rabâche … avec la peur au ventre: environnement, écologie, biodiversité, réchauffement climatique, carbone, ozone !
    Merci J-M pour ce tableau littéraire … de notre adolescence ! ! !
    Amicalement

    1. J.J.

      ….ceux de la campagne mais aussi ceux dont les HLM jouxtaient un bois accueillant ! !
      Comme dans la belle chanson de Nino Ferrer, « La maison près de la fontaine ».
      Je ne pense pas être atteint d’Alzheimer, mais j’en ai les larmes aux yeux de tout ce bonheur perdu même sans avoir été connu.
      C’est dur ce matin.

    2. Pl nicole

      Exact ce que vous dites, j’avais enfoui les souvenirs de cabanes et Jean Marie me les a fait ressurgir . C’est tout à fait ça.
      J’en ai pour la journée ou même davantage à essayer de recoller les flashes qui font surface, les prénoms envolés. Tout arrive par morceaux, les lieux , les jeux ,les objets transformés ,les goûters avec du pain, les odeurs de fusain ou de sous-bois, le soleil qui décline et donne le signal de la fin. C’est trop d’ émotions, je n’ai personne qui puisse être intéressé par ces bribes de vie insouciante, heureuse , dépourvue d’envies inutiles. Merci

  3. J.J

    « Le concepteur venait souvent des Éclaireurs de France ou des scouts où il avait appris les techniques du choix des branches ou des troncs. »
    Cette technique, portait chez les Éclaireurs le nom de « froissartage », sans doute du nom de celui qui en avait codifié les normes et usages.

    « Impossible maintenant d’imaginer des gamins partant le matin pour les sous-bois ou les bois sans que leurs parents préviennent la gendarmerie ou les autorités. »

    Pour certains comme moi, c’était déjà la règle, mais inutile à appliquer car la porte donnant sur la rue était fermée à double tour (un tour aurait suffi) et je n’étais autorisé à fréquenter aucun camarade dans le voisinage(ni ailleurs) .
    Je me suis vengé en devenant à ma majorité responsable Éclaireur, et Franca.
    Mais j’avais passé l’âge de ces vertes aventures…
    Aujourd’hui il paraît que c’est la fête aux Jean Marie, alors je te souhaite une bonne fête. Il semble que tu ais déjà reçu en cadeau le rétablissement de tes connections car ce matin j’avais ta page sur page du courrier.

    Mais c’est aussi la date anniversaire de l’Abolition des privilèges, système qui mériterait fort d’être rajeuni et appliqué dans toute sa rigueur.
    16 thermidor an CCXXXI

  4. Odile Hardy

    Nous déménagions souvent, du fait du métier paternel, aussi à chaque nouvelle ville ou nouveau village, mes sept frères et soeurs et moi nous mettions en quête d’un terrain, éloigné, caché, discret, et respections toutes les étapes décrites ici. Les copains invités étaient triés sur le volet. Il fallait parfois faire des km à vélo pour y accèder. Et quel crève coeur quand un nouveau déménagement s’annonçait. Détruire la cabane ou laisser faire la nature ? La fin de l’adolescence des plus âgés et la mutation à Paris de notre père a vu la fin des cabanes et des liens fraternels et amicaux tissés dans ces constructions qui ont laissé des traces dans nos intérieurs respectifs, car chacun de nous ne cesse de chercher à en améliorer la déco, comme dans la cabane. Merci de nous rappeler de si bons souvenirs.

  5. Alain MANO

    Merveilleux
    Le temps des cabanes était celui des rêves, de l’imagination de tout ce qui nous préparait à grandir avec ou sans encombre
    C’était aussi des moments d’inconscience où chacun défendait son « château » armé de rouspics
    Merci Jean Marie pour cette page d’insouciance. Un vri bonheur

  6. J.J.

    Bon, il faut que j’arrête de pleurnicher sur mon sort.
    La cabane, c’était, ou c’est encore un instinct primitif que certains ont la chance peut être de pouvoir encore « assouvir » . En recollant mes souvenirs grâce à ce beau texte, je me souviens que je l’avais en effet ma cabane : je l’avais aménagée sous l’escalier de pierre, dans l’espace aménagé pour faire une niche de chien.
    Il fallait y entrer à quatre pattes et rester accroupi, juste la place de se retourner. Mais c’était mon « chez moi », où je gardais en secret mes misérables trésors, impénétrable à personne d’autre, mon Versailles, mon Brégançon….

  7. facon jf

    bonjour,
    les cabanes de mon enfance remontent comme des bulles à la surface de ma mémoire. La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ?
    La nostalgie, pathologie du temps passé (nostos= retour, algos = douleur) est une inflammation du temps passé auquel il est impossible de retourner ; la nostalgie est donc la conséquence pathologique de l’irréversibilité du temps, de la nécessité a posteriori du passé, elle-même provoquée par la succession d’instants hétérogènes qui ne sont jamais les mêmes. C’est un désir de retour au même, à la fois provoqué et rendu impossible par l’altérité du temps. « Il y a nostalgie lorsque c’est le regret lui-même qui rend le regretté regrettable (p 353) … la nostalgie tient tout entière dans l’amertume du fait d’avoir été (p 357) ». C’est pourquoi le nostalgique a une double vie : comme tout exilé, citoyen d’une ville ou d’une république invisible, il est en même temps ici et là-bas, présent et absent, quand il est présent ici par le corps, il se sent absent par l’esprit, et inversement : « l’exilé a ainsi une double vie et sa deuxième vie, qui fut un jour la première, et qui peut être le redeviendra un jour, est comme inscrite en surimpression sur la grosse vie banale et tumultueuse de l’action quotidienne » (p 346). A cet égard, nous sommes tous les exilés de notre propre enfance, car toute nostalgie est nostalgie de ce qui n’est plus et ne sera plus jamais. Ainsi, plutôt que de dire « la nostalgie n’est plus ce qu’elle était », il faudrait dire « la nostalgie est née de ce qu’elle n’est plus ». Jankelevitch « L’irréversible et la nostalgie »
    La cabane mot magique qui fait ressurgir notre enfance c’est aussi l’abri de fortune des sans abri.
    C’est aussi le synonyme de la prison, ce qui nous renvoie à l’actualité de ceux qui jettent les gens en « cabane » et s’effraient de s’y retrouver. Débat qui nous entraîne sur le chemin de la privation de libertés qui débouche sur la détention provisoire alimentant la surcharge des  » cabanes pénitentiaires » et les conditions épouvantables de détention qui en découlent.
    Je terminerai en évoquant l’expression  » la cabane sur le chien » chère aux Normands. Pour suggérer la situation dramatique des expats Français en Afrique qui vivent un déchirement. Que de nostalgie aussi pour ceux qui ont quitté de force leur « cabane ».

    Bonne journée

  8. Laure Garralaga Lataste

    Merci à vous tous et à vous toutes pour ces précieux témoignages de fidélité à notre « Roue Libre » préférée… !

  9. Philippe Labansat

    Il n’est que de voir le nombre de réactions, pour voir à quel point Jean-Marie a visé juste.
    Perso, tout pareil, sauf la pêche parce que notre ruisseau, c’était la Garonne et on n’était pas à côté.
    Ensuite juste une petite anecdote que je crois avoir déjà racontée. Parmi les matériaux de construction de notre cabane, avec ma sœur, une pierre bien anonyme, qui s’est révélèe être une borne de parcelle et a provoquè un grave incident diplomatique avec le voisin.
    Nous étions bien gamins, et le grand-père s’est contenté de nous expliquer très gentiment, mais aucune réprimande et encore moins de punition…

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