La société "certains" et "d'autres"

Quand on lit un courrier, des mails, des articles de presse ou que l’on écoute un débat, on peut aisément connaître le caractère réel des personnes qui écrivent ou participent à l’événement en notant les mots de la « modernité » qu’ils utilisent. En effet, dans le monde actuel il existe une manière de « faire l’intéressant » confinant au rôle du moralisateur faux cul, un rôle extrêmement répandu. Par exemple, quand dans un texte vous trouvez sur un sujet précis l’utilisation du terme « certains espèrent, d’autres pensent » vous pouvez être assuré que son auteur vise nommément des personnes, mais qu’il n’a pas le courage de les désigner à la vindicte populaire. Certains et d’autres sont les termes de la lâcheté par la généralisation protectrice quand il faudrait être clair, précis, objectif… et surtout un moyen de transférer sur ceux que l’on vise, sa propre responsabilité. Plus personne ne veut assumer ce qu’il pense ou ce qu’il fait et, pour cela, il généralise!
Tenez lisez et écoutez depuis quelques jours : on trouve des gens bien pensants affirmant que dans l’affaire DSK « certains savaient mais ne disaient pas » et que « certains disaient mais ne savaient pas ! » ce qui permet de se sauver personnellement dans toutes les circonstances. Dans le politique, c’est pire avec des pensées subliminales visant un élu ou un responsable, mais avec un degré de prudence évitant les affrontements. Remarquez que tout responsable d’un désastre sait toujours trouver des excuses dans l’attitude des autres, en masquant ses propres insuffisances. Soyez… « certains » sauve ainsi les meubles et masque leurs insuffisances, depuis que la vie sociale existe. Et quand un responsable politique, économique ou médiatique veut allonger la liste, sans jamais la décrire, il faut ajouter « d’autres » pour que l’exécution soit générale. Avec « certains » et « d’autres », on met n’importe quelle leçon de morale dans son escarcelle, sans être totalement crédible.
Cette manière de s’exprimer devient monnaie courante, car il correspond parfaitement à la société actuelle. Il ne s’agit jamais d’analyser sa propre responsabilité dans les résultats obtenus, mais simplement de chercher des éléments d’excuses dans des attitudes supposés des « autres ».
Cette réalité permet, par exemple, depuis des mois à un gouvernement de droite ultra libérale de prétendre que tous ses échecs patents sont de la faute des autres et notamment les… socialistes. Il arrive pourtant, et c’est le paradoxe, qu’au sein du PS les discours soient identiques. Il suffira d’attendre encore une semaine pour le vérifier. L’affaiblissement d’une structure ne dépend jamais de soi, mais inévitablement de « certains » dont sera bientôt responsable DSK ou quiconque. Il est vrai que les bilans négatifs d’une gouvernance ne sont jamais le fait de celles et ceux qui la mettent en œuvre. Alors, c’est facile : « certains » et d’ « autres » sont les coupables suggérés.
Quand Sarkozy se trompe, ce n’est jamais lui mais ce sont des boucs émissaires désignés par un vague symbole : la crise, l’Europe, les pays étrangers, les fonctionnaires, les « immigrés », les « abstentionnistes », les « mutins », les « non croyants », appartiennent à ces vocables génériques qui conviennent à merveille aux gens se trouvant dans une impasse matérielle ou intellectuelle. La vie publique prend cette tournure. « Certains » seront livrés en pâture aux militants comme le fut, par exemple, Laurent Fabius quand il a pris position pour le non à l’Europe contre les responsables de son parti… « d’autres » qui pensent que les « primaires » constituent une erreur politique comme Paul Quilés seront vite désignés comme « d’autres » de l’échec probable de cette prétendue mobilisation de l’électorat. C’est la loi du genre : ne jamais se remettre en cause, ne jamais contester l’opinion dominante dans cette société gouvernée par les sondages qui marginalisent « certains » et « d’autres » dès qu’ils n’acceptent pas la loi du nombre.
C’est la raison qui a fait le succès foudroyant du livre de Stephane Hessel. Tout à coup « certains » et « d’autres » ont pris conscience qu’il fallait s’indigner pour ne plus subir, qu’il fallait exister en refusant l’ordre établi, qu’il était parfois utile de résister en laissant simplement les gens qui revendiquent une responsabilité l’exercer… C’est alors qu’apparaît le hiatus : assumer ses actes devient délicat dès que l’on se retrouve face aux actes que l’on a effectués.
J’assume et j’assumerai en ce qui me concerne mes positions, mes actions et mes réalisations avec le risque d’être désavoué par l’opinion dominante et lui laisser le soin ensuite de faire mieux. C’est le seul moyen de pouvoir se regarder sereinement dans la glace le matin en se rasant. Il n’en reste pas moins vrai que ce n’est guère rassurant, car on devient vite la cible des « amis » qui vous veulent du bien. Les élus, tous les élus sincères qui assument leurs erreurs savent parfaitement que l’alibi de « certains » et « d’autres » se résume en une phrase simple « moi je n’ai pas d’ambition ». Une sorte de sésame qui accuse « certains » et en dédouane « d’autres »… mais notre société n’a préparé les générations montantes qu’au mot d’excuse permanente pour justifier sa propre absence d’engagement.

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Cet article a 2 commentaires

  1. sylvie

    excellent ce développement de la manipulation des mots et de ces deux là particulièrement. Cela me rappelle une assemblée générale… Dans le genre ; il y avait « eux » et « nous », mais il n’y avait qu’eux qui savaient qui étaient nous et vice versa… 😉
    Merci

  2. Annie PIETRI

    Merci, Jean Marie, d’avoir écrit cette chronique….mille fois merci! Il fallait l’écrire, et tu l’as fait. Espérons seulement que ceux qui sont des adeptes des « certains » et « d’autres » se reconnaîtront. Et c’est pire encore lorsque pour porter des jugements définitifs sur ces « certains », ou sur ces « autres » on se contente de prendre connaissance d’un SMS écrit à la va vite sur un coin de table…..

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