La drogue hallucinogène du pouvoir…

Depuis qu’il existe une vie sociale organisée, le pouvoir a toujours, d’une manière ou d’une autre, conduit les hommes qui l’exercent aux pires excès dès qu’ils ont le sentiment qu’ils ne sont plus redevables de quoi que ce soit envers les gens sur lesquels il l’exerce. C’est une constante depuis l’origine, et croire que notre modernité empêche ces déviances, c’est croire au Père Noël. L’ivresse du pouvoir anesthésie les consciences puisque, pour l’acquérir, il faut nécessairement piétiner un certain nombre de valeurs. Le pire tient dans le fait que souvent il y a un écart considérable entre les nécessités de l’arrivée sur les plus hautes marches et les proclamations qui ont été faites antérieurement. Tout le monde feint de croire, au fil des siècles, que ces constats sont seulement réservés à l’époque qu’il traverse, alors qu’ils sont immuables. En s’extasiant ou en sombrant à la moindre résurgence de la nature humaine chez un homme de pouvoir, on ne fait que jouer aux Pangloss enseignant que tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. « Tout pouvoir sans contrôle rend fou ! » avait annoncé le philosophe Alain, mais dans les faits, personne ne s’en soucie véritablement depuis trop longtemps.
S’installer dans un fauteuil présidentiel, quel qu’il soit, implique le talent d’un pilote sur verglas. Impossible parfois de freiner car on sait fort bien que celui qui n’avance plus finit forcément dans le fossé de l’oubli. Dominer reste le fantasme inextinguible de bien des gens dans la société actuelle, puisque la réussite ne se juge que sur la capacité réelle à émerger par les apparences. Et le phénomène n’est absolument pas en réduction. Bien au contraire. La crédibilité passe en effet de plus en plus par « avoir » plutôt que par « être ». Le fantasme de Bernard Tapie a supplanté celui de Mozart (si tant est qu’il ait existé…). La faim de pouvoir justifie tous les moyens et tous les manquements aux fondements du vivre ensemble.
Il existe de nombreuses façons d’exercer le droit que l’on croit posséder sur les autres quand on s’installe dans les lieux où on ne rend plus de comptes qu’à soi-même, et comme le doute n’envahit plus les esprits, au nom de l’immunité que vous donne votre puissance supposée, les dérives menacent vite.
L’étendue d’un pouvoir se mesure à l’influence potentielle que la personne aura de manière directe ou indirecte. Il conduit parfois à nier toute valeur à l’autre et à lui infliger, avec toujours de bonnes raisons, un sort détestable. D’ailleurs, plus le pouvoir pèse sur des millions de personnes, et plus l’individu perd de sa valeur. Que représente un ouvrier, une employée, un salarié quand, d’un trait de plume, il arrive que des millions pâtissent des décisions qui ne relèvent que d’une personne ou d’un groupe de personnes ayant d’autres objectifs que le sauvetage d’une seule vie !
L’histoire est remplie d’exemples où le pouvoir politique, religieux, économique a été utilisé nuisiblement ou d’une manière insensée. Ceci se produit, le plus souvent, quand trop de pouvoir est concentré, sans assez de place pour le débat politique, la critique publique, ou d’autres formes de pressions correctives. Il n’y a que les églises pour arriver à persuader des foules que les hommes ayant accédé au pouvoir doivent être sanctifiés pour leur comportement exemplaire.
Ce serait un véritable miracle qu’un sentier ou une autoroute conduisant vers les sommets n’ait été pavé que de bonnes intentions. C’est vrai que depuis maintenant des années il ne faut plus passer au confessionnal pour expier ses fautes… Il suffit pour être « pardonné » de passer au JT de 20 heures et de présenter ses excuses, pour immédiatement obtenir l’absolution. Un passage télévisé blanchit les plus sombre destins pour les remettre sur le droit chemin. Il arrive aussi que des images détruisent, avec l’avidité dont savent faire preuve les moralistes en quête de proies célèbres, ceux qui se croyaient invincibles. La société actuelle qui se contente du vernis de la personnalisation outrancière a besoin de victimes exemplaires comme les tribus originelles avaient foi dans le sacrifice humain. Quand l’opinion dominante réussit à attraper un gibier réputé de potence, elle chasse en meute pour se dédouaner de ses propres insuffisances. Tôt ou tard, la cuirasse se fend et libère en effet la réalité des êtres. Ce n’est qu’une question de temps, et il faut savoir que les adversaires étudient maintenant les défauts de cette cuirasse pour y enfoncer le poignard empoissonné toujours prêt. La moindre faiblesse sera impitoyablement exploitée au détriment de ceux qui croient être à l’abri par leur statut.
« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » Cette sentence de Montesquieu n’a jamais été autant d’actualité, et c’est parce qu’elle est souvent oubliée que les pires événements peuvent survenir. Les commentaires des vierges effarouchées après l’horrible faute de DSK ne tiennent pas compte de ce principe social immortel : il n’y aucun homme détenteur d’un pouvoir qui ne fasse pas à un moment ou à un autre un faux pas sur le parcours de sa vie personnelle. Il lui faut simplement l’assumer quand, justement, la tendance générale est d’exiger la sévérité pour les autres, et l’indulgence pour soi. Comme on devient vite déraisonnable, grisé par l’altitude, on prône justement la raison pour les autres que l’on ne s’applique jamais à soi-même. Il faut absolument s’astreindre régulièrement à des cures de modestie pour éviter de perdre le contrôle de la machine. Le pouvoir n’est qu’une drogue hallucinogène.
Inutile de répéter que la grandeur humaine ne repose que sur la capacité à assumer ses erreurs et à éviter de se laisser tourner la tête par ce que l’on croit trop facilement être ses réussites ! Facile à écrire. Difficile à tenir. Difficile à admettre, quand justement celui qui vous plonge dans l’effroi appartient à votre « famille », puisque le cœur doit alors s’effacer devant la cruelle réalité.

