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Mon monde favori trépasse sous l’angoisse sanitaire

Quand je franchis le pas de la porte de mon domicile pour déboucher directement dans une rue du cœur de la bastide créonnaise je recherche toujours à humer l’ambiance. Le centre ville silencieux, sans âme qui vaille ou le même lieu avec un trafic automobile constant, des bruits divers et des chalands arpentant les couverts, dénote en effet le contexte général du pays. Depuis le début de cette semaine une chape de morosité liée à l’absence de vie réelle collective s’est installée comme si, après l’agitation ayant marquée la période des fêtes, la société replongeait dans un quotidien angoissant. Le marché de mercredi reflétait cette évolution. 

La place de la Prévôté a sonné creux toute la matinée. Les rues se sont désolées en soirée de ne plus bénéficier des flux constant des bisons futés du trajet domicile-travail. Les arcades dans l’après-midi s’offrirent un bain de soleil avant l’eau froide. Depuis 5 heures Créon ne s’est pas réveillée. Elle n’est pas parvenue à sortir de la torpeur dans laquelle l’a plongée la crise. Une lassitude collective d’autant plus perceptible que bien des rideaux de commerces sont baissés. L’air n’a pas son parfum habituel venant du café de « la Tasse qui fume ». Il manque tellement de repères que l’on se sent perdu. 

De temps à autre une mère pressée, tire par la main ou précède un enfant qui a probablement échappé à l’école mais qui ne coupera pas au supplice d’un engament d’écouvillon dans la narine. Tout le monde (ou presque) a le masque. Même pour se procurer l’opportunité d’une royauté éphémère il faut en passer par ce bal masqué de l’anonymat à l’entrée chez José. En me dirigeant vers ce « cabinet médical dit bistrot » où je soigne au rosé mon fond dépressif par le partage avec d’autres des potins de la vie locale, je croise des regards interrogatifs. Si Baudelaire revenait il confirmerait que nous sommes dans une période oùsi « les yeux sont les reflets de l’âme » ils ne le sont pas nécessairement de l’identité. On se connaît mais on hésite à se reconnaître lors des rencontres fortuites.

La salle d’attente de l’expresso de 14 h manque de copains. Le comptoir grelotte du froid des absences. La méfiance règne en cette semaine des quatre jeudis de repli sur soi. Il manque la confiance. C’est palpable : la suspicion règne quand par le plus grand des hasards entre deux rendez-vous, des « vacataires occasionnels» du lien social créonnais s’installent à une table. Ils regardent autour d’eux et soupèsent leurs chances de croiser des goutelettes suspectes.  Deux cyclistes en échappée s’offrent à l’écart une pause dans leur contre la montre imposée par la peur de l’étape du lendemain. Le peu de monde présent chuchote comme lors d’une mise en bière. Impossible de s’éclater. Ce foutu « Haut micron » a mis le moral au plus bas. Il est partout et nulle part. 

En revenant à l’air libre une sensation de soulagement envahit celui qui n’a pas trouvé son compte dans ces échanges manquant de liberté. Le port du passe ne m’a pas permis d’ouvrir les frontières vers le monde d’avant. Il semble que ce soit de plus en plus irrémédiable. Rien ne s’agite vraiment autour de moi. Et même en passant devant la pharmacie, la longue file d’attente des candidats au tests accentue le malaise. La similitude avec ces images d’un temps noir de l’Histoire de France aimé par Monsieur Z où on tentait de trouver son pain quotidien, vient à l’esprit. Il leur faudra patienter une bonne heure pour que la vérification du taux de Coranavirus s’effectue et tout le monde en cette période de vœux espère secrètement un début d’année négatif pour envisager positivement les jours suivants.

Mon rendez-vous chez le toubib a renforcé cette impression de filer vers le monde du silence. Là encore, personne dans la salle d’attente d’ordinaire bondée. La sonnerie incessante du téléphone dénote une angoisse masquée. La secrétaire assure, rassure, propose, conseille et distribue des rendez-vous pour des piqûres réputées salvatrices. Nombreux sont celles ou ceux qui réclament leur passage en troisième pour obtenir avec succès leur passe vaccinal promis aux « élèves » les plus sérieux. Dans la pièce d’à coté des infirmières se piquent au jeu et inoculent à la chaîne. « Haut Micron » rode. Il est là ennemi invisible jsuque dans une masion de santé où on s’en passerait bien. 

