Depuis autant que je me souvienne l’envie de « partir ailleurs » a toujours constitué l’une des pensées les plus heureuses que j’ai pu envisager. Prendre le minimum et filer vers les autres quelque part où je n’aurais été ni connu, ni soumis à la pression du regard ou de l’approbation de quiconque. Arpenter des routes ou des sentiers inédits sans autre but que celui de me construire un patrimoine relationnel et visuel. En fait j’ai fini par trouver mon bonheur dans la proximité car c’est surtout un état d’esprit.
Je me prends dès qu’un voyage groupé est organisé; à oublier le respect que je dois au guide suprême pour chercher mes propres analyses du contexte dans lequel je me trouve. Je traîne, je précède, je furète, j’observe et je considère que le plaisir réside dans le détail ou l’insolite pas dans la généralité. L’extraordinaire est partout mais nous ne savons plus le voir. Il nous faut de la sécurité et du près digéré. L’ailleurs est pourtant à portée de chacun. C’est une question de curiosité.
Au début ma carrière d’instit’ sur les vacances scolaires en été, l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne organisait pour une quinzaine de volontaires venant de toute la France, un stage dit « d’étude du milieu ». Une mise en situation dans un « coin » du pays destiné justement à nous former à détecter dans le quotidien des opportunités de faire entrer les élèves dans un processus d’accès autonome au savoir. A Bazas (33), à Pamproux (79), Vic-Fezenzac (32), Lamothe-Beuvron ( 41) sur des sujets proposés par le responsable local il nous fallait en équipe, mener des enquêtes, plonger dans l’inconnu pour en tirer des opportunités d’apprentissages scolaires. Cette disposition d’esprit ne m’a jamais quitté.
J’avais déjà été initié à cette pédagogie personnelle par Madame Lahargue, emblématique professeur de sciences naturelles de l’Ecole normale. Sauf que nous n’avions pas le privilège de la surprise car le thème était répété chaque année en Formation Professionnelle et la notion de découverte donc peu présente. Elle nous conduisait dans le parc de Bourran et nous demandait de récolter les fruits ou ce qui pourrait y ressembler. Au retour en classe toute la collecte était installée sur une table. Chacun y allait de son commentaire ou de ses tentatives d’identification. Toute proposition devait être validée par une recherche scientifique probante conduisant à une certitude.
Madame Lahargue savait à l’avance qu’une boule vert pâle de la grosseur d’une orange ramassée sous un arbre inhabituel, nous conduirait à nous interroger. Bien évidemment nous avions la solution car les « anciens » nous avaient prévenus. Mais par correction nous partions à la recherche de l’identité du fruit inconnu. Dessiné, autopsié par les uns, comparé dans les bouquins mis à notre disposition par les autres, objet de toutes les supputations cette découverte mobilisait les « grands gamins » que nous étions devenus. Nous finissions par mettre un nom sur cette trouvaille « arrangée » : il s’agissait d’une orange des Osages !
Nous devions décliner ensuite toutes les pistes pédagogiques possible découlant de cette identification. Un long voyage imaginaire débutait alors puisque les Osages était une tribu amérindienne qui occupait la zone où poussait cet arbre. La fourmilière travaillait en se distribuant les rôles. Géographie : quelle zone ? Quel climat ? Osages : Quelle origine? Quel avenir ? Quelle culture commune ? Valeur du fruit : comestible ? Dangereux ? Si oui de quelle manière ? L’arbre : taille ? cycle de vie ? Pourquoi dans ce parc ? Quelle histoire du lieu ? Comment était-il arrivé ? Bref toutes les matières scolaires étaient concernées par cette méthode. Dans la « légende de l’EN » l’orange des Osages avait une place particulière.
L’ailleurs n’est donc jamais très lointain. Les gamins actuels méprisent leur quotidien. Ils ne connaissent pas les oiseaux de leur environnement et pas davantage les plantes ou les traditions. Comment les persuader de la nécessité de protéger une nature dont ils ignorent tout ou presque ? Comment éveiller leur curiosité quand ils vivent dans les certitudes du monde virtuel ? Comment leur apprendre à apprendre quand l’intelligence artificielle leur délivrera des solutions fausses (1) mais réputées miraculeusement facilitées ? L’ailleurs est sur une écran! La solution ne nécessitera aucun effort! L’ailleurs est pour leurs parents souvent inquiétant ? L’ailleurs est vécu en vrai comme inutile ? De l’ailleurs viennent des gens inquiétants, des coutumes décalées, des problèmes et donc rien de bon.