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Cet article a 5 commentaires

  1. Christian Coulais

    Pangloss : professeur de métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie, précepteur de Candide et de Cunégonde. Peut-être imaginé à partir de la duchesse de Saxe-Gotha, Louisa Dorothea von Meiningen, une leibnizienne avec qui Voltaire a beaucoup correspondu. Source : Wikipédia.
    Lire ou relire Candide : http://www.voltaire-integral.com/Html/21/06CANDID.html

    Une chronique les plus justes. Partager le pouvoir sans le dissoudre, lui donner aussi de sérieux contre-pouvoirs. Le débat sera-t-il lancé ? Encore une année de déchirements, d’étripages symboliques pour s’approprier le pouvoir suprême !

  2. Alain.e

    le problème avec DSK ,c’ est que des faux pas,il semble y en avoir eu plusieurs !!!
    (Tristane Banon,Piroska Nagy etc..)
    Jean quatremer n’ écrivait il pas sur son blog à propos de DSK, « trop pressant avec les femmes,il frole souvent le harcèlement »
    Tout roi a besoin de son bouffon,DSK aurait été bien inspiré de réécouter le sketche de Guillon sur france inter ou il moquait son obsession des femmes.

  3. facon jf

    Ne tirons pas sur l’ambulance ! Laissons à DSK le bénéfice du doute tant que la justice ne l’a pas condamné. Malgré tout le mal que je pense de ce Monsieur cela nous renvoie à la citation de Montaigne « Si haut que l’on soit placé, on n’est jamais assis que sur son cul. ». Le système juridico-médiatique nous en fait une démonstration flagrante et extrêmement cruelle pour les innocents… De ce fait, le paysage politique Français en est bouleversé, mais les questions essentielles demeurent pour les plus démunis de nos compatriotes. l’annonce officielle de la future maternité de la Première dame n’y changera rien.

  4. Christian BAQUE

    Respectons la présomption d’innocence… de la femme de chambre. Qui, après tout, dit peut-être la vérité, non ?

  5. Mon livre du jour : « Le bûcher des vanités »… A relire.

    Comment concevoir que tout ce qui se disait dans les rédactions et un peu partout et depuis des années, ne soit pas connu du PS ?

    N’y a t-il rien d’autre dans les magasins politiques que ces libidineux que l’on nous propose ? La vie personnelle d’une personne promise à la plus haute des responsabilités – celle d’un pays, la magistrature suprême – ne doit-elle pas être sur la même longueur d’ondes que sa vie professionnelle ?
    Quelle image de la femme est véhiculée à travers ce « fait divers » ? Celle d’un objet encore et toujours ? d’un fantasme d’homme détenant le pouvoir et l’argent ?

    Terrible fait d’actualité qui soulève bien des questions… Espérons que l’on y répondra. Un séisme peut en déclencher un autre.

    Une femme ordinaire

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