La menace devient une arme de destruction massive

Il ne se passe pas un jour sans qu’un élu soit menacé pour avoir pris des positions publiques qui ne conviennent pas aux minorités extrémistes. C’est une constante dans une société où personne n’admet plus la différence ou la transforme aussitôt en combat. Comme la lutte des classes n’est plus à la mode, on s’étripe comme dans des temps obscurs, au prétexte que l’on a un désaccord social. Poison dans des lettres, poudre à cartouche dans des enveloppes, balles enveloppées dans du papier journal et bien d’autre joyeusetés du genre. La raison a fait place à la menace, d’autant plus efficace qu’elle est relayée médiatiquement. Les preneurs d’otages l’utilisent comme une arme décisive. Les battus sur le champ des idées se convertissent souvent en vengeurs masqués potentiellement dangereux. Certains se planquent derrière des pseudonymes, des sigles plus ou moins ronflants, des structures mystérieuses…mais la méthode reste la même depuis la nuit des temps : plonger les autres dans la peur au prétexte qu’ils ne correspondent pas à ce qu’attend une opinion dominante, réputée porter la vérité. Sondage après sondage, on révèle au peuple ce qu’il a envie de formuler sans pouvoir le faire… et on en conduit une partie à croire qu’il lui faut mener une croisade pour faire triompher la raison du plus fort.
Thierry Speitel, maire sans étiquette de Sigolsheim (Haut-Rhin), a ainsi porté plainte après avoir reçu un courrier contenant deux douilles, scotchées à un article des «Dernières Nouvelles d’Alsace» (DNA) dans lequel il évoquait son homosexualité. Issu d’une famille d’ouvriers, ce quinquagénaire avait fait son coming out dès son premier mandat, ce qui déjà, pour moi, pose un vrai problème, car ce qui est du domaine de la liberté individuelle ne devrait pas entrer dans le champ de la fonction publique. Cette éternelle confusion entre la personne et le mandat exercé devient destructrice pour la démocratie. « Choqué » par le courrier menaçant, l’élu a dénoncé un acte « détestable », tout en disant ne pas vouloir céder à la panique. Thierry Speitel avait récemment confié aux DNA envisager de se marier avec son compagnon et «pourquoi pas» d’adopter des enfants, tout en regrettant les débordements homophobes enregistrés en marge la mobilisation des opposants au « mariage pour tous ! » Il avait osé affirmer ce principe républicain de respect de la loi que tout maire doit avoir en tête en permanence : « un maire qui refuse de marier un couple homosexuel est un maire qui doit démissionner», car «c’est un acte condamnable et homophobe», a-t-il déclaré, après avoir précisé que les munitions reçues étaient des balles de 22 long rifle… donc accessibles aux porteurs de la haine ordinaire. Un engagement franc, public, honnête, raisonnable, tolérant pousse justement à la couardise, à l’anonymat, au mystère, à l’irrationnel et à l’intolérance.
En plus, avec une répétition débile de phrases toutes faites, on atteint le pire de ce que la société actuelle peut produire. Dans ce courrier, le titre de l’article qui accompagnait les douilles, « Bien vivre ensemble », était en effet suivi de l’inscription manuscrite « pas avec les malades ». Un acte isolé dirons certains, alors que pour ma part je n’y vois qu’une manifestation du silence des rapaces. A la suite de la parution de son témoignage dans le journal, cet élu alsacien, catholique pratiquant, avait reçu près de 300 messages de soutien… alors qu’un seul négatif lui a valu une notoriété nationale. La solidarité des élus à son égard ne dépassera pas les clivages portés par le sujet du « mariage pour tous », alors qu’il nécessiterait une vraie solidarité, tant de tels actes remettent en cause les principes républicains. Tout silence est une forme de complicité et je pense inévitablement à ce poème émouvant de Martin Niemöller qui résume parfois notre comportement collectif :
« Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas communiste.
Lorsqu’ils ont emprisonné les socialistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas socialiste.
Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas syndicaliste.
Lorsqu’ils sont venus me chercher
il ne restait plus personne
pour protester. »
Et nous sommes sur le chemin ! J’en suis malheureusement persuadé.

Ce champ est nécessaire.

