Quel que soit le spectacle auquel on assiste, la découverte des coulisses participe au bonheur que prend un spectateur conscient des efforts que nécessite ce qu’il voit sur scène. Il y règne toujours une ambiance particulière mélangeant une certaine angoisse et une impatience contenue chez les acteurs, quel que soit leur degré d’implication. On y traite les affaires du monde des courses. On s’ignore pour des questions de rivalités ou d’argent. On se retrouve avec plaisir et méfiance. Une société du « je t’aime moi non plus » se forme à l’écart de la foule dans le paddock des hippodromes. Tout y est feutré et méticuleux. Ici, millionnaires en gains ou miséreux au désespoir sont sur la paille !
Avant de parier les vrais amateurs adorent en effet traîner du coté du paddock à la fois pour y côtoyer les pilotes ou les jockeys vedettes mais aussi pour tenter de glaner un improbable tuyau leur permettant de flamber auprès des turfistes penchés sur le programme des courses ou ayant le nez dans un journal spécialisé. Eux ils savent car ils sont allés à la source de l’information. Quand les ados avancent sur les trottoirs en regardant leur téléphone portable, eux ils se baladent de box en box en piochant sur une page grise un indice pour identifier un cheval qui mâchouille nonchalamment une poignée de foin odorant.
Dans les logements provisoires qui leur ont été affectés les équidés ne semblent pas avoir la même idée qui trotte dans leur tête que celle de leur entourage. Ils attendent. Ils ignorent cette agitation humaine. Aux petits soins, les lads essentiellement féminins caressent, parlent, soignent ou harnachent leur protégé. En silence, indifférents à ce monde des courses qui scrutent leur moindre fait ou geste, ces jeunes filles passionnées achèvent imperturbables la préparation du crack comme du délaissé, avec une même passion perceptible et une application rassurante. Même si elles répètent machinalement des mouvements techniques elles cherchent à rassurer leur protégé, à lui épargner les efforts qui l’attendent.
Chacune a probablement ses secrets d’amour pour SON animal craintif, parfois ultra-sensible ou d’une apathie tout aussi inquiétante. Le rapport de confiance transparaît. Ces couples dont la quiétude se trouve parfois troublés par l’irruption d’un intrus que l’on appelle pilote, jockey ou entraîneur venant aux nouvelles. Les oreilles du « héros » putatif se dressent et tentent de saisir ce que trahit le son d’une voix. Que veut ce bonhomme qui tourne autour de lui comme un voyeur mal intentionné ? Et tous ces bonhommes face à lui qu’il ne discerne qu’en ombres confuses qui papotent en le regardant que souