Il faut des « figures » emblématiques pour que l’histoire ait de la chair et ne repose pas uniquement sur le squelette des dates. Durant de siècles le Peuple l’avait compris en affublant les rois d’un surnom plus ou moins avantageux. Ce fut un repère allant du « soleil » au « gros » en passant pas le « nain » ou « le bien-aimé » qui a servi à donner une certaine humanité à des êtres se jugeant supérieurs. On l’oubliera très vite avec la République! Il n’en demeure pas moins que des femmes et des hommes politiques marquent de temps en temps leur époque sans être forcément connus et populaires au moment de leur action. On ne leur rend justice que bien plus tard en les faisant entrer, par exemple au Panthéon… où on finit aussi par les oublier après un retour provisoire dans l’actualité. Les ministres de l’instruction publique ou de l’éducation nationale finissent rarement dans ce lieu puisque rares sont ceux auxquels on reconnaît du… mérite. Ils sont victimes de l’appréciation standardisée « peut et doit mieux faire ! ».
C’est donc une vraie revanche sur ce destin politique réservé aux responsables du secteur décisif de l’avenir d’un pays. Jean Zay jouissait avant l’annonce de son entrée au panthéon, en France de la même notoriété que Justin Bieber chez les plus de 80 ans ! Même si son nom avait été apposé aux frontispices de centaines d’écoles ou de collèges il n’avait pas marqué les esprits. Comment peut-on encore reconnaître le rôle essentiel d’un ministre qui selon l’avocat bordelais Gérard Boulanger fans Sud-Ouest fut« un homme, victime d’une silencieuse affaire Dreyfus. Jean Zay n’était ni gaulliste, ni communiste, ni socialiste, ni déporté. Était-il seulement juif comme l’a dit la milice, alors qu’il était protestant ? Il n’a donc été revendiqué par personne et il est donc tombé dans l’oubli ». Or peu de responsables ont eu un impact aussi important que le sien sur le système éducatif et culturel de la France. On lui doit la création de la scolarité jusqu’à 14 ans (avec au bout le fameux certificat d’études primaires) , du collège unique (tiens donc!), du sport à l’école, de la médecine préventive, du CNRS, de l’Onisep, du CNTE, du Crous et de l’ENA, pour que « les enfants du peuple puissent devenir ambassadeurs ». Il fut aussi un remarquable ministre des Beaux-Arts : créateur du palais de la Découverte, de la Cinémathèque, de la réunion des Théâtres lyriques nationaux, des musées d’Art moderne, de l’Homme, de la Marine, des Travaux publics, des Arts et traditions populaires. Il a réformé la Comédie française, les Archives nationales, la Bibliothèque nationale, restauré le château de Versailles et la cathédrale de Reims, sauvé de nombreux monuments français dont le théâtre antique d’Orange ou la citadelle de Blaye. Il a enfin fondé ce qui est devenu la première manifestation culturelle au monde, le Festival de Cannes… le tout porté par des valeurs essentielles d’une brûlante actualité.
Pour Jean Zay, la République reposait « avant tout sur le civisme et l’intelligence des citoyens, c’est-à-dire sur leur éducation intellectuelle et morale. […] Contre la conservation sociale mais aussi contre les utopies révolutionnaires, la politique est ce mouvement par lequel l’humanité s’approfondit et devient en quelque sorte plus digne d’elle-même. ». Qu’avons nous à ajouter ces jours-ci à ce constat si nous sommes véritablement des humanistes de gauche ? Il estimait que « l’intellectuel ne peut pas ne pas prendre parti dans la controverse qui chaque jour sur le forum dresse les citoyens les uns contre les autres » ce qui prélude aux fameux droit d’intervention des philosophes, des penseurs, des femmes et des hommes de culture dans le débat politique ou sociétal. Il regrettait amèrement « la perte, pour la République, de sujets précieux, travailleurs et doués, qui, faute d’argent, ne pouvaient accéder à des postes où ils auraient pu donner le meilleur d’eux-mêmes. À l’inverse, des esprits médiocres et nonchalants, grâce à leur fortune, pouvaient sans difficulté accéder à la haute fonction publique, sans même disposer d’une formation adéquate ». Est-ce véritablement différent depuis une trentaine d’années dans ce pays républicain ? La création des écoles normales primaires allaient ne ce sens et des dizaines de hussards de la république issus des couches les plus populaires allaient démontrer que le mérite effaçait le handicap de la condition sociale.
