Comment se persuader ce matin que ce 17 février revêt une importance particulière quand tout s’agite autour de moi et que j’ai vraiment envie de ne rien faire ? Un jour guère différent de tellement d’autres. Parmi le flot ininterrompu d’informations en tous genres qui déferlent depuis que mon radio réveil a ouvert un œil pour m’obliger à le suivre, pas une seule n’a fait référence au vrai événement du jour. En effet il y soixante-quinze ans dans la maison de Terrefort naissait un « gros » bébé patronné par le savon d’Abel (le maître des lieux fabriquait lui-même son savon avec du suif de bœuf et de la soude) puisque la merveilleuse savonnette Cadum était trop chère.
Sur la table de la cuisine il y avait encore quelques tickets de rationnement et la cafetière avec la chaussette ayant permis aux accompagnatrices de la parturiente de tenir une partie de la nuit. La venue du Dr Auclair médecin créonnais des « pauvres » réveillé à l’aube (il ne se faisait pas payer selon les familles et prenait sa rémunération avec des produits ordinaires des propriétés) avait permis à Jeanine d’être rassurée pour son premier accouchement. L’eau chauffée dans la partie droite de la cuisinière à feu continu, avait alimenté les membres de la famille invités, durant la venue au monde de l’enfant de Jeanine et Eugène mariés sans grande pompe un an plus tôt. Il avait été décidé par la mère que si c’était un garçon (et s’en fut un) il porterait le prénom de Jean-Marie comme celui d’un personnage d’un roman de Pierre Loti qu’elle avait adoré. Et puis la traduction Gian Maria convenait aussi à la belle-famille italienne récemment installée dans la villa Félix de Le Ruzat sur la terre sadiracaise.
Rien n’était écrit d’avance pour le nouveau venu sur la terre des cruches. Selon la légende familiale il témoigna très vite d’un féroce appétit qui dit-on, ne l’a jamais vraiment quitté. Quelques mois suffirent à ce que lorsque les admiratrices déjà nombreuses se penchaient sur le landau récupéré auprès d’une amie généreuse, elles s’extasièrent sur la bonne santé valant au nouveau-né d’être vite surnommé « le gros’ ».
Chargée de préparer les repas de la cantine scolaire en attendant que la place de secrétaire de mairie se libère, Jeanine n’imaginait pas confier trop longtemps « son » fils à sa mère pas très rassurante dans ce rôle. Le « gros » mis en plus bien du temps à accepter le sevrage. Elle l’amena donc au travail dans une cuisine du siècle précédent installée dans l’école devenue mixte aujourd’hui disparue depuis six ou sept décennies. Une idée géniale car comme les « grandes élèves » préparant le Certificat d’Études avait au programme les gestes indispensables pour devenir un jour une mère de famille… le « poupon » permit de passer aux travaux pratiques.
Maillotage, démaillotage, « talcage » ou essuyage des fesses avec les premiers soins aux rougeurs intimes, furent donc effectués selon un roulement quotidien entre ces apprenties nurses. Là encore l’histoire a retenu que le « cobaye » toujours de bonne humeur, semblait satisfait de cette diversité de prises en charge. Lorsque arriva treize mois plus tard Alain dit le « bichon », la prise en charge fut encore accentuée. Jeanine fut contrainte cette fois de laisser le « petit dernier » à la surveillance de sa mère. Le premier venu poursuivit quant à lui sa mise à disposition des demoiselles habituées pour une bonne part d’entre elles à s’occuper d’un cadet à la maison dans des familles nombreuses.
Scolarisé durant sa première année celui que l’on continuait à qualifie de « gros », prit place dans une vraie classe très « maternelle » où disait-on il prit vite ses habitudes. En fait nul ne sait vraiment (même pas lui) si cette période l’imprégna au point qu’elle fit naître une vocation mais il resteras ans discontinuer dans une école pendant plus d’un demi-siècle. Pas plus que l’entrée dans la mairie de Sadirac où la famille trouva un logement de fonction quatre ans plus tard ne saurait justifier sa passion pour la gestion communale…
Le fils d’Eugéne et Jeanine avait pourtant bien failli ne jamais connaître pareille satisfaction. En plein hiver, quelques mois auparavant, engoncé dans un manteau protecteur il était en effet lourdement tombé sur l’angle des marches de l’escalier conduisant à la maison louée dans le hameau de le Piron. Une blessure profonde sur le front. Une plaie en étoile et profonde le laissa mal en point durant plusieurs heures. Point d’hôpital mais une confiance dans la solidité du bonhomme suffit à effacer l’angoisse d’une mère légitimement perturbée.
