Il y a trente ans, à cet instant même, le dépouillement des élections présidentielles était terminé à Créon. Avec 745 voix, François Mitterrand arrivait largement en tête dans la commune (59 %) et dans le pays. Quelques minutes après l’annonce de cette victoire, nous avions décidé, sans concertation, de ne pas manifester, de manière ostentatoire, notre joie. Les klaxons, les farandoles, les cris nous semblaient malvenus, ce qui n’empêchait pas que notre joie était profonde. Roger Caumont, le Maire, attaché à la rigueur intellectuelle et plus encore aux valeurs de la Gauche, dépassant nettement les frontières du Parti socialiste dont j’étais le Secrétaire de section, avait décidé que nous irions boire le champagne chez lui. Ce fut fait en petit comité, et dans une ambiance presque recueillie. J’eus l’impression que nous pensions que le plus dur restait à faire !
Un moment de partage sobre (par les actes) mais arrosé (par le boire) qui faisait suite à une campagne acharnée, durant laquelle nous avions constitué un comité de soutien qui avait tiré sur une Gestetner, achetée d’occasion par mes soins, un appel distribué dans toutes les boites aux lettres créonnaises. Je m’étais levé en pleine nuit pour aller apposer sur une vitrine vide du Créon Ciné, en instance d’être repris par une équipe de bénévoles, une affiche sur les diamants de Bokassa. Une réunion publique bondée avait déjà annoncé une réussite possible, car ce type de rencontre ne permet que de juger la mobilisation réelle de l’électorat et n’a jamais servi à convaincre. Celle qu’avait tenue Mitterrand m’avait impressionné par la ferveur qui s’en dégageait. Elle respirait l’espoir et plus du tout la résignation. Elle dégoulinait de solidarité. Appuyé sur le pupitre qu’un avion spécial avait amené, Mitterrand fatigué, d’une voix rauque, posée mais prenante avait soulevé ces milliers de personnes, qui s’intéressaient encore à leur sort porté par les vertus de la politique ! Des images qui passent et repassent comme autant d’instantanés dont on ignore qu’un jour ils appartiendront à l’Histoire…de France.
J’étais simplement heureux de partager avec les autres, sans me poser véritablement de questions sur le programme du futur président, puisque autogestionnaire venu au PS via le PSU, j’avais une vision beaucoup plus révolutionnaire de l’avenir que celle qu’il portait. Au moment où le visage de ce dernier était apparu sur l’écran, il n’était pourtant plus question de refuser le bonheur de la victoire. C’est ainsi…
Ce serait en effet malhonnête de prétendre, avec le recul du temps, que ma « mitterrandolâtrie » est sans tache. Je suis resté toujours distant… même si son succès était aussi un peu le mien puisque, pour moi comme pour bien d’autres, la victoire de la gauche passait avant celle d’un homme. J’ai pourtant une admiration particulière pour François Mitterrand à qui je reconnais une qualité constante : celle d’avoir toujours assumé ses actes ! En politique, c’est même plus qu’une qualité, c’est une vertu, car rares sont les femmes et les hommes qui assument leur destin avec ses lumières et ses zones d’ombre. Mitterrand a assumé et c’est en cela qu’il est pour moi entré dans l’Histoire. Ce ne fut jamais de l’entêtement imbécile, mais simplement le courage de faire face à des moments difficiles sur son parcours, accompagné par la force de l’esprit. Il était comme il était, et il ne regrettait pas d’avoir été comme il était.
Son passé complexe : il assumait, alors que bien d’autres auraient plié l’échine ou tourné le dos à la réalité. Il avait peut-être été moins lucide que d’autres, mais par expérience il savait que ce n’est jamais en niant l’évidence qu’on peut convaincre de son inexistence.