Sa mort tragique, horrible même va ensuite à contre-courant des certitudes faciles puisque les coupables n’étaient pas de la SS ou de la Gestapo mais de « bons Français pétainistes » prônant l’exclusion, la haine raciale ou ethnique, la violence et surtout pratiquant la chasse aux idéaux généreux et solidaires. Le 4 octobre 1940, le tribunal militaire (français lui-aussi) permanent de la 13e division militaire, siégeant à Clermont-Ferrand, le condamne comme officier pour désertion en présence de l’ennemi à la déportation à vie et à la dégradation militaire, contre six ans de prison pour Pierre Mendès France. Ses prises de position très antimilitaristes et pacifistes avant la déclaration de guerre ne sont la vraie cause de cette sévérité ! Le 20 juin 1944, trois miliciens français du collaborateur Joseph Darnand viennent le chercher à la prison. Il s’agit de Henri Millou, responsable de la sécurité de la Milice à Vichy, Charles Develle et Pierre Cordier qui présentent un ordre de transfert pour Melun signé par le directeur de l’administration pénitentiaire, Baillet, également milicien. Ce document contient aussi des instructions de Raymond Clémoz, alors chef de cabinet de Joseph Darnand à Vichy. Les trois miliciens lui laissent entendre ensuite qu’ils sont des résistants déguisés qui ont pour mission de lui faire rejoindre le maquis, et l’assassinent dans un bois, près d’une carrière abandonnée, au lieu-dit Les Malavaux dans la faille du Puits du diable, à Molles, dans l’Allier Les tueurs le déshabillent, lui ôtent son alliance, le fusillent, jettent la dépouille dans un puits et y lancent quelques grenades de manière à ce qu’il ne puisse pas être identifié... Avec qui auraient-il défilé ces derniers mois ? Pour qui auraient-ils voté aux municipales ou aux Européennes ?
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Le poème qui suit a été écrit en 1924 par Jean Zay que François Hollande va faire entrer au Panthéon.
Ils sont quinze cent mille qui sont morts pour cette saloperie-là.
Quinze cent mille dans mon pays, Quinze millions dans tout les pays.
Quinze cent mille morts, mon Dieu !
Quinze cent mille hommes morts pour cette saloperie tricolore…
Quinze cent mille dont chacun avait une mère, une maîtresse,
Des enfants, une maison, une vie un espoir, un cœur…
Qu’est ce que c’est que cette loque pour laquelle ils sont morts ?
Quinze cent mille morts, mon Dieu !
Quinze cent mille morts pour cette saloperie.
Quinze cent mille éventrés, déchiquetés,
Anéantis dans le fumier d’un champ de bataille,
Quinze cent mille qui n’entendront plus JAMAIS,
Que leurs amours ne reverront plus JAMAIS.
Quinze cent mille pourris dans quelques cimetières
Sans planches et sans prières…
Est-ce que vous ne voyez pas comme ils étaient beaux, résolus, heureux
De vivre, comme leurs regards brillaient, comme leurs femmes les aimaient ?
Ils ne sont plus que des pourritures…
Pour cette immonde petite guenille !
Terrible morceau de drap coulé à ta hampe, je te hais férocement,
Oui, je te hais dans l’âme, je te hais pour toutes les misères que tu représentes
Pour le sang frais, le sang humain aux odeurs âpres qui gicle sous tes plis
Je te hais au nom des squelettes… Ils étaient Quinze cent mille
Je te hais pour tous ceux qui te saluent,
Je te hais a cause des peigne-culs, des couillons, des putains,
Qui traînent dans la boue leur chapeau devant ton ombre,
Je hais en toi toute la vieille oppression séculaire, le dieu bestial,
Le défi aux hommes que nous ne savons pas être.
Je hais tes sales couleurs, le rouge de leur sang, le sang bleu que tu voles au ciel,
Le blanc livide de tes remords.
Laisse-moi, ignoble symbole, pleurer tout seul, pleurer à grand coup
Les quinze cent mille jeunes hommes qui sont morts.
Et n’oublie pas, malgré tes généraux, ton fer doré et tes victoires,
Que tu es pour moi de la race vile des torche-culs.
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Il faut aussi saluer l’entrée de 2 femmes exceptionnelles que sont Germaine Tillon et Geneviève De Gaulle Anthonioz, qui ont eu un engagement hors du commun et la force herculéenne de continuer leurs combats en sortant toutes deux de Ravensbrück!!!…