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Ici et ailleurs (43) : le bonheur du pèlerinage rituel

Le 15 août, quand on est enfant actuel, n’a aucun sens réel puisqu’il est un jour de vacances comme un autre et qu’il ne génère pas de contraintes particulières ou n’accorde pas de libertés complémentaires. C’est l’absurdité de ces jours fériés toujours basés sur un calendrier religieux n’ayant plus aucun impact social, sauf à permettre de déserter son lieu de travail ou d’améliorer une période de congés. Que peut représenter « l’Assomption » dans le contexte actuel, quand on mesure la connaissance réelle que possèdent les Françaises et les Français de la saga catholique ?

Pour ma part, je conserve pourtant des souvenirs particuliers de cette journée qui devenait extraordinaire dans la vie d’un enfant d’un village sans trop de repères festifs ou collectifs. En fait, pour bien des Sadiracais, le 15 août constituait un moment privilégié permettant d’entrer dans ce monde des vacanciers qui  pouvaient prendre des distances avec leur quotidien. Grands-parents, parents, petits-enfants et enfants sans moyens matériels de se dépayser, acceptaient l’invitation du curé à participer à un voyage à Lourdes.

Les mécréants ou les croyants par obligation familiale ne boudaient pas leur plaisir de partir le 13 ou le 14 pour un voyage organisé par le chauffeur de l’autocar effectuant chaque matin la liaison régulière entre Créon et Bordeaux via Sadirac . « Mario », grand escogriffe italien, quasi frère de mon père, boute-en-train infatigable,  s’érigeait alors en organisateur de « pèlerinages » ouverts (lui-même n’ayant pas une foi ostentatoire) aux familles désireuses de s’offrir une sortie annuelle en compagnie des bigotes ou des piliers de la paroisse. C’est ainsi que dans mon enfance, malgré ma résistance déjà forte aux obligations de la catéchèse, j’attendais avec impatience le petit matin du départ vers les Pyrénées. J’en rêvais.

Le parcours immuable avait deux haltes : l’une pour le café des adultes dans un restaurant à la sortie de Captieux et l’autre pour se dégourdir les jambes sur la grande place des bords de l’Adour à Aire. Toujours le même hôtel  rue Alsace et Lorraine. Lourdes constituait pour nous une destination touristique particulièrement attractive, avec un spectacle permanent, des rites auxquels je me pliais par mimétisme rassurant, et surtout un gigantesque bazar avec des magasins que je trouvais somptueux eu égard à la seule épicerie vétuste de ma bourgade natale. La cité mariale, sa foule, ses mises en scènes nocturnes, ses groupes diversifiés, ses néons et ses marchands du temple constituait un autre monde beaucoup plus attractif.

En fait, j’étais prêt à oublier mon aversion naissante pour les ablutions et autres signes religieux, afin de découvrir ces montagnes que je ne connaissais que sur la carte de France Vidal-Lablache, pendue aux murs de ma classe. Avez-vous éprouvé ce sentiment particulier qui consiste à mettre une réalité sur un nom ou un mot appris à l’école ? Il ne m’a jamais quitté. Pyrénées ? C’est autre chose en vrai, à sept ou huit ans, que sur une ligne de la « composition » de fin de mois. Chaque année, le programme fut identique mais jamais je n’eus l’envie de m’en plaindre. Bien au contraire !

Le Pic du Ger et son funiculaire appartenaient aux lieux mythiques me permettant de m’identifier aux vainqueurs de l’Everest ou du Mont Blanc. Chaque fois, il fallait que nous prenions de la hauteur afin de mesurer notre bonheur familial d’un autre cadre. C’est une bande joyeuse qui tentait de se photographier avec une boite carrée qui finissait chez Monge, photographe artistique créonnais, qui en tirait des photos miniatures aux bords dentelés sur lesquelles je faisais inévitablement la gueule ! A l’inverse, « l’exploration » des grottes de Médous avait le « parfum » des aventures souterraines de Norbert Casteret. L’émerveillement était le même, et dans ma tête je répétais inlassablement « stalactites… tombent! Stalagmites…montent ! » afin d’être savant dans les conversations de la rentrée scolaire.

Les stocks d’eau miraculeuse constitués, le passage par la grotte accompli, et la procession nocturne fascinante effectuée avec ses cierges vendus à pris d’or, je me considérais, avec mon frère, comme débarrassé de nos obligations religieuses pour « prendre nos vacances » de milliardaire. Une chambre d’hôtel avec salle de bains et eau courante (nous n’en avions pas à la maison) partagée avec nos parents. Le petit-déjeuner servi avec croissants et du pain beurré. Le repas du soir de la demi-pension servi avec tous les atours de la fête, pris avec les adultes dans une ambiance joyeuse.

Et l’ascenseur ? Quel bonheur que de monter et descendre. Il fallait faire durer le plaisir et donc s’arrêter à tous les étages  au risque de se faire pincer par des adultes réprobateurs à l’égard d’enfants mal élevés ! Si nous allions vers le ciel, le jour du 15 août, c’était essentiellement dû à cet engin miraculeux, mais pas aux prières des milliers de femmes, têtes couvertes d’un fichu et chapelets en mains !

Au rayon des moments précieux figurait la visite du musée de Lourdes où était installé une myriade d’automates animant un « Lourdes miniature ». Sculptés dans le tilleul, ces personnages s’échinaient dans des scènes de la vie courante. La visite était interminable, car il nous fallait percevoir les moindres détails de ces mouvements qui, dans le fond, nous étaient très familiers : le forgeron, le vacher, le moutonnier, la lavandière, le muletier… Chaque année, il y avait une amélioration avec son, lumière et nouveaux personnages, ce qui légitimait encore une visite.

