Les week-ends succèdent aux week-ends comme autant de bornes sur le chemin d’une année réputée nouvelle mais qui ne le reste pas longtemps. La pression est constante afin de répondre aux sollicitations de la vie publique. Pas un zeste de respiration dans l’enchaînement des manifestations extérieures à ce Créon où je me sens pourtant si bien. Une sorte de cocon construit depuis plus de 30 ans maintenant à côté, avec ou par les autres. Lentement je me suis laissé happer par le souci d’être agréable à celles et ceux qui souhaitent recevoir un peu de reconnaissance ou d’amitié. La course contre la montre devient obsessionnelle et parfois elle laisse chaque soir épuisé et sans le sentiment d’avoir comblé l’attente de tout le monde.
La frustration de ne plus vivre avec ses amis, avec celles et ceux qui vous ont apporté les premiers le réconfort de leur soutien, les organisateurs qui concourent à la mise en œuvre de votre vision sociale du vivre ensemble devient, au fil des mois, de plus en plus forte. Le sentiment de culpabilité devient omniprésent, pour quelqu’un qui a toujours bâti son engagement sur la proximité, et l’investissement dans l’action associative. Le week-end, c’est pourtant le moment où j’aspire parfois à respirer, à revenir aux fondamentaux, à oublier la semaine, à régler mes dettes en amitié. Ouvrir la fenêtre sur ce Créon qui invente, qui propose, qui se dévoue pour que chaque vendredi, chaque samedi et même souvent chaque dimanche une proposition destinée à favoriser le dialogue, l’échange, la rencontre ou le partage soit offerte. J’aimerais tant être là, au milieu de ces gens qui osent briser le « gazon, maison, télévision » pour aller vers les autres, ce que je n’arrive pas à faire, happé par la spirale des engagements à respecter.
L’opportunité de revenir l’espace d’un samedi soir sur cet art de vivre ne se laisse pas passer. Le Cinéma Max Linder, qui fut le premier cinéma commercial repris par une municipalité pour le mettre en délégation de gestion associative citoyenne, il y a maintenant plus de 30 ans, proposait une soirée simple autour de Cuba ! Comment peut-on passer pour 12 euros (tarif plein) à côté de ce type de partage autour d’un film, et quel bonheur de retrouver concrètement ce que l’on a impulsé dans la vie sociale locale ? Même si c’est mégalo ou présomptueux, j’ai pris une sacrée bouffée d’oxygène politique en retrouvant les bénévoles du cinéma, soudés autour de l’accueil de plus d’une centaine de spectateurs venus découvrir « Chico et Rita » avant de dîner ensemble sur place dans une ambiance distillée par un groupe de musiciens locaux. Qu’est-ce que c’est bien d’oublier les chiffres, les mesquineries politiciennes, les peurs de décevoir, la bêtise à l’état pur, la futilité des arguments, les querelles personnelles, pour se laver l’esprit devant un film ou en écoutant les notes chaloupées des airs cubains. L’ailleurs chaleureux est souvent très proche, et j’ai perdu l’habitude de m’y installer comme on le ferait sur une plage ensoleillée d’un île déserte. Qu’est-ce que c’est bon de « partir » pour se retrouver aux origines de son engagement.
Chico et Rita , ce couple virtuel cubain jouant au « je t’aime moi non plus », dans le contexte d’une vie sociale peu enthousiasmante, va chercher en nous les fruits de la passion. Ceux que portent l’arbre musical d’un peuple imaginatif, expansif, fier de sa culture, exploitée par la présence américaine (1948), ou victime du climat révolutionnaire logiquement anti-américain. Ce film d’animation bâti prend au cœur, même si parfois la facilité des situations relève du roman photo. Tout est sensuel dans l’histoire authentique de Chico et Rita : la musique, l’amour, les crises, les courbes des corps, les rythmes, les danses…
Les héros de ce film à la fois nostalgique, réaliste et envoûtant, se promènent dans la première moitié du siècle, dans un Paris des caves jazzies comme dans le New-York ou le Las Vegas néonisés. Les villes traversées, vivantes et colorées, rendent la solitude, toujours fondée sur des quiproquos ou des circonstances provoquées, de Rita ou de Chico encore plus émouvante. Quel bonheur de retrouver la chanson mélancolique de « Rita », puis « Lily », naissant des doigts agiles d’un pianiste que l’on verrait bien rejoindre le Buena vista social club. Cet air traverse le film et le temps : la chanson que Chico avait écrite pour Rita, mais que Rita ne chantera jamais… sur scène car elle se « suicidera » par une déclaration fracassante sur le racisme de ce triste pays que furent, il y a encore quelques décennies, les États-Unis d’Amérique.
Le repas simple, paisible, feutré, noyé dans les sonorités cubaines festives ou coulant comme du soleil dans l’air chaleureux de cette salle de l’espace culturel, sans cesse en représentations, m’a permis de poursuivre ma désintoxication. Le bonheur n’est pas nécessairement dans le pré mais plus sûrement dans le partage de la culture de proximité. Je me sens plus léger et… plus jeune ce soir, et envahi par le sentiment de ne pas avoir depuis plus de 30 ans gaspillé tous mes week-ends pour rien. Quel bonheur de pourvoir garder ses illusions !
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« Les enfants de la Télé », cette émission du présentateur-comique Athur, me soulève le coeur.
Je pense alors aux soirées, comme celle que vous décrivez Monsieur Darmian, que nous pourrions passer, entre nous, au lieu d’en regarder d’autres se gargariser de leur amitié fabriquée et promotionnelle.
Entre nous… Mais qui sommes nous ?
Quand rentrent chaque jour chez nous, par la télévision, des personnes que nous finissons par croire réelles et faisant partie de notre vie.
Elles n’en ont rien à battre de notre vie, ce ne sont que des chimères, venues là pour remplacer nos voisins.
Voisins à qui nous ne parlons plus d’ailleurs, sauf du dernier rebondissement dans la vie… de nos chimères télévisuelles.
Comme quoi il n’est pas nécessaire d’avoir des responsabilités loin de chez soi pour risquer de devenir aveugle et sourd.
Ce que vous n’êtes pas, Monsieur.
Mes filles et leurs amis étaient à cette soirée, voilà aussi une continuité qui rassure !