Les élections cantonales qui vont avoir lieu demain seront probablement le reflet de la déliquescence de la démocratie représentative à la française. Elles vont devenir un cas d’école pour institut de sciences politiques puisqu’elles marqueront un virage irrémédiable dans le fonctionnement de ce que la République avait encore de participatif. D’abord, elles traduiront deux paramètres croissants de l’évolution sociale : l’éducation civique et l’information civique. Il est incontestable que depuis une bonne trentaine d’années ces deux éléments constitutifs de la formation citoyenne ont été réduits à la portion congrue, au nom de l’efficacité. Plus aucun travail de fond dans le système éducatif afin que dès la fin de l’école élémentaire chaque enfant ait un minimum de compréhension de la vie « politique » au sens noble du terme.
Il arrive trop souvent que durant toute sa scolarité, un adolescent, arrivé en classe de 5ème, n’ait pas eu la moindre pratique citoyenne dans son parcours. Il est donc facile de lui parler de « mille-feuilles institutionnels », alors qu’il ne connaît même pas l’une d’entre elles. Il est aisé de lui ressasser dans sa famille l’inutilité du vote, puisqu’il n’en mesure pas l’importance. Il devient facile de lui vanter les mérites de l’apolitisme, quand il n’a jamais pu comparer les responsabilités de telle ou tel élu vis à vis de sa vie personnelle.
Rares sont les élèves de 6éme qui savent que le Conseil général les transporte, les nourrit, contribue matériellement à leur éducation… D’ailleurs, il arrive aussi parfois de constater dans des débats que des enseignants eux-mêmes ignorent les compétences du Conseil général ou n’en ont qu’une vision approximative.
Un sondage révèlerait, dans un établissement scolaire, des résultats qui démoraliseraient n’importe quel acteur motivé de la vie publique. Aucune généralisation accusatrice dans ce propos, mais un simple constat, qui serait confirmé par n’importe quel syndicaliste actuel qui pourrait, en toute franchise, s’exprimer sur, par exemple, le taux de syndicalisation dans l’enseignement, ou sur le taux d’engagement dans l’éducation populaire du milieu en général. Ce phénomène qui, depuis la fin les années 80, érode lentement mais inexorablement la conscience citoyenne, a entraîné la disparition de la pédagogie reposant sur l’exemple : coopération scolaire, véritables foyers socio-éducatifs autogérés, journaux scolaires d’expression, amicales laïques, associations de parents d’élèves réellement massives…
L’environnement scolaire s’est racorni ou restreint, sans que la responsabilité du monde enseignant soit en cause, par des replis frileux sur les moyens, les programmes, l’emploi du temps, l’évaluation strictement comptable des résultats, l’absence de véritables moyens, au nom des restrictions financières. Le monde citoyen périscolaire se meurt lentement, entraînant avec lui l’étouffement de toute action citoyenne globale, dont aurait pourtant tant besoin notre monde. Comment espérer avoir demain des jeunes motivés quand, par exemple à Créon, ville dans laquelle plus de 200 enseignants de tous niveaux viennent travailler quotidiennement, seulement 12 d’entre eux résident sur le territoire communal, et dont 3 participent effectivement à la vie sociale de la commune (vie politique : zéro, vie associative : 3), alors qu’ ils transmettent le savoir à plus de 1 700 enfants ou adolescents ?
Comme le relais n’est plus pris par la vie sociale, le déficit culturel citoyen s’amplifie au fil des mois. La télévision méprise le quotidien et l’ordinaire pour se consacrer à l’image exceptionnelle et à l’extraordinaire. Le phénomène n’a fait qu’aggraver une situation déjà préoccupante et l’a rendue irréversible. L’acte de participer et de voter n’a plus qu’une valeur subalterne, puisque ce qui donne la valeur à une vie, c’est d’être passé ou pas passé à la télévision, ou être ou ne pas être reconnu par le système télévisuel. Ecrire ? C’est nul. Débattre en direct sur le terrain ? C’est vieillot. En revanche, arracher quelques secondes de télé, c’est se donner un brevet de représentativité qui vaut mieux qu’un engagement au service des autres. L’idéal, c’est d’être d’abord reconnu par la télé, pour ensuite se lancer dans une carrière politique. Marine Le Pen va tout faire pour, comme son père et comme le fait le Chef de l’État français, occuper l’espace médiatique télévisuel, puisqu’elle sait que c’est désormais le seul lieu dans lequel on peut vendre des apparences. Que vaut un programme électoral, face à une visite de l’égérie de la France des Beaufs à Lampedusa ? Quel poids a un bulletin de vote face à deux minutes d’image dans un JT de 20 h, ingurgité par des millions de générations, n’ayant jamais eu un embryon de formation au décodage de l’information télévisuelle, sur laquelle il n’est jamais permis de revenir. La vérité révélée rend la vérité apprise totalement dérisoire, puisque l’une repose sur le message facile, alors que l’autre nécessite du temps et des efforts.
Que pèsent les cantonales de ce dimanche face aux gesticulations internationales autour du cas du vice-président de l’Union de la Méditerranée, créée en grande pompe par Nicolas Sarkozy, et dont on a oublié, totalement oublié, le coût, l’absurdité, et surtout la pantomime que ce fut ! Un conseiller général du quotidien pèse un grain de sable du désert libyen. Un conseiller général n’a aucune place dans le jeu vidéo gigantesque qui va se dérouler sur cette Playstation géante qu’est devenue la planète. D’autant que, depuis des semaines, partout et comme des perroquets parfaitement contrôlés, les élus de l’UMP, lors de toutes les prises de parole, toutes les professions de non-foi, toutes les affiches… ont tout fait pour reléguer le suffrage universel à un choix de tête de gondole sans étiquette, et surtout sans lien avec ces faits que l’on couvre du drap noir de l’oubli avant enterrement de nuit ! C’est fait et bien fait : les élus locaux n’auront plus aucune légitimité, après ce vote marqué par un désintérêt massif des électrices et les électeurs.Ils seront donc bel et bien inutiles.La boucle est bouclée.
Derrière, sera insidieusement remise en cause la valeur du suffrage universel… attendez la fin de la semaine prochaine, devant votre poste de télévision, vous verrez le discours : ces cantonales n’ont aucune valeur, aucune signification, aucun intérêt ! L’essentiel c’est le sondage, la cote de popularité, la mesure de la confiance !
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J’ai fait lire cet article à ma fille qui me demandait des précisions sur les cantonales. Elle propose l’amendement suivant « Il arrive trop souvent que durant toute sa scolarité, un jeune, arrivé en hypokhâgne, n’ait pas eu la moindre pratique citoyenne dans son parcours ». Ce n’est certes pas très réjouissant.