L’escargot n’est vraiment pas l’animal terrestre le plus prestigieux. En été il le sait et se dissimule, se replie derrière un opercule qui lui permet de survivre qaund les humains s’étalent au soleil. Laborieux, condamné à évoluer dans un monde hanté par la vitesse depuis ses origines, baveux, cornu, hermaphrodite, donc deux fois plus « cocufiable » (c’est la raison véritable de ses doubles cornes tactiles) et casanier au point de ne jamais quitter sa maison, le « petit gris » ou la « demoiselle » appartiennent à ce patrimoine quotidien que nous méprisons. Ils haissent l’été !
Et pourtant, quel est l’enfant libre qui n’a pas un jour passé des heures à tenter de dompter une « cagouille » comme nous disons chez nous ? Quel est celui qui n’a pas donné du temps au temps pour suivre le parcours plus ou moins incompréhensible d’un colimaçon ? Qui n’a jamais rêvé d’avoir un fier escargot aux traces argentées pour damer le pion à celui du copain, dont le coursier s’est égaré dans une direction tortueuse ? Qui n’a pas aimé ces soirées estivales d’après orage où, la lampe torche à la main, il allait cueillir les gastéropodes en goguette le long des murs du cimetière ? Qui n’a pas tenté en plein été de les réveiller en leur versant une douche Ces compagnons de l’enfance, supports d’un imaginaire fécond respirent la simplicité absolue, la modestie remarquable, la nature la plus humble et la fragilité absolue.
Massacrés par les merles moqueurs du temps des cerises, détruits par les jardiniers au cœur de laitue, écrasés par les véhicules méprisants, les escargots n’inspirent aucune indulgence. Capturés, ils sont en effet immédiatement mis en cage pour une condamnation au pain sec et à l’eau, destinés à les débarrasser de leurs scories repoussantes.
Les « cagouilles », peureuses et résignées, se replient alors sur leur pesante demeure, afin de faire oublier la tristesse de leur devenir. Il leur arrive parfois que des fins gourmets confient au lait le soin de blanchir leur teint, mais cette coquetterie culinaire ne les empêchera nullement de finir dans une cassolette ou sur le gril du supplice. Lavés, relavés, vinaigrés, purgés, salés les escargots reviennent alors à leur funeste destin, qui les voit passer du statut de mets ayant traversé la nuit des temps à celui de plat typique.
La meilleure manière de tester la valeur des racines d’un convive, c’est en effet de le placer devant ces coquilles baignant dans une sauce rouge sang, à la Bordelaise. Reculer devant le boulot consistant à aller « déterrer » le cadavre d’un gastéropode avec la pointe d’une fourchette tordue sur place, c’est avouer que la terre n’a jamais véritablement collé à la semelle de ses sabots. Il faut aligner ou entasser comme autant de trophées arrachés à ses préjugés, un tas de coquilles vidées de leur contenu, pour affirmer son goût prononcé pour l’authenticité des plaisirs adultes de la table.
Il y a quelques décennies l’escargot se méritait. L’escargot ne s’achetait pas. L’escargot participait à ces fêtes païennes entre amis heureux de partager la « récolte » patiemment accumulée et soigneusement protégée. Il avait toute sa place dans ces moments collectifs autour des marmites parfumées dans lesquelles nul ne sait véritablement s’il préfère la sauce ou les bestioles qu’elle couvre. Des soirées empreintes de liberté et de joie de vivre, comme autant de repères dans une vie collective trop abstraite que plus personne ne pratique vraiment.
L’escargot, symbole de la pérennité du lien social solide, patiemment construit, durable, n’existera bientôt plus à l’état libre. Glyphosaté, éradiqué, méprisé il est victime en plus de la tendance conduisant plutôt à l’aseptisation culinaire, à la standardisation des goûts, à la modernisation rationnelle des comportements gustatifs…Il est pourtant indispensable, pour éviter que le colimaçon ne soit considéré comme moins primordial dans la culture collective que l’ours blanc, la baleine à bosse, ou le panda géant. La « cagouille » a pourtant plus que jamais sa place dans une société pressée d’en finir avec ce qui ne sied plus au bon chic bon genre ambiant.
