Les responsables politiques ont une constante depuis des décennies, celle de ne pas savoir comment aborder le problème de l’école (je ne dis pas, volontairement, de l’éducation) et la situation empire depuis quelques années. Les hasards de la vie font que mardi, à Paris, j’ai pu discuter avec Guy Georges qui fut secrétaire général de feu le Syndicat National des Instituteurs (SNI) au temps de sa splendeur, entre 1975 et 1983. Le SNI fut de 1920 à 1992 la principale organisation syndicale dans l’enseignement primaire, et il était également présent au niveau collège (11-15 ans), historiquement, à partir des “cours complémentaires” devenus collèges d’enseignement général en 1959, dont les enseignants constituèrent la base initiale du corps des professeurs d’enseignement général de collège (PEGC) créé en 1959.
J’ai tout appris de l’engagement militant et de la gestion de la vie publique dans cette structure, en étant militant de base, puis responsable départemental, délégué du personnel, acteur du système mutualiste, dans un contexte ayant la caractéristique originale de faire coexister des tendances représentant la diversité des courants de gauche et d’extrême-gauche (représentation proportionnelle) et de syndiquer massivement dans son secteur. Outre l’action syndicale revendicative classique, il se caractérisait par un très fort engagement pour la laïcité de l’École et de l’État, et une très forte implication dans la réflexion éducative et pédagogique. D’ailleurs, Guy Georges avait succédé à Jeanne Lordon qui avait été la « papesse » de la… fameuse « commission pédagogique » cette technique qui s’apprend, qui se cultive, et qui doit surtout évoluer en tenant compte des enfants, et non pas en la faisant entrer de force dans une technique non adaptée à ses besoins. Quel bonheur d’évoquer avec lui cette période de ma vie, durant laquelle j’étais porté par les valeurs d’une école ouverte sur le monde, ouverte sur la vie, ouverte sur la réalité… et porteuse d’espoirs pour celles et ceux qui la fréquentaient.
Depuis les débuts de la Vème république qui a délibérément tourné le dos, il y a maintenant un demi-siècle, sous l’impulsion des Gaullistes les plus réactionnaires, aux valeurs d’une école laïque reposant sur l’égalité des chances, le Ministère de l’éducation a été occupé par la bagatelle de 29 attributaires différents… comme si personne n’avait réussi à résoudre le découplage de plus en plus croissant entre l’école et la société. Presque tous se sont contentés de régler toutes les problématiques annexes, mais aucun n’a abordé le cœur du problème : la pédagogie ! Croire que l’on peut enseigner en 2010 comme on enseignait en 1960 sur le principe du magistère, c’est tout simplement tomber dans la facilité. En fait, la suppression des écoles normales dans lesquelles la pédagogie l’emportait (et c’est très relatif) sur le savoir, a généré une spirale de l’échec.
Toutes les modifications des « instructions officielles », toutes les refontes des programmes, tous les changements de dénomination, toutes les modalités de recrutement, toutes les enquêtes, statistiques, palmarès, ne changeront rien à cette évidence : un enseignant ne réussit que s’il doute en permanence de sa pédagogie, s’il recherche tous les angles d’attaque pour favoriser la réussite de celles et ceux qui sont avec lui dans cet univers social diversifié qu’est une classe ! Le jour où on cessera de penser que l’on redressera la situation en soignant les effets constatés, sans se poser la vraie question des causes de l’échec, on cessera de se condamner à l’échec.
Toutes les mesures, annonces, déclarations, réformes qui n’aborderont pas la pédagogie, sont vouées à renforcer le déclin de l’école. Je sais et j’assume cette prise de position, n’en déplaise à mes meilleurs amis. A la maternelle, à l’école élémentaire, au collège (jusqu’en cinquième) il n’y a pas d’élèves mais des enfants ou des adolescent(e)s en quête de sécurité, de reconnaissance et de mise en confiance. Le savoir s’acquiert alors naturellement, quand le lien entre enseignant et enseigné passe ailleurs que par le rapport de forces, la sanction, le gavage, la coercition, la sélection par l’échec, l’élimination progressive, comme lors d’une course d’endurance ouverte à tous les niveaux. Qui cela arrange-t-il de ressasser que le niveau baisse… De quel niveau parle-t-on ? Quelle est l’utilité des niveaux visés ? A quoi sert l’arrivée à un certain niveau, quand il débouche sur une inadéquation avec la société ? Quel rôle joue le monde extérieur sur la baisse du niveau ? Quel impact a la politique gouvernementale depuis 8 ans sur le niveau ? Comment justifier auprès d’enfants l’obtention d’un niveau, quand les savoirs sont totalement étrangers à leurs difficultés quotidiennes ? Il n’y a pas, selon moi, d’échec scolaire, mais des enfants ou des adolescent(e)s en difficulté de socialisation ou en difficulté sociale !
L’homme par qui les réformes populistes, traitant des apparences, mais jamais des racines du mal, masquant des idées réactionnaires qui vont dans le sens d’une opinion basique dominante, a encore une fois lancé, devant un parterre de préfets, de recteurs, de… Procureurs (il ne manquait que les commissaires de police), ravis d’être conviés à l’Elysée, ce qu’il croit être des solutions. Il va relever le niveau scolaire en un tour de main : premièrement en continuant à supprimer massivement des postes, des filières, des options, des matières, des accompagnants; deuxièmement en stigmatisant une classe sociale, en désignant les plus en difficulté, les plus faibles comme étant les coupables ; troisièmement en ignorant totalement les liens entre la formation des enseignants et leur implication dans un métier de plus en plus exigeant. C’est vrai que quand ils sont ressortis du Palais du chef de l’Etat français, ils avaient les recettes de la réussite scolaire : Face au « scandale » que constitue à ses yeux la violence à l’école, il a annoncé qu’un… « diagnostic de sécurité » serait réalisé dans tous les établissements scolaires d’ici juin 2010. Dramatique !
« Il n’y a qu’une seule politique possible s’agissant des crimes et délits commis dans les établissements scolaires : être intraitable », a déclaré Nicolas Sarkozy, qui a promis de « rétablir l’ordre et réhabiliter l’autorité ». Aussi bien qu’il l’a fait dans les banlieues ou dans la société en général ! Il est également longuement revenu sur le dispositif de suppression des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire répété, tel qu’il l’avait présenté à Bobigny le 20 avril, lors d’un discours sur la sécurité. Il a inventé ce qui existe depuis toujours : la possibilité de suspendre les allocations familiales, mais qui est inapplicable car si on peut forcer un enfant à entrer dans un établissement scolaire, rien ne l’oblige à y apprendre la vie ! Désormais, a expliqué mercredi M. Sarkozy, « le chef d’établissement, constatant l’absentéisme d’un élève (au moins quatre demi-journées d’absence non justifiées sur un mois) le signalera à l’inspecteur d’académie. Ce dernier devra convoquer la famille pour la rappeler à ses devoirs » (ils n’ont que ça à faire !) « Dans le même temps, a-t-il poursuivi, il préviendra le président du conseil général qui pourra – comme c’est évidemment souhaitable – proposer à la famille un contrat de responsabilité parentale. En cas de récidive au cours de l’année, l’inspecteur d’académie en informera le directeur de la Caisse d’assurance familiale, qui aura alors l’obligation de suspendre immédiatement la part des allocations familiales liées à l’enfant absentéiste ». Ouf ! Le système éducatif est sauvé… A la même heure, au Sénat, mon amie Françoise Cartron, sénatrice de la Gironde après une mission parlementaire dans ce pays, déjeunait avec la Ministre de l’Education nationale finlandaise et Martine Faure, députée de la Gironde attaquait son travail sur la réforme des rythmes scolaires. Toutes deux ont effectué toute leur carrière professionnelle dans une classe de zone d’éducation prioritaire pour l’une et dans une zone rurale pour l’autre… Toutes deux ont défendu avec moi, dans les années 70 la création de « l’école fondamentale » que Guy Georges portait au nom du SNI. Toutes deux ont été passionnées par leur métier, par les enfants et par leur réussite… Toutes deux ont côtoyé la « violence sociale faite aux familles », toutes deux savent que le gouvernement n’a qu’une seule obsession : se débarrasser du maximum de fonctionnaires pour, après avoir détruit les fondements de l’école républicaine, la privatiser à outrance. Tenez, après 2012, par exemple ! En attendant, il faut détourner l’attention des témoins éventuels du crime.
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Jean-Marie,
Il y a quand même une période, l’adolescence, qu’il est très difficile de gérer. Il me semble qu’il faut savoir, à ce moment là de la scolarité, imposer des règles et donner le goût de l’effort.
Mais bien sûr, pas sans utiliser des méthodes pédagogiques adaptées. Un adolescent se construit en s’opposant, c’est normal. Ne pas lui offrir un cadre duquel il essaiera de sortir, est à mon avis une erreur… Un manque de respect de l’adolescent. Mais les « solutions » Sarkozy ne sont que démagogie…
Tu as remarqué Eric que je parle pas du lycée, ni de la 4°, ni de la 3°…
En effet.
« Article magnifique d’intelligence et de compassion! Sarkozy dépeuple les collèges et lycée d’adultes responsables qui connaissent et aiment leur métier, supprime sans vergogne des heures d’enseignement en même temps que la culture qu’il hait, les personnes qui n’ont pas appris à penser sont une manne céleste pour ce genre de pouvoir! Moins il y a d’adultes, plus il y a de violence! Moins il y a de paroles intelligentes, plus il y a de violence! Plus il y a de pauvreté et de stigmatisation de cette pauvreté, plus il y a de violence! Comment Sarkozy peut-il une seule seconde comprendre cela? Un grand coup de répression, une désignation des « coupables » livrés à la vindicte des gens « bien »et le tour est joué! Qu’il continue ainsi et un jour le pays sera à feu et à sang! » Publié sur Le Post.fr
Tu le sais, Jean-Marie, je te l’ai déjà dit, je suis entièrement d’accord avec toi. Les années passées à l’école maternelle, puis à l’école primaire sont celles, de toute ma scolarité, qui m’ont laissé les meilleurs souvenirs…et le plus de nostalgie ! Les « Maîtresses », issues comme toi, de l’Ecole Normale , savaient retenir notre attention, éveiller notre curiosité, et nous donner le goût d’apprendre….
Contrairement à ce que tu sembles penser, Eric, elles savaient aussi être rigoureuses, et même parfois sévères, mais jamais sans oublier de nous expliquer le pourquoi de leur sévérité, et sans rectifier nos erreurs, en nous les expliquant : c’est cela aussi – et même surtout – la pédagogie.
Et ce n’est certes pas en réduisant le personnel enseignant, en faisant entrer les forces de l’ordre à l’intérieur des écoles, ou en supprimant les allocations familiales aux parents des enfants qui manquent d’assiduité qu’on redonnera aux « mauvais élèves » le goût de l’école, bien au contraire ! Mais il est certain que l’on signera l’arrêt de mort de l’école laïque et républicaine, au profit d’une école privée qui n’a jamais fait la preuve de son efficacité, contrairement à ce que l’on essaie depuis quelque temps de nous faire croire.
A l’instar de la maladie, on soigne les symptomes au lieu de s’attaquer aux causes!
Comme pour l’éducation nationale,Sarkozy supprime des fonctionnaires hospitaliers tant dans les établissements de santé que dans les établissements médico-sociaux, en revisitant totalement la carte sanitaire et médico-sociale, au profit biensûr du secteur privé, qui permettra ainsi à ses actionnaires de faire des profits sur le dos de la souffrance, de la maladie et de la vieillesse!
L’éducation, la santé sont devenus des produits marchands!
A propos du secteur public de santé, et des cliniques privées, personne ne semble s’être insurgé contre cette publicité dont on nous rebat les oreilles – et la vue – sur les chaînes de la télévision publique et qui incite les malades à choisir une clinique privée pour se faire soigner. Sans vergogne, et même pas à demi-mot !!!Ceci n’a que peu de rapport avec la chronique d’aujourd’hui, mais c’est le commentaire ci-dessus qui m’a rappelé cette publicité qui a le don de me hérisser, tant elle me semble intolérable !
Il est bien passé le temps où, avec un modeste, ringard, désuet Certificat d’ Etudes Primaires, dont l’évocation déclenchait les sarcasmes des prétendus intellectuels, on pouvait trouver un métier, une profession (et on n’en faisait pas cadeau aux candidats, du « Certif » : 5 fautes d’orthographe étaient éliminatoires!).
Maintenant, avec un très chic et honorable baccalauréat, on peut tout au plus aller pointer à la feu ANPE !