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L’opéra matinal des oiseaux de la piste

Le petit matin frisquet a réduit à une poignée de courageux les adeptes de la sortie dominicale sur le segment entre Créon et Sadirac de la piste que Roger Lapébie, n’a jamais parcouru sur un vélo mais peut-être dans le wagon d’un train allant de Bordeaux à Eymet. La gelée a oublié l’Entre-Deux-Mers mais la semaine du blanc a débuté tout au long du ruban noir pas encore occupé par les cyclistes avides d’exploits leur permettant d’écrire un chapitre dans leur « légende personnelle des cycles ».

Les prunelliers sauvages ont revêtu leur tenue de mariage avec un printemps précoce. Ils laissent exploser les fleurs de leur innocence naturelle dans des buissons neigeux aux bouffées de conception immaculée. Le contraste avec la grisaille ambiante de ces heures encore sans soleil éclabousse les yeux de celui qui profite de la descente en roue libre le visage fouetté par la fraîcheur ambiante.

Ce qui deviendra dans quelques mois une voûte verte protégeant le promeneur solitaire, attend souvent que sonne l’heure du réveil. La futaie ou les arbustes laissent la vedette à ceux qui ont le privilège de se couvrir de fleurs avant de devenir dur de la feuille. A chacun son laps de temps dans l’ordre naturel des choses.

Pour le moment, les bois abritent l’opéra de la piste, une sorte de Scala pour oiseaux recherchant des comparses pour affinités ou plus. Un concert monte de toutes parts dans l’anonymat le plus complet. Les partitions divergent et produisent un charivaris aussi joyeux que déroutant car les exécutants en sont invisibles.

Bien évidemment comme le veut la tradition des arts lyriques les exécutants rivalisent d’audace cherchant à impressionner le seul auditeur que je suis. Ils se moquent pas mal de ma présence puisque l’essentiel pour eux est d’être entendu par ses congénères tous plus prolixes les uns que les autres.

Là-haut perché sur la cime d’un arbre dominant les merles déroulent des phrases musicales toutes différentes les unes des autres. La rivalité fait rage. Les tirades dénotent une capacité d’improvisation exceptionnelle. Aucune ne se ressemble pour un « bœuf » géant où chaque participant répond à l’autre par un solo dont il garde le secret.

Ces ténors du mois de mars ont parfois des accents rocailleux et vont chercher des notes interrogatives comme s’ils étaient dans l’attente d’une réplique d’une diva décidée à faire nid commun. Dès la lueur de l’aube ils s’égosillent avec la pointe de désespoir du travailleur sachant que la journée sera longue ! Un sacré boulot que celui consistant à éloigner les rivaux et surtout à faire edscendre les femelles du paradis.

Des dizaines d’autres créations s’entremêlent et deviennent incompréhensibles. Les passereaux jouent en effet la carte de la finesse, déployant des « dentelles » musicales particulièrement complexes. Aucun d’entre eux ne parvient à éclipser les vedettes de la scène mais l’ingéniosité de leur prestation discrète mérite que l’on fasse une pause pour en saisir les nuances.

Le « pit-pit » cristallin au niveau variable des mésanges bleues ou le « ti-ti-tu » répétitif de leurs cousines dites charbonnières saisit par sa modestie et sa sincérité. Ces boules de plumes se promènent d’une branche à l’autre. Elles haussent le ton si par hasard elles identifient un danger ou témoignent de leur impatience en accélérant le rythme de leurs « vocalises ».

Discret en temps ordinaire le rouge gorge toujours au ras du sol y va aussi de sa mélodie acidulée et ciselée. Il attendra que des espaces silencieux se créent pour distiller des gazouillis sophistiqués afin d’affirmer sa présence ! Il ira très vite se produire coté jardin sur des scènes plus modestes mais qui correspondent davantage à sa puissance de chant.

Tout à coup, ce matin, des coulisses un peu plus lointaines, un claquement de bec trouble pas sa banalité et sa médiocrité, le récital en cours. Cette espèce de percussions inhabituel intrigue l’auditeur qui sait en saisir l’intérêt. Des cigognes en villégiature sur la route vers le Nord se dissimulent dans la forêt humide.

Leur craquètement se veut séducteur comme les castagnettes peuvent l’être dans un flamenco endiablé. Les premiers vététistes qui s’interpellent sur les sentes tracées stoppent net ce qui devient une conversation en langue des bois. Les cigognes veulent être là incognito ! Impossible de les repérer. 

Sur ces quelques kilomètres de piste qui devraient être beaucoup plus protégés qu’ils ne le sont, la nature offre une éternel étonnement pour peu qu’elle soit parcourue avec les sens en éveil. Il suffit de laisser son esprit se promener hors du macadam battu ou roulé et d’avoir simplement un amour immodéré pour la simplicité de la vie naturelle, celle qui nous file sous les doigts !

 

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Cet article a 7 commentaires

  1. mlg

    Un vrai bonheur matinal ton texte !!!un vocabulaire très choisi qui ajouteàla poésie déjà existante par le thème A lire sans modération et à faire lire……..

  2. J.J.

    « Il(le rouge gorge) attendra que des espaces silencieux se créent pour distiller des gazouillis sophistiqués afin d’affirmer sa présence !  »
    Un concurrent sérieux mais difficile à observer, compte tenu de sa minuscule taille et de sa discrète livrée, c’est le troglodyte mignon, souvent confondu avec le roitelet, le Roi Bertaud (le raborteau saintongeais)et dont le chant produit un véritable vacarme, un gazouillis haut perché et péremptoire, à l’intensité inversement proportionnelle à sa taille.

    Beau texte virgilien, comme un « Alceste à bicyclette ».

  3. Laure Garralaga Lataste

    Un régal plein de poésie… !
    J’en reste sans réponse par peur de gâcher ce beau texte… Comme dit J.J.

  4. François

    Bonjour !
    Quand l’oreille attentive guide la plume volubile tel un saphir sur un disque symphonique, le texte prend alors des notes printanières.
    Félicitations au Mozart du clavier! !
    Amicalement.

  5. CHRISTIAN GRENE

    Je t’écrirai plus longtemps dans l’après-midi mais, déjà, une question me taraude: combien de temps met-on pour aller de l’Académie Française au Pan… Créon?

  6. CHRISTIAN GRENE

    … Je veux dire « à vol d’oiseau ».

  7. CHRISTIAN GRENE

    Je te déclare ma… flemme. Et, au clair de la lune, je passe la plume à mon Pierrot pour t’écrire ces mots:
    « Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux
    Regardez les s’envoler, c’est beau
    Les enfants, si vous voyez
    Des p’tits oiseaux prisonniers
    Ouvrez leur la porte de la LIBERTé »

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