J’éprouve une certaine satisfaction de causer avec le médecin d’autres sujets de préoccupation sanitaire que celles qui envahissent toutes les pensées. Venir pour évoquer la taille de ma prostate ou les brûlures causées par un emplâtre anti-douleur conservé trop longtemps, constituent un privilège. Un moment presque heureux qui de part et d’autre du bureau procure une éclaircie dans cette journée bien grise. On plaisante même sur les vendanges pharmaceutiques 

Ce foutu soleil n’ose pas sortir ses plus chauds rayons comme si ses éclats ajouteraient à l’angoisse ambiante. Le réchauffement climatique pour le moment mis à l’encan a pourtant perdu de son impact sociétal. J’enlève mon masque pour respirer, pour emmagasiner de l’air pas très pur mais tellement agréable avant de regagner mes « retraites ». Créon bouge un peu avec la sortie des établissements scolaires qui fonctionnent sans trop de problèmes. Vivement que les embouteillages sur les grands boulevards où il y a tant de choses à voir reviennent…

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Cet article a 19 commentaires

  1. christian grené

    Dans tes crêveries d’un promeneur solitaire, tu évoques le monde du silence. Mon voisin au cimetière de Saint-André-de-Cubzac, le commandant Cousteau, t’en sait gré. C’est le mariage de la nymphe qui sauva Ulysse du naufrage – Dieu sait s’il connait – et du roi de Thèbes. Créon et Calypso, comme c’est beau.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Christian
      Qu’est-ce qui me vaut ces idées noires… ! La vie est belle puisque ce Covid n’aura pas notre peau ! Et je te rappelle que… « ¡ mala hierba nunca muere ! » (traduction pour les non hispanisants : « le chiendent ne crève jamais »).

    2. Pierre Lascourrèges

      Entre Saint André de Cubzac et Blaye, ton coeur balance…

      1. christian grené

        Entre Saint-André-de-Cubzac et Blaye, je me Bourg la Gironde.

        1. christian grené

          Je peux vous paraitre vulgaire mais je ne dis pas que je vous emmerde, moi. Je ne suis qu’un vulgum PQ.

          1. Laure Garralaga Lataste

            @ à Christian…
            Choking ! Voilà que tu m’obliges à parler un mauvais anglais… puisqu’il n’y en a pas de… stop ! Pas de diffamation !

        2. Laure Garralaga Lataste

          @à Christian
          Depuis que je vous ai quitté(s-es)… il s’en est passé des choses… ! ! !
          … Et malgré cela… tu tiens le coup ? !

  2. Laure Garralaga Lataste

    Avec tes balades dans Créon à 5h…, si l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, le tien est tout tracé !