Eugène para comme toujours, au plus pressé et fit appel au curé du village, répondant au nom prédestiné de Langemarie. Il avait été infirmier durant la Grande Guerre et avait acquis une serieuse réputation de soignant. Au volant de sa Trèfle au cul pointu il accourut dans la soirée, examina le blessé et se montra rassurant. Il décida à recoudre à vif avec l’aide ferme du père, ce qu’il considéra comme une blessure sérieuse mais sans danger. La tête était dure ! Durant plusieurs jours le prêtre vint renouveler les pansements et vérifier que ses points tenaient le coup… On oublia très vite surtout que « le bichon » eut une mastoïdite beaucoup plus angoissante car elle nécessita une hospitalisation.
Mes trois quarts de siècle ont été merveilleux et « le gros » sachant toujours d’où il vient a mis un point d’honneur à justifier la chance qu’il a eu de bien débuter dans la vie. Heureux ainsi ce 17 février de pourvoir encore partager avec vous !
Photo de la classe la plus maternelle en bandeau de la chronique. J’y suis !
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Très bon anniversaire à un esprit libre et que la roue continue de tourner encore longtemps!!!
Bon anniversaire Jean Marie. Quelle vivacité et quelle précision dans ce récit ! On dirait que tu y étais !
Je vais bientôt célébrer (très modestement) mes 3/4 de siècle +10, mais je n’ai pas de souvenirs aussi précis, et ceux qui me restent ne reflètent pas cette bonhommie.
Mais la grande leçon de la vie, je pense est de savoir se contenter de ce que l’on a et d’en tirer profit.
En cadeau je t’offre une page de mes « mémoires de guerre »: la fabrication artisanale du savon, comme celui du grand père Abel.
Ainsi se transmettait une recette pour fabriquer du vrai savon. Il fallait d’abord réunir les ingrédients nécessaires avant de passer à l’action.
Un grand récipient était nécessaire, une lessiveuse, généralement. On y faisait fondre du suif ou tout autre corps gras dans de l’eau mise à chauffer, puis on ajoutait de la résine en pain que l’on avait concassée, enfin avec beaucoup de précautions, de la soude caustique. Puis le tout était porté à ébullition. Cette activité n’était pas sans danger et je me souviens du jour où l’écume est passée par dessus bord, arrosant la cuisinière et le sol de petits cubes de soude caustique qui firent, avant que ma tante ait le temps de les balayer et de les récupérer, des marques indélébiles sur le linoléum. Personne ne fut blessé, mais nous avions frôlé la catastrophe, la soude caustique et les autres matières en fusion n’étant pas des produits anodins.
Quand la mixture était suffisamment cuite, (Je ne me souviens ni des proportions ni des temps de cuisson) il fallait alors la verser avec précaution dans des moules, généralement de vieilles boîtes de biscuits. Au bout de quelques jours, la pâte étant bien raffermie, on passait à son démoulage qui n’était pas chose aisée. La préparation, découpées en gros cubes était encore mise à sécher et durcir avant de pouvoir être employée. Ce savon était d’une vilaine couleur marron tirant sur le noir, avec des strates plus ou moins claires, un peu comme de l’agate. Mais il produisait une mousse abondante et nettoyait fort bien le linge et la peau. Parfois un peu trop fort d’ailleurs, quand la soude caustique n’était pas convenablement dosée …
@ à J.J.
Je crois me rappeler qu’on parlait « de savon noir » ? !
C’était surtout le pain qui était noir, et aussi le marché…
@ à J.J.
J’ai moi aussi connu ces 2 noirs…
Bonjour !
Bon anniversaire « La Classe » et excellent « Jour de rentrée » dans ce quatrième quart de siècle … avant le suivant ! ! !
En levant mon verre de clairet …même loin,
Bien amicalement !
@ à François
Il faut savoir conserver les bons gestes qui sauvent… de la soif !
Bon anniversaire.
Centenaire a 75% est une grande satisfaction. Croyez moi.
@ à Christian G
Et à plus ?
Encore plus !