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Cet article a 2 commentaires

  1. Christian Coulais

    Mais il me semble que notre société a depuis longtemps dépassé le stade de la menace ! Même si cette première année de quinquennat est un peu plus stigmatisée. Le champ de bataille étripe notre vie familiale, après avoir laminé notre vie professionnelle, ces dernières années. L’US way of life et les médias qui nous les rebattent participent activement à ce sentiment aigre-doux.
    Et la décroissance, car il s’agit aussi de cela, d’une perte de cette croissance démesurée, ne fera qu’accroître ce sentiment que les autres « viennent jusque dans vos bras, égorger vos fils, vos compagnes ! »
    Mais personne n’ose expliquer cette mutation, ces mutations, sociales, économiques, environnementales où il va falloir partager, mettre en commun, faire mieux avec moins, s’entr’aider ensemble et non pas avec un esprit communautariste, partisan, clanique !

  2. batistin

    Notre cerveau est une bonne machine.
    Notre esprit est l’essence même de ce que nous sommes.
    Voici une définition possible de la nature humaine dont on peut déduire notre principe de fonctionnement .
    Pour exemple, le repas préparé par notre mère, dont nous savons tous que rien ne servira de lui en faire écrire la recette pour espérer le perpétuer.
    Toute tentative de reproduire le « plat fétiche de maman » se soldera par un échec, il y manquera toujours un ingrédient non écrit, l’amour, le supplément d’âme, l’esprit.
    L’esprit étant, donc bien au delà des capacités que peut nous offrir notre cerveau,
    pauvre machine à recopier les recettes..

    Une autre phrase, érigée en proverbe chez les travailleurs manuels, corrobore cet état de fait: » le tour de main est un tour d’esprit qui vient du coeur  »

    Or aujourd’hui, tout est fait pour que l’être humain n’ait comme ingrédient à son principe de fonctionnement uniquement son cerveau. L’esprit n’entre plus en corrélation avec le cerveau, ce qui permettrait d’élever tous les débats.
    Nous ne discutons plus sans cesse que des virgules à mettre ou ne pas mettre dans le grand livre des recettes ratées d’avance.
    L’esprit nous a quitté.

    Tout l’aura poussé à fuir.
    Les médias avides de secondes, celle où l’effet d’annonce augmentera les ventes, suivie de celle où s’écrira déjà la manchette du lendemain, pas le temps à la réflexion. Le Mali, l’homosexualité, le Dalai¨Lama, la promotion Carrefour, la dernière fiancée d’un chanteur à la mode, le prix de la valeur du ticket Eurotunnel, une bombe en courant, bientôt le père Noël aux Galeries Lafayettes.

    La politique show business, utilisant les médias ou écrasée par eux, qui précède ou suit le mouvement. Le chômage, le budget de l’Etat, l’espionnage, la dernière voiture française, le bon pain de nos campagnes, le maïs génétiquement modifié, la dernière coiffure à la mode chez la reine d’Angleterre, l’homosexualité, les retraites de ceux qui de toute façon n’en auront jamais, l’éducation, le codicille au code du travail, les vacances Paris Match.
    Le citoyen et son pouvoir d’achat, j’arrête là tout est dit.

    L’esprit composerai j’en suis certain une modulation intéressante à nos besoins vitaux, à nos envies, à nos plaisirs, à nos colères, à nos peurs, à nos convictions, à nos pleutreries.
    L’esprit est bel et bien aussi ce qui fait se dépasser quand tout semble perdu, ce qui uni les êtres, ce qui porte à l’indicible, à l’émerveillement. Et donne un gout inimitable à tout.

    J’en suis à me demander si les fervents défenseurs d’une Sixième République sont à ce point attirés vers cette nouveauté par une envie raisonnée et rêvée.
    Ou si ce ne sont que nos cerveaux malades qui sentent confusément le besoin de servir sous un nouveau Chiffre.

    Qui donc, quelle organisation secrète ou avérée, encourage l’utilisation unique de nos cerveaux et l’abolition de tout esprit ?
    Ceux là même, à mon humble avis, qui ont le plus perdu le sens de toute chose et le plaisir émerveillé d’un rapport au monde pour y mettre à la place la recherche effrénée d’un but.

    Maman prenait son temps et son plaisir à faire le gâteau, et cela c’est l’amour et l’esprit, bien avant que de savoir s’il serait réussi ou profitable. Ceci coule de source à la Fontaine en fable moraliste et nécessite peut-être traduction.

    La voici, excusez je ne peux résister: Profitable ne veux pas dire: « faire du profit à table ».

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