Mon plaisir était toujours le même… Le reste ? Le culte des apparences et de l’exploitation de la crédulité des foules! Le 15 août ? Uniquement des cailloux blancs sur le chemin rupestre emprunté par des enfants avides de joies simples sans trop se soucier du contexte dans lesquels ils les vivaient. Dans le fond, j’étais déjà laïque jusqu’au fond de mon être… et ce n’est pas  l’intolérance manifeste de la pseudo prière de ce jour, pondue par un homme parlant d’un sujet dont il ignore tout, qui va me faire changer d’avis.

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Cet article a 6 commentaires

  1. christian grené

    Alors là, il m’épate mon pote. Il est vrai que porter sur sses épaules les prénoms de Jean et de Marie, c’est un peu lourd à porter quand il faut combattre pour l’eau (de) Lourdes. Même bénite, pourvu qu’elle se teinte de la couleur qui seyait si bien a l’Anaïs de Pagnol.

  2. christian grené

    …. Je voulais écrire « à la Naïs de Pagnol ». Sans importance!

  3. J.J.

    Avez-vous éprouvé ce sentiment particulier qui consiste à mettre une réalité sur un nom ou un mot appris à l’école ?
    C’est, en voyage, une de mes occupations préférées.

    Extrait d’un de mes textes sur le « sujet ».

    Le 15 août, fête de l’Assomption

    Il était impensable de ne pas assister à la procession organisée ce jour là par les pères Montfortains, desservant la chapelle d’Aubezine.

    Cette chapelle, en réalité une église assez monumentale « gothique contemporain », style Sainte Chapelle, classée maintenant monument historique, est à mon (humble) avis aussi laide, tarabiscotée et impersonnelle que le Sacré Cœur de Montmartre ou ND de Fourvière.
    Je ne réussis pas, dans ce genre de bâtiment (m’as-tu vu dans mon joli vitrail ?) à trouver la paix et la sérénité des humbles églises romanes.

    Obezine fait référence au monastère corrézien d’Aubazine ou Aubazines, ou Obazine (opacina silva, forêt obscure) dont cette chapelle aurait dépendu…..
    …L’abbaye, accueillit et sauva des femmes israélites pendant l’occupation (deux sœurs ont reçu la distinction de Juste parmi les Nations).
    Elle est aussi connue pour avoir accueilli un certain temps, alors qu’elle était une enfant orpheline, celle qui allait devenir célèbre sous le nom de Coco Chanel. Elle en conserva d’ailleurs le profond souvenir d’objets mystiques et du nombre 5 (comme les étoiles à cinq branches qui ornent les locaux) qui inspirèrent toute sa carrière…

    …Le 15 août, donc, jour férié, dans le début de l’après midi, la procession se mettait en ordre, prêtres de la paroisse, l’évêque ou son représentant, pères Montfortains, religieuses, enfants de chœurs, porteurs de bannières, de croix, d’ostensoirs, dames patronnesses, etc.…Les petites filles en robes blanches et couronnées de fleurs, portaient des couronnes, généralement de roses blanches. Au cours de la procession elles allaient les brandir en chantant :
    Prends ma couronne,
    Je te la donne,
    Au ciel, n’est-ce pas,
    Tu me la rendras.
    Bref, un placement sur le futur…
    Le clou du spectacle avait été la sortie de la statue sur un brancard, porté sur les épaules de quatre malabars, prenant la place dans le cortège qui se mettait alors en route.
    Suivait la foule des fidèles. Le cheminement était lent et solennel, coupé de bénédictions, de haltes permettant la récitation d’oraisons. Les prêtres entonnaient des cantiques repris par les voies aigrelettes des petites filles et des dames. Il m’est arrivé d’y mêler ma voix, mais mon enthousiasme n’a pas été de très longue durée.
    Puis après avoir parcouru un circuit dans les rues du quartier, la bonne dame ayant fini de prendre l’air rentrait dans ses pénates jusqu’à l’année à venir.

    1. christian grené

      Merci JJ. Je craignais de n’avoir que JM à lire. J’ai pu laisser tomber l’espace d’un instant Judith Perrignon et son « Victor Hugo vient de mourir » (éditions L’iconoclaste).

  4. Cortot

    Ai gardé comme souvenirs de ces pèlerinages religieux
    Le bus ou j’étais malade tout le long du chemin .Ma place était à côté de la religieuse a cornette a côté du chauffeur . Mes copines s’amusaient derrière..Une vraie punition ! En deux A notre arrivée fallait aller à la grotte .passer dessous suivre la colonne et passer ses mains sur la pierre mousseuse mouillée et se frotter les bras ..la figure ..je trouvais cela dégoûtant tout le monde carressait cette roche ..des gens priaient très fort .. c’était un brouhaha pire que le marché …….. Déjà c’était le commerce dans toutes les rues ..devant de portes et les vols allaient déjà bon train …on. Entendait le sifflet des policiers courant après voleurs de sacs à mains . Tous les sanctuaires sont devenus des commerces fructueux
    Et quand on parle que le Vatican n’est pas un état riche .. comment faut il pour payer les Prêtres chaque mois blanc ou noir ?
    Fallait toujours rapporter un souvenir ..chapelet .médailles.image de la grotte où de Bernadette . Quelques dépliants comme au tour de France mais c’était plus marrant de voir Yvette Horner et son accordéon par le toit de la deux chevaux .. c’était une journée magique le tour de France seule avec mon Pèr

  5. Christian Goga

    Et bien mon souvenir a moi est l’aide apporté avec des copains de l’école aux sœurs infirmières de St Vincent de Paul aux malades que nous faisions monter dans le train spécial à Juvisy et leur retour avec espoir d’aide à la guerison. Ce qui se produisait quelques fois.

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