Aujourd’hui est un grand jour puisque notre J.M a choisi de venir visiter ce monde en ce mois de février ! Comme je l’ai fait moi aussi, mais hélas pour moi, avec quelques années de différence. Bon anniversaire mon cher Jean-Marie et que « ta bonne fée la chance » te permette d’en fêter beaucoup, beaucoup, beaucoup… d’autres !
J’en ai aussi le souvenir!
Ca ne nous rajeunit pas, mais tu es dans la fringante jeunesse: tu es encore sur tous les fronts. On parlera de toi dans un siècle, alors que belle soit la fête!
Excellent
Le 17 février 1600, Bruno Giorgio est brûlé vif à Rome après que des bourreaux lui ont arraché la langue
Rectificatif : ce n’est pas Giorgo mais Giordano.
Magnifique ! Peloté par des jeunes filles, soigné par un curé tout cela laissait présager une vie hors norme !
Bon anniversaire cher Jean-Marie.
Ta truculence me ravit toujours autant ….. et oui, c’est toujours une chance inouïe que d’avoir été tant aimé dès sa tendre enfance. Cela donne une force considérable pour affronter les aléas de la vie.
Je t’embrasse bien affectueusement.
Merci Jean-Marie pour ce beau texte rempli d’humour et, à la fois si touchant. C’est d’une époque qui est aussi la mienne (je suis ton aînée de trois ans) que tu parles avec tant de chaleur et de tendresse. Qu’il est agréable de te lire !
@ Coucou Marie-Emilie…
5 ans avec toi et 8 avec lui… Tout çà ne nous rajeunit pas… !
Mais comme on dit chez moi, tras los montes : » mala hierba nunca muere…! »
« Chez les uns, la sagesse est dans la parole, comme chez le perroquet ; chez les autres, dans le cœur, comme chez le muet ; chez d’autres, elle est également dans le cœur et dans la parole. » (Je pourrais ajouter dans l’écrit aussi.)
Maximes de la sagesse hindoue – IIe siècle
Belle et heureuse année à toi Jean-Marie, ainsi qu’à tes proches.
à Christian C
Comme je me sens concernée par les 2 vérités + 1 (la parole, le cœur + l’écrit) de cette sagesse hindoue… MERCI Christian !
Bonjour,
et joyeux anniversaire, c’est toujours un plaisir de vous lire. Belle description de ce temps d’avant où nos mamans accouchaient à la maison.
En nous souhaitant aussi de pouvoir vous lire encore très longtemps.
@ à facon jf
Ayons une pensée pour ces mères qui accouchaient à la maison… ! Combien d’entre elles n’ont pas eu ce bonheur… « bercer son bébé dans ses bras » ! La médecine périnatale était moins performante à l’époque qu’elle ne l’est aujourd’hui… !
Tout simplement « très bel anniversaire » la classe. Même si les années sont là, dans nos têtes nous sommes encore jeunes.
Toujours beaucoup de plaisir à lire les billets
@ cher Jean-Marie,
Venez raconter les horribles turpitudes de l’inquisition en France partout où l’Église catholique s’est implantée.
Joyeux anniversaire tout de même
@ à Bernie
Un conseil d’amie… Attention, « terrain glissant » !
@ Laure, j’ai pianote avecJMD qui m’a dit donner des cours sur le fonctionnement des communes à partir du Maire. Il était assez lointain mais il m’a bien répondu.
L’inquisition est un gros morceau (la séparation de l’église et de l’Etat). Me comprends tu ?
@ à mon amie Bernie…
Si je te comprends ! ? Comment veux-tu qu’il n’en soit pas ainsi ? Je parle de « la Maldita Inquisición » !
Très joyeux anniversaire cher Jean Marie!
À très vite ! Des bises
Bon anniversaire Jean-Marie
Très joli récit et bien venu dans le club des 3/4 de siècle….
Bonne soirée d’anniversaire.
Pour tout ce qui a été écrit avant moi, je ferai dans… la sobriété: Que tu gardes le souffle qui anime ta plume tous les jours pour éteindre les bougies du Centanire!
@ à mon ami Christian…
devenu poète ! MERCI !
L’Asti spumante m’a valu une coquille. Bien lire: Centeaire.
Et merde! CENTENAIRE.
@ à mon ami Christian
Voilà ce qui arrive quand on a trop bu d’Asti spumante !