Un « chabrot » tiède, des confits de porc sous la graisse, des pommes de terre ayant oublié leur robe de chambre, des escargots s’entrechoquant dans une sauce à la chair à saucisse « tomatée », des œufs au plat allongés sur une tranche de jambon, des fromages qui puent ou une pomme sans fard, des harengs à l’huile couverts d’oignons blancs, des tricandilles en guirlandes bien grillées, des sardines argentées, des oreilles de cochons roulées, des andouillettes dodues restent des privilèges hérités de la pauvreté. Impossible d’y goûter avec plaisir si l’on n’a pas traversé, le ventre creux, des soirées sans autre espoir que celui de voir apparaître un repas venu du quotidien.
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Bonjour,
L’escargot est un prédateur dans les jardins et les vignes. L’escargot est hyper bon mais demande beaucoup de lavages pour enlever toute cette bave. Que ce soit en Bourgogne ou à Bordeaux, l’escargot au beurre blanc ou à la bordelaise est très apprécié.
C’est vrai que l’on ne voit plus les lendemains d’orage, le « chercheur de cagouille », armé d’un bâton et d’un panier à salade, longer les murs, rabattre les herbes folles pour y découvrir le gastéropode convoité, revigoré par une ondée nocturne et parti pour une poussive et aventureuse randonnée, qui souvent lui était fatale .
Lorsque l’on partait pour cette quête, on avait parfois un moment de découragement en voyant les herbes foulées : un autre chercheur était déjà passé, annihilant tout espoir de récolte immédiate !
Et le chercheur heureux et farceur déclarait au voisin qui l’interrogeait :
– En as tu trouvé beaucoup ? Sont ils beaux ?
– Oui ! Et rien que des mâles !
C’est en Poitou Charentes que l’escargot dévoile sa vraie nature hermaphrodite :
quand LA cagouille franchit le Seuil du Poitou, elle devient UN luma ….
Ah, Jean-Marie, ce dernier paragraphe… Aaahhh serais-je tenté de corriger. Il y a soixante ans cette année, le commis de ferme (pardon : pour la MSA d’Angoulême j’étais salarié agricole) que j’étais, à Fouquebrune, en Cagouille-land, aurait pu exploser sa sous-ventrière… Après les pluies, nous allions, le patron, le chauffeur de tracteur (Marcel) et moi (je les rejoignais une fois la traite des quelque 25-28 laitières normandes et le soin des bêtes achevés), sur les friches ramasser un max de petits gris. Un coin du grenier à grain leur était destiné : deux ou trois fagots dressés au milieu d’un cercle de cendre fine. Nos cagouilles dégorgeaient tranquillement quelques jours avant que la femme de Marcel viennent s’en occuper. C’est à dire leur faire subir un désagréable bain de vinaigre… Bref, certains soirs nous allions chez Marcel pour une soirée escargots. L’entrée en terre battue passée, nous montions un escalier de bois pour accéder à la cuisine-salle de vie. Là, la cuisinière, à bois, exhalait une bonne odeur d’ail. Après le coup de rouge d’ouverture de gosier, Madame ouvrait la porte du four et sortait une grande plaque sur laquelle mijotaient des dizaines de bonnes cagouilles bien farcies. Silence ensuite juste animé de bruits de succion de la plus grande élégance. Là-dessus, un bon fromage et le coup de rouge final nous ouvraient la perspective d’un bon sommeil à l’haleine plus ou moins chargée… Pour moi jusqu’à 4H30 car à 5H j’entamais la traite du matin.
Un morceau d’anthologie également : le repas d’escargots dans « Un Taxi pour Tobrouk »…
C’est vrai que l’escargot, pourtant amateur fraîcheur se rencontre fréquemment dans des secteurs arides.
Au « portail » à Espiet, mon « pépé Quiquo » mettait un escargot (sitôt cueilli) sur le coin de la cuisinière et dès que le pauvre gastéropode n’ avançait plus….nous le faisait déguster !
Autre gastronomie (je dirais des gens simples ou de gens de la Terre) oeuf tout frais ramassé et gobé grâce à deux petits trous.
Que de moments heureux avec trois fois rien….. oups… mais avec un Grand-père
merci de ne pas divulguer aux végans.