Comme sa mère s’appelle Aurore, Ezio notre nouveau petit-fils a pu passer de l’ombre douce et chaude à la lumière éclatante des spots de la clinique sans grande crainte. Naître des promesses de « l’Aurore » constitue en effet un privilège que peu de « petits d’hommes » peuvent revendiquer. Il est arrivé le 27 novembre dernier afin de profiter du bénéfice symbolique de la renaissance quotidienne du nouveau monde. Là-bas à Montréal, accompagné de l’amour profond de ses parents et sous le regard protecteur de personnels québécois soucieux de lui ouvrir avec le maximum d’attentions les portes de la vie, il a poussé ses premiers cris de révolte d’avoir été dérangé, sans son consentement, de son bain maternel. Ses yeux de petit chaton mouillé se sont ouverts sur des regards soucieux de ses moindres signes extérieurs de richesse vitale sans qu’il puisse comprendre cet intérêt collectif particulier. Son avance sur le planning initial établi par une société de la rigueur programmatique lui a en effet valu une surveillance accrue d’un milieu médical ne souhaitant rien laisser au hasard.
Ezio le saura peut-être un jour… quand ses parents lui raconteront combien un rayon de soleil a éclairé leur vie en ce matin hivernal canadien gris et froid. Leur amour, leur courage, leur sens du partage méritent ce bonheur effaçant des moments de doute ou de solitude loin de celles et ceux ayant la possibilité de les accompagner dans une démarche éprouvante. Douillettement installé auprès de sa mère, sous l’œil prévenant de son père, Ezio, inscrit dans la catégorie des poids très légers a vaillamment mené son premier combat : remonter gramme après gramme vers le niveau souhaité par les accompagnatrices de ses premiers jours. Il me faudra le moment venu lui raconter que dès mon apparition sur la terre de Sadirac, le surnom dont on m’affubla fut « le gros » et que sept décennies plus tard il a encore toute sa justification ! Alors pour lui rien n’est perdu !
Je lui dirai qu’il y a près d’un siècle, dans une chambre au-dessus d’un café du quartier italien jouxtant les hauts-fourneaux de Talange, après les fureurs de la Grande Guerre, naissait Eugène, Auguste Darmian son arrière-grand-père, fils de Pasqua et Silvio ayant quitté depuis deux ans les fermes familiales de leur village natal de San Stefano di Zimella. En quasiment cent ans c’est à nouveau un enfant de terre d’accueil qui a renforcé notre famille. Des maisons familiales des Darmian et des Scarcetto des environs de Vérone, au sol en terre battue, où sont nés 9 et 11 enfants, au logement exigu de la Moselle où arrivèrent Claire et Eugène en passant par la chambre du domicile de mes grands-parents maternels où je suis né avec mon frère Alain la famille paternelle d’Ezio a traversé simplement une tranche de la progression de la nation française. Ezio devra le savoir, le comprendre, s’en imprégner car ces « naissances » successives marquent des paliers à ne jamais oublier. Chacune a constitué un caillou blanc sur des parcours qu’il faut transmettre avec fierté et confiance.
Ezio Miot-Darmian de nationalité canadienne (mais aussi française) illustre ce qu’est devenu ce monde que personne ne veut voir ou admettre : celui des migrations que l’on classe au gré des intérêts sur des critères différents mais qui ont toutes les mêmes bases : l’envie de réussir ailleurs! Il est et restera donc un enfant « d’immigrés » accueillis loin de chez eux, par un pays constitué par des strates successives d’arrivants soucieux de se construire un sort meilleur. Par le choix de son prénom suivi de ceux de ses grands-pères paternels, Aurore et Silvain perpétuent cette culture que notre famille préserve fidèlement : nous n’avons été capables de comprendre où nous allions que parce que n’avions jamais oublié d’où nous sommes venus ! Nous en sommes heureux !
Comment lui expliquer que désormais dans cette France où il va revenir la xénophobie rampante où apparente refait surface ? Comment lui raconter que deux semaines après sa naissance le monde est incapable de se mettre d’accord sur l’accueil de ces jeunes ou ces moins jeunes qui cherchent eux-aussi à fonder dans la sécurité une famille ou à renâitre à une vie digne ? Comment vais-je lui raconter que cette Italie dont les enfants comme Silvio et Pasqua durant des décennies sont partis chercher ailleurs la fortune de la liberté, de la fraternité et de la solidarité ailleurs, se replie sur elle-même faute de parvenir à obtenir le soutien des autres pays de cette Europe ayant conquis les Amériques par ses migrant(e)s ?
Ezio toi qui lécheras un jour une sucette au sirop d’érable, boira une goutte de Bordeaux ou de Proséco, mangera des pâtes, des bleuets, et des chocolatines si ce n’est du camenbert ; toi qui parleras le français, l’anglais et peut-être l’italien ; toi qui posséderas deux passeports toute ta vie ; toi qui auras des parents en France, en Italie ou des amis au Canada, je souhaite simplement que tu prennes un jour la mesure de ta chance d’avoir eu des parents qui ont eu le goût de la découverte, de l’aventure et l’envie de sortir des certitudes ! Ezio tu es un enfant du monde mais je ne suis pas certain que je sois capable de te garantir qu’il ne te déçoive pas trop vite ! T’inquiètes pas tant que nous serons là nous nous battrons pour que tu puisses simplement espérer en l’avenir comme nous avons pu le faire !
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« Savoir d’où l’on vient » Bienvenue à Ezio mais nous savons qu’il a de solides racines pour affronter parfois les vents contraires. Mes vœux l’accompagnent comme ils accompagnent l’un de mes petits fils aujourd’hui en Nouvelle Zélande.
Bravo ! très beau texte, plein de vérité et touchant ? j’aime vous lire … cela nous replace sur terre tel que nous sommes : des hommes tout simplement, qui ont tous besoin de la même chose, des repères d’amour et de sécurité…
Juste émue….. sans grand parent, sans parent alors que je n’étais qu’une ados….je mesure l’importance de chacun de tes mots…. car nul besoin dans cette société, d’être migrant, pour se sentir « rejeté »…. ma famille c’est mes enfants, petits enfants, et puis « les gens »… des amis aussi… et comme toi, tant que j’en serais en capacité, je me battrais…pour eux… pour foutre un pied au cul au « no futur » qui aujourd’hui leur est promis.
Très bel hommage d’un grand-père à son petit-fils pour son arrivée sur la terre des hommes. Cela m’a fait me souvenir de cette citation de Rainer Maria Rilke : “Nous naissons, pour ainsi dire, provisoirement quelque part, c’est peu à peu que nous composons en nous le lieu de notre origine, pour y renaître chaque jour plus définitivement.”
Amitiés, Robert.