Depuis que mes souvenirs sont entrés dans les tiroirs de ma mémoire dont l’un d’eux déborde des cérémonies du 11 novembre. Au fond, parmi les clichés qu’il me reste je trouve ceux de mon enfance dans ce village de Sadirac où la Grande Guerre était partout. Le Maire, le Curé, l’Instituteur avaient tous trois à des degrés divers étaient des blessés de cette effroyable boucherie humaine.
Le premier était monté plus d’une dizaine de fois à l’assaut à Verdun jusqu’au jour où il avait été sauvé par son casque qui avait freiné un éclat d’obus. Le prêtre avait été envoyé dans l’enfer des Dardanelles pour soigner la pneumonie qu’il avait atteint dans les tranchées. Blessé par une grenade ayant sérieusement touché son pied et sa jambe le maître d’école avait été rapatrié du Front vers l’hôpital de Biarritz où il avait eu le bonheur de rencontrer une infirmière qui était devenu sa femme.
Bien évidemment aussi longtemps que je me souvienne, je me suis retrouvé devant le Monument aux Morts de Sadirac soit parce que notre instituteur nous invitait fermement à nous retrouver à ses cotés pour commémorer l’Armistice, soit parce que j’accompagnais mon père, employé plus que polyvalent de la commune, préposé à l’organisation de la cérémonie. Durant plus de trente ans il n’en a manqué aucune !
Or, bizarrement si le premier magistrat communal s’impliquait avec ferveur et un sincérité absolue dans ces retrouvailles de la mémoire, les deux autres n’y participaient pas ou que de loin. Ce qui me frappe avec le recul ce sont ces absences des vrais acteurs sadiracais de la Guerre, à ce moment de recueillement comme si les « survivants » avaient de la souffrance à se présenter devant une plaque de marbre ou un socle de statue allégorique, où figuraient des noms de morts qu’ils connaissaient.
Je n’ai par exemple jamais vu mon grand-père Antoine dit Abel, se rendre à cette commémoration. A 18 ans et quelques mois, capturé dans une offensive allemande il avait terminé la Guerre dans une mine de sel de Silésie. Il en était devenu profondément pacifiste et il n’a pas raconté une seule fois, la réalité de sa participation à ce conflit dévoreur d’hommes jeunes et vigoureux. Celui qui aurait dû être son beau-père avait en effet, été tué dans la nuit de Noël 1914 et il avait passé toute sa vie ou presque avec sa belle-mère veuve de guerre comme si la Guerre ne l’avait jamais quitté.
N’empêche qu’il n’a jamais fait une seule remarque sur notre participation en tant que gamins avec mon frère à ces 11 novembre. Il nous laissait libres de nous construire notre vision de ce conflit inhumain qui ne transparaît pourtant pas autrement que dans les mots des discours. Il haïssait par contre tout ce qui avait un caractère officiel et a toujours refusé d’adhérer à une quelconque association d’anciens combattants. Il a donc introduit le doute dans mon esprit et j’avoue avoir eu des « manques » durant mon adolescence… mais sa souffrance de « revenu » du Front a fini par me toucher.
Deux « objets » m’ont ramené à cette dure réalité d’un monde traversé par l’effroyable folie des Hommes de pouvoir. L’un est une lettre écrite d’une plume appliquée, émouvante de simplicité et d’affection, par ma grand-mère Germaine âgée de 10 ans, pour souhaiter une bonne année 1915 à sa mère Anita sans savoir que son père était porté disparu (il le restera durant près une décennie). L’autre reste la savonnette utilisée dans les mines de sel par mon grand-père, seul vestige de sa guerre, que je conserve comme un relique de Saint dans une boite.
Le reste m’importe peu comme pour lui. Je m’accroche à ces deux symboles banals mais tellement précieux de ce qu’a été ce premier conflit mondial. Ils sont devenus dans le fond mes « monuments » aux morts.
Comme instituteur puis comme élu j’ai compris, par la suite, la nécessité de formaliser un hommage pour qu’il dure dans le temps. Mon grand-père Abel n’est plus là mais j’ai en moi son message silencieux mais tellement prégnant pour moi chaque fis que je suis devant un Monument. Il aurait souri ou plus sûrement il se serait mis en colère s’il avait entendu parler de « guerre » à propos de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Cette année les cérémonies auront un aspect particulier avec des gens masqués tentant de protéger les autres contre le plus dangereux des virus, celui de l’indifférence. Ce gaz indolore qui endort les consciences fait que les guerres ignobles sont occultées par les distances, les enjeux politiques. Qui pensera par exemple aux innocentes victimes du Haut Karabak ? Les Monuments n’ont de l’utilité que s’ils interpellent les mémoires… cette année je crains qu’elles ne soient confinées.
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T
Très émouvant .
