Les médias en France, à de rares exceptions près, ont un besoin vital de la publicité dispensée par les grandes multinationales pour survivre. Économiquement ces rentrées financières compensent un modèle n’ayant pas de rentabilité réelle reposant sur les seules ventes ou abonnements. Cette dépendance similaire à une perfusion devient de plus en plus préoccupante en situation de crise. Les rentrées financières devenant rares il faut tout faire pour conserver les annonceurs dont le retrait mais en péril le support d’information lui-même. C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’avoir un « service public » libre des contraintes financières et devenant ainsi susceptible de proposer des contenus non susceptibles d’être mis en cause par les dispenseurs de fonds publicitaires. En fait comme peu de gens ont les moyens de s’offrir une garantie absolue dans ce domaine on a, comme le veut la tradition française, inventé des systèmes mixtes. J’ai eu dans mon modeste parcours de « journaliste » deux accrocs dont je conserve un souvenir précis.
A la recherche d’infos inédites pour « Bordeaux Actualités » l’hebdomadaire dans lequel je travaillais, j’apprends en 1982 que les tours d’habitation de la ZUP de Cenon étaient promises à la démolition. Vérification faite, le « scoop » donné par le concierge permettait de faire la une du magazine. Une certaine fierté et le vrai plaisir d’avoir obtenu un petit scoop j’écris avec le maximum d’application mon papier qui fait son effet lors de la parution. L’arrivée dans la rédaction de la chargée de la cellule de collecte de la pub allait vite doucher ma satisfaction. « Tu sais je viens d’avoir un coup de téléphone le directeur de l’organisme propriétaire des tours de Palmer… il est furax car ton article car c’était confidentiel. Il m’a annoncé qu’il nous retirait tout le budget pub que j’avais obtenu. Tu sais que nous perdons 50 % de ce que j’avais trouvé ». Le journal débutait et ramait pour assurer une rentabilité très incertaine. Il y eut une certaine gêne dans la rédaction. L’éthique est un beau mot mais qui perd de sa superbe quand il met en cause l’entreprise récente dans laquelle vous bossez vous-mêmes. La liberté d’informer ? Oui mais il faut en avoir les moyens ! Nous ne les avions pas car les lectrices et les lecteurs en nombre insuffisant ne nous les avaient pas donnés.
J’ai également vécu l’épisode de « la voleuse de prunes aux Nouvelles Galeries de Bordeaux ». Une collègue pugnace qui avait vécu à mes cotés le moment difficile des tours de Palmer apprend que le grand magasin aujourd’hui disparu a licencié l’une de ses vendeuses surprise par son chef en train de manger une prune tombée de l’étalage. Faute professionnelle, licenciement immédiat…Le vrai problème c’est que la grande surface se prépare à fermer et que tout est bon pour se débarrasser avant le plan social du personnel. Là encore l’article publié est repris nationalement et le téléphone sonne non pas à la rédaction (trop dangereux) mais à la publicité pour menacer de sabrer un budget récurrent énorme des Nouvelles Galeries. La journaliste est convoquée à la direction. On lui signifie qu’elle devrait modérer son tempérament Robin des bois. Elle finira par quitter le journal et le journalisme. Les Nouvelles Galeries fermeront et son personnel sera en grande partie envoyé au chômage et le budget de l’annonceur disparaîtra avec lui.
Alors quand on m’explique que Volkswagen a tout fait pour calmer les ardeurs journalistiques des médias par la « menace » de les mettre au régime sec en matière de contribution à leurs budgets, je ne crie pas au scandale : c’est ordinaire, récurrent et très efficace ! Le Canard enchaîné (lui peu suspect de vivre de la pub!) a révélé que le téléphone a sonné dans les régies des médias qui comptent ! Selon Le Canard l’agence d’achat d’espaces publicitaires de Volkswagen, MediaCom, aurait réclamé aux journaux de faire silence sur la fraude du constructeur automobile (qui a installé un logiciel sur ses véhicules pour truquer les chiffres des tests antipollution), les jours de parution de placards publicitaires de la marque. En échange, Volkswagen maintiendrait ces budgets pub dans ces publications. L’hebdomadaire s’est procuré un mail envoyé par la régie publicitaire « 366 » aux dirigeants des principaux quotidiens régionaux : « Si nous pouvons assurer formellement à l’agence et à la marque que lors des dates de parutions des 6, 8 et 10 octobre prochain, il n’y aura aucun article relatif à la crise VW, nous conserverons les investissements… soit 315 k€. Si pas possible de tenir cet engagement, nous serons dans l’obligation d’annuler ce dispositif ». Et le chantage ne s’arrêterait pas là : MediaCom aurait fait la même demande aux patrons de presse pour la campagne de la marque Audi, prévue pour octobre et novembre. Une campagne de grande ampleur cette fois-ci, avec un budget pub de 1,4 million d’euros. D’après le Canard, plusieurs quotidiens régionaux auraient décidé de ne pas céder à ce chantage. Lesquels ?
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L’indépendance est sans pub..coin,coin !