Mon ailleurs se niche sur un sentier, sur un marché (j’adore les marchés) , dans une rue, à une terrasse, dans une ferme, dans un atelier, dans une halte improvisée, sur le chemin de mon quotidien. j=j’ai toujours en mémoire cette phrase du modeste mais attachant journaliste et écrivain audois Gaston Bonheur : « tout ce que je sais, tout ce que j’ai appris de solide, je l’ai glané chaque matin et chaque soir sur le chemin de l’école ». Ce n’est plus d’actualité !
N’empêche que le mien m’a profondément marqué par ses odeurs, ses étonnements, ses personnages, ses événements, ses aventures et ses habitudes… Lectrices, lecteurs je pars donc une semaine faire le plein d’émotions « ailleurs ». Vous trouverez tous les matins votre chronique en venant directement sur le site. Je ne suis pas en effet certain que je pourrai envoyer l’annonce du texte… Alors soyez curieux ! A vous de marcher vers lui jusqu’à samedi prochain. Il vous attendra…
(1) Toutes les demande concrètes que j’ai effectuées sur l’IA à la mode ont débouché sur des réponses fausses avérées ! C’est catastrophique.
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Bonjour J-M !
Splendide ton papier du jour à la gloire de l’Observation (les majuscules sont absolument volontaires!), cette discipline naturelle que l’intelligence artificielle annihile …dans le but bien précis « d’abétisation » de l’Être Humain !
Voir, observer, écouter, sentir, toucher, …. utiliser au maximum ces sens dont la Nature nous a dotés, n’est-ce pas là, au travers de la Connaissance, le début de la Vraie Liberté ?
Tu cites Madame Lahargue … alias Akéla, épouse d’Ibis que j’ai connus grâce à Castor. Cette enseignante, qui vient de nous quitter m’avait touché par son sens aigu de l’Humain, associé à un amour profond pour les Pyrénées et plus particulièrement la vallée d’Aspe et son village d’Osse où elle repose.
Ce couple avait installé un magnifique « dictionnaire » de la Nature Pyrénéenne à Gabas près de la route de Bious-Artigues, toujours dans la recherche de leur objectif : mettre la Connaissance à la portée de Tous. Que ma surprise fut grande quand j’ai découvert ce lieu pour tous, anéanti, détruit : est-ce cela l’avenir de la Connaissance face à l’intelligence artificielle ? À méditer ….
En revenant sur ton feuillet, je dirai simplement qu’il est à afficher dans tous les lieux scolaires (et ailleurs… même chez nos gouvernants ! !) pour éveiller tous ceux qui devraient observer pour connaître … et comprendre ! ! !
Amicalement
« Tu cites Madame Lahargue … alias Akéla »,(Nous ferons de notre mieux !) épouse d’Ibis que j’ai connus grâce à Castor. …Toujours Tout Droit !
Très bonne semaine Jean-Marie et profites bien et encore car la nostalgie qui t’habite et que je partage nous encore plus apprécier les joies simples et naturelles dont nous pouvons profiter…
« fait » oublié… mais vous aurez tous corrigé!
Pardon pour cette relecture trop rapide…
IA: Intelligence Artificielle ou Bêtise Universelle ?
Si une machine pouvait être intelligente ça se saurait depuis longtemps.
Encore une escroquerie pour naïveté informatique.
L’Oranger des Osages ou Maglure (Maclura pomifera ou auriantaca), arbre que je connais bien, au bois lourd, souple et solide, au grain fin, est aussi connu sous le nom de « bois d’arc », les amérindiens l’utilisant pour ce usage(et pour bien d’autres).
J’ai rafraîchi mes connaissances sur Wikipédia qui signale un Maclura pomifera au parc de l’Épinette à Libourne. Avis aux amateurs.
J’ai découvert cet arbre, il y a bien longtemps avec mes élèves, l’un d’eux en ayant apporté une « pomme « . Cela nous avait donné beaucoup de travail avec les moyens de l’époque pour déterminer cet arbre, en fait une expérience modestement comparable à celle pratiquée par madame Lahargue, avec la différence que le maître ne connaissait pas la réponse.
J »aime bien, dans une discussion où l’on essaie de m’en imposer, à propos de plantes ou d’arbres, sortir le « binôme linnéen » en latin, avec le nom du botaniste qu’i l’a « baptisé », s’il me revient, (un peu dépassé par le classement phylogénétique auquel j’ai renoncé de me convertir) Ça clôt généralement les débats.
Quand l’intelligence artificielle a remplacé le plaisir « d’apprendre à apprendre », j’ai compris que nous « étions cuits »… !