  3. facon jf

    Bonjour,
    votre monde d’aujourd’hui ébranlé par la Covid prépare le monde de demain qui est déjà là. Les Grecs pourront télécharger une version numérique de la carte d’identité complète et de leur permis de conduire sur leur téléphone portable d’ici Pâques, a révélé jeudi le ministre de la Gouvernance numérique Kyriakos Pierrakakis. Les gens peuvent actuellement télécharger une partie de leur pièce d’identité sur leur téléphone pour faciliter la vérification de l’identité du titulaire d’un certificat de vaccination. Le nouveau service permettra aux citoyens d’utiliser leur identification numérique dans toute transaction avec l’État ou l’institution nécessitant une identification.
    Et voila comment le contrôle numérique va remplacer les contrôles d’hier, voila comment les états ou leurs officines vont pouvoir croiser les données informatiques et de traçage des citoyens. La passerelle entre les données personnelles de vos téléphones, photos, sms, mails, mouvement d’argent, sera ouverte et inspectée sans limites.
    Plus grave encore, la saisie lors d’un contrôle de police banal de votre téléphone vous condamnera à la mort sociale puisque vous ne pourrez plus rien faire!!
    La source en Anglais est ici https://www.ekathimerini.com/news/1174758/full-digital-id-driving-license-in-mobile-phones-by-easter/
    La Grèce se révèle bien être le laboratoire de l’ UE(rss).
    Le plus intéressant est ici en posant la question QUI est à la manœuvre? ID 2020.
    ID2020 est un consortium public-privé au service de l’objectif de développement durable des Nations unies à l’horizon 2030 de fournir une identité juridique à toutes les personnes, y compris aux populations les plus vulnérables du monde. L’organisation a publié un énoncé de mission en dix points, qui comprend: «Nous pensons que les individus doivent avoir le contrôle de leurs propres identités numériques, y compris la façon dont les données personnelles sont collectées, utilisées et partagées». Les participants Accenture, Microsoft, Avanade, PricewaterhouseCoopers et Cisco Systems ont apporté leur expertise à ID2020. ( source wikipedia).
    Ils commencent avec les analphabètes et sans-abris du Bangladesh et, une fois leur programme informatique testé (fourni par Microsoft, au hasard), ils montent d’un cran sur les gens normaux. Raison pour laquelle ID2020 a choisi un pays des PIIGS*, ravagé par la crise et où la révolte a été matée, la Grèce !
    Nous vivons une période moderne et effrayante. Conspirationniste JF retourne dans ta niche !
    bonne journée
    * PIGS (littéralement, « porcs » en anglais) est un acronyme1 utilisé pour la première fois en 2008 par quelques journalistes britanniques et américains, spécialisés en finances ou en économie, pour désigner quatre pays de l’Union européenne : Portugal, Italie, Grèce et Espagne (« Spain », en anglais).
    Parfois, l’Irlande est incluse dans le lot, ce qui donne PIIGS. Cependant, « I » dans PIGS désigne habituellement l’Italie. Selon Eric Nielsen, économiste en chef pour l’UE chez Goldman Sachs, « L’Italie est dans une position plus agréable que les autres pays du sud de l’Europe grâce à une meilleure balance commerciale ».
    GIPSI (« GITAN » en anglais) : C’est un terme équivalent au PIIGS, comportant les mêmes membres. Il a été proposé à la suite des protestations contre le terme PIIGS mais implique également une nuance péjorative.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à façon jf
      … à partir de * PIGS, je me suis réveillée… Voilà que mon ami Jf parle l’anglais ! Moi qui ai toujours été récalcitrante, j’abandonne mes préjugés… prête à rejoindre la confrérie…
      Patatras ! ! ! L’Angleterre nous intègre dans PIGS ! Et elle insiste même… avec GIPSI (« GITAN »)… 
      Depuis, nous avons eu d’autres preuves de ce dont est capable la perfide Albion…

  4. Patrick HUDE

    Comme toujours, tu exprimes, par l’écriture et avec talent, « nos » petits bonheurs, « nos » vides sidérants, tu fédères « nos » singularités, tu côtoies le recours tant à « nos » certitudes qu’à « nos » inquiétudes … Tes pages sont « nôtres » … presque magiques.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ Bruno à travers Patrick HUDE
      Attention Bruno… n’oublie pas la fable du « corbeau et du renard » de notre ami Jean de La Fontaine !
      J’ignore ce que tu as dans ton bec mais, ce que je sais, c’est que le Patrick le zieute… !

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à facon jf
      « Faute avouée est à moitié pardonnée »… dit-on ! Moi je veux que tu saches que l’on excuse l’erreur d’un ami ainsi que celle d’une amie !

  5. Marie Dominique FEZZI

    je suis allée à Créon voir une proche, ma mère, nous sommes allées en ville. Quelle tristesse, de rideaux tirés, peu de monde , personne sur la place.

  6. Laure Garralaga Lataste

    Aujourd’hui, dimanche, je m’accroche à la relecture de ce « Roue Libre » de samedi ! Que puis-je faire d’autre (?) quand Jean-Marie fait la grasse matinée… ce qui est pour lui une « grâce des cieux » qu’il s’offre chaque semaine, nous laissant totalement au désespoir ! Profites-en bien J.M et… à demain, lundi !… Puisqu’on le vaut bien !

    1. Laure Garralaga Lataste

      … Mais qu’écris-je ! ! ! Ce sont 2 (je dis bien deux jours) de farniente qu’il s’est offert ! Hier samedi 8 et aujourd’hui 9… Ferait-il le grève du non zèle ! ?

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