Les cérémonies de notre histoire sont de plus en plus banalisées. Et par tout le monde. L’école, les mairies,les parents,etc…
Comment les transmissions peuvent elles se faire aux jeunes?Comme on l’a fait pour moi , j’ai toujours encouragé ma fille à participer aux cérémonies, en rappelant toujours ce qu’elles représentaient. Et les « organisateurs » les faisaient participer , en portant une gerbe, ou en lisant un document.
Plus rien de tout ça.
On voit des monuments aux morts degueulasses, dès fois avec de vieilles fleurs fanées dans leurs jardinières,même à ces dates ,et le confinement accentue cette déchéance du souvenir, puisque se faisant à huis clos…Le 8 Mai et le 11 Novembre 2020, m’ont particulièrement touchée par cet abandon des mémoires. Et pourtant , plus que jamais , on doit les rappeler.me semble t’il.
Il a même, été question de supprimer une de ces commémorations, car trop de fériés….
J’ai toujours trouvé émouvant et digne ces hommages des jeunes enfants des villages, apportant quelques humbles fleurs échappées aux gelées précoces, chantant une grêle marseillaise ou récitant un poème de circonstance . Certains avaient dans leur entourage, dans leur village ou leur famille le témoignage d’un rescapé de cette horreur.
On en parlait peu, mais on savait.
C’était aussi un moment de « convivialité », comme on dit maintenant. On se retrouvait dans la mairie, à partager un verre. Parfois le maire me chargeait d’acheter un gâteau pour remercier les enfants de leur participation (qui venaient même s’il n’y avait pas de gâteau).
J’ai assisté, par la force des choses, à un « 11 novembre » à l’Arc de Triomphe, en « pot de fleur », au coin de l’avenue de Presbourg et des Champs Élysées.
C’était guindé, pompeux et solennel, il n’ y avait pas l’émotion intime des petites cérémonies de villages.
Qu’en est-il aujourd’hui, où les campagnes deviennent déserts et où les écoles disparaissent les unes après les autres ?
Comment commémore -t-on ces souvenirs (s’il en reste) dans des communes recomposées ?
Merci Jean-Marie ! Ton écrit de ce jour renforce la réponse apportée à cette question : « pourquoi ces républicains espagnols ont-ils étaient si nombreux à se taire ? » Deux réponses à cela… :
– Parce qu’en Espagne ils étaient les vaincus…
-Parce qu’en France, non seulement ils n’avaient pas participé à cette terrible boucherie de 14-18, mais ils seront également accusés d’avoir transmis la terrible pandémie appelée « grippe espagnole »…
…la terrible pandémie appelée à tort ! « grippe espagnole »…
En réalité elle devait venir des U S A, qui accusent toujours « les autres ». Il ne faut oublier que les États Désunis furent en guerre avec l’Espagne à la fin du XIX ème siècle.
Merci à JJ qui est parfaitement informé et confirme mes propos…! Nous sommes si peu à connaître la vérité !
Certains disent qu’elle venaient de Chine (déjà) ! D’autres parlent des U. S. A ! Le saurons-nous un jour ? Qui aujourd’hui s’intéresse à cette histoire ?
Petite correction » d’enseignante pointilleuse » : il ne faut « pas » oublier… (risas-rires)…
J,’ai eu la chance que mes deux grands-mères soient revenus de la boucherie.
Mon grand-père paternel avait fait l’Ecole Normale à La Sauve et, comme beaucoup, a été détourné de sa vocation parce que l’armée avait besoin d’officiers pour cette guerre qui s’annonçait et la rémunération permettait à un jeune d’envisager de fonder un foyer (mon grand père ne s’est marié que quand il a été capitaine avec une native de Lorraine que son devoir avait poussée à être infirmière au front).
Ce grand père, athée au départ, a été le seul survivant d’un mitraillage ou tous ses compagnons ont laissé la vie. Moralité, il revient blessé pas trop méchamment, croyant et pratiquant de la grande guerre, et ancien combattant assumé.
Le grand père paternel, avec le régiment des Basques a été de tous les durs combats, le Chemin des Dames, Verdun, etc.
Il est revenu gazé à quelques jours de l’armistice, plus athée et anticlérical que jamais, détestant la guerre, les militaires, refusant les honneurs, les commémos.
Il m’a avoué cauchemarder quasi toutes les nuits (il est mort à 90 ans). Un souvenir d’enfant qui m’a marqué. Mon grand-père me montre la photo de son régiment et me cité : lui il a pris une balle dans la tête à côté de moi, ces trois là sont morts dans un bombardement, etc, etc. Il se souvenait du nom de tous ses copains.
Il aurait pu détester le beau-père de sa fille (qui avait fini colonel), mais ce qui dominait c’était le respect, entre deux hommes qui, l’un comme l’autre, avaient connu l’enfer…
Mes 2 grands-pères, bien sûr, mais quand la machine prend l’initiative d’écrire à notre place…
Il n’appartient qu’à nous d’écrire l’Histoire de nos grands-parents et de nos parents… Amitié et solidaire.