Il n’a pas reculé devant le danger que présentait pour lui certaines idées, comme l’abolition de la peine de mort. Personne ne peut nier qu’il fallait audace morale et solidité intellectuelle pour aborder cette mesure que nul autre que lui n’avait osé proposer. Il a assumé ce choix. Il a assumé les risques de ce choix. Grâce à Badinter, il a assumé jusqu’au bout cette loi qui remettait la France dans le camp de l’Humanisme. Combien auraient louvoyé ou traîné des pieds? Il a assumé, car il avait été convaincu de la valeur de cette initiative.
Il assumé également sa vie personnelle. La France austère et rude lui en a peut-être voulu mais l’autre, plus sincère, a admis ce que certains dissimulent parfois maladroitement. Pas facile d’assumer ce qui est critiquable, même si le secret protège des appréciations hâtives. Il a pourtant été au bout de ce qu’il aimait, et il serait hasardeux de le juger. En fait, encore une fois, Mitterrand aura vécu en traversant, comme le promeneur du Champ de Mars, l’espace de sa vie. Et quand la maladie s’est approchée, il n’a pas bronché extérieurement, donnant le change sur la douleur qui fut la sienne et, justement, ne renonçant jamais à être lui-même. Difficile de trouver un signe extérieur d’angoisse dans ce visage impassible hors des considérations terrestres, mais la preuve irréfutable qu’il avait en lui cette force de caractère qui permettait d’assumer. C’est dans la capacité de faire face à l’adversité dans le calme que l’on reconnaît les capacité réelles d’un homme de pouvoir. Et Mitterrand en était un. Certes imparfait, certes habile, certes secret, mais capable d’affronter les conséquences de ses actes, ce qui ne correspond plus à notre époque, tel était « mon » Mitterrand. Il nous a laissé la nostalgie, et c’est le pire cadeau qu’il ait pu faire à la Gauche. Tout au long de ce 10 mai, on a brassé des souvenirs alors que nous aurions tant besoin de croire dans l’avenir…
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Le 10 mai 1981 à l’annonce des résultats, j’ai pris un drapeau rouge et je suis allé, avec mes camarades trotskystes de ce qui s’appelait alors l’OCI, manifester place de la Victoire à Bordeaux.
Depuis des mois nous avions combattu pour le vote inconditionnel dès le 1er tour pour François Mitterrand.
Pas pour Mitterrand lui-même : nous connaissions son passé sulfureux, X fois ministre de la 4° République, après Vichy… Mais voter pour le 1er secrétaire du Parti Socialiste, pour battre Giscard et la V° République.
Nous avions appelé à voter pour gagner, contre les diviseurs, contre la division orchestrée par le PCF.
L’effondrement des voix PCF au 1er tour le 28 avril 1981, avait montré que des millions d’hommes et de femmes avaient capté le message, que la droite allait être battue. Et la droite a été battue et le 10 mai 1981 ce fut une grande liesse populaire.
En 1981, le PS parlait de rupture avec le capitalisme… Une majorité d’électeurs voulaient changer la vie. Puis il y a eu le plan Mauroy Delors en 1983, l’austérité, le blocage des salaires et la suspension de la loi du 11 février 1950 sur les conventions collectives… Etc…
Depuis, privatisations, chômage, flexibilité, petits boulots, Union Européenne, Euro, les gouvernements peuvent alterner, droite-gauche, rien ne change…
Alors, pour croire en l’avenir, comme tu le dis, il nous faudra autre chose que DSK ou la fille à Delors…
Evidement, on peut reprocher à François Mitterand d’avoir pafois changé d’avis et d’orientation. Entre autres choses, on lui a reproché la francisque, sa conception de la peine de mort quand il fut ministre de l’intérieur, etc…
Sachant le milieu d’où il était issu, quoi d’extraordinaire ?
Ce que d’aucuns auraient pu lui reprocher, justement , c’est de n’avoir point changé ses orientations.
D’ailleurs ne dit-on pas qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ?
Beaucoup parmi les princes qui pensent nous gouverner devraient en prendre de la graine.
Merci pour ce beau portrait, avec tous les défauts et les qualités d’un homme qui fut simplement un homme, et non un dieu, « notre » Mitterand.