Ne pas se laisser berner par les débats virtuels sur l'emploi !

Parmi les dizaines de lettres personnalisées que je reçois chaque jour dans l’une ou l’autre de mes fonctions électives, il est aisé de détecter les grands problèmes sociaux d’actualité. Inutile d’effectuer à prix d’or des sondages, mais il suffit de compter dans les piles « demandes d’emploi », « demandes de logement » et « demandes de dérogation » pour savoir l’état de la France. Le reste n’est que création médiatique circonstancielle similaire aux blancs d’œufs que l’on monte en neige, et qui s’effondrent encore plus rapidement qu’on a réussi à les bâtir. Les racines du mal dont souffre la majorité des gens sont ancrées dans ce terreau des difficultés. Les déclarations ministérielles pourront se succéder, les visites sur le terrain s’accélérer, les annonces se multiplier, la situation est tellement grave que ce ne sont que cautères sur des jambes de bois.
Le chômage devient diffus et il est éclipsé par de grands débats autour d’installations industrielles phares dont l’avenir compromis a au moins l’avantage de mobiliser les grands relais d’opinion. Sur le terrain, on constate que la tache d’huile s’étend avec par exemple le non renouvellement de CDD ou par la perte des emplois procurés par les agences de travail temporaire. Ce tissu qui constituait antérieurement le tremplin éventuel vers des boulots plus stables se délite chaque jour davantage. Les C.V reçus deviennent des listes d’entreprises dans lesquelles le salarié n’effectue que des passages de courte durée. Une sorte de Bottin de l’intérim ou de la fragilité professionnelle… qui donne la véritable dimension des problèmes de l’économie. On embauche, on utilise et on jette avec le moins de risques possibles. En fait, partout l’observation est la même : les carnets de commandes sont en réalité la clé du chômage. S’ils sont garnis épisodiquement, l’emploi devient aléatoire. S’ils sont durablement remplis, l’emploi devient plus permanent. C’est l’absence de lisibilité qui actuellement bloque un système, obsédé par les comptes de fin d’année ayant deux tendances. La première n’est pas nécessairement une augmentation du chiffre d’affaires car elle ne débouche pas sur une croissance du profit. Les fameuses marges garantissent à l’arrivée une réussite enivrante qui se traduit par des dividendes accrus ! Ce n’est pas simpliste, mais réel.
Le pire, c’est que la méthode s’impose aux collectivités territoriales. Des milliers si ce n’est des dizaines de milliers de personnes attendent des postes rassurants dans des institutions déconnectées du monde du profit. Ils commencent à faire un choix qui était antérieurement considéré comme celui des gens sans ambition : la fonction publique ou l’économie sociale et solidaire ! Sur Créon, ces deux secteurs emploient actuellement toutes structures confondues près de 550 personnes ! Collège, EHPAD, commune, associations gestionnaires, services publics divers… ! Selon une enquête que j’ai lancée sur la base des comptes de résultat de 2011, l’autogestion citoyenne des secteurs sociaux (petite enfance, enfance, loisirs, culture, vieillesse…) représente un budget cumulé de 3,5 millions d’€ avec 188 salariés à temps complet ou partiel. Ce sont 78 habitants strictement bénévoles de Créon qui occupent un poste décisionnel (bureau) dans la gestion de ces emplois dont le budget est de 1,6 million d’€ ! On en trouve 156 autres dans les conseils d’administration pour ne parler que des électrices et électeurs créonnais. Qui s’intéresse vraiment à ce travail de fond, effectué depuis 30 ans en faveur d’une autre méthode de gestion partagée de la vie sociale ? Personne ou presque, car ce n’est pas vendable politiquement face à une usine avec le même nombre de personnes en situation délicate. Qui prend en compte des données? Pas un euro de l’État n’entre dans les caisses de ces structures et pourtant elles sont méprisées et même parfois décriées (concurrence faussée ou « paracommercialisme »)
Le soutien de la collectivité territoriale locale à l’emploi utile (écoles, entretien, démarches administratives, aide sociale via le CCAS pour l’APA ou les aides-ménagères…) représente une somme cumulée de 2,2 millions d’€ pour 95 équivalents temps plein ! Il faut y ajouter sur Créon, le Conseil général qui dispose avec la Maison départementale de l’Insertion et de la Solidarité, l’antenne du Centre routier départemental (CRD) et les personnels non enseignants du collège (près de 1000 élèves), l’Établissement (public) pour l’hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD), le centre de secours (12 professionnels et 60 volontaires), la bagatelle de 189 salariés directs ou indirects. L’État, lui, possède 196 fonctionnaires répartis entre les enseignants (collège, écoles publiques, école privée sous contrat, ITEP…) et le Trésor Public.
A part les « intégristes », ressassant un évangile basé sur des dogmes voulant que l’impôt soit destructeur d’emploi, il faut être aveugle pour ne pas admettre que chaque coup porté à ce réseau complémentaire et entremêlé constitue à terme un drame économique. La vraie économie réelle, celle du terrain, peu flamboyante, peu présente médiatiquement, mais pourtant clé de l’édifice républicain est menacée par le culte des profits virtuels. Battons nous pour une autre donne socio-économique. C’est maintenant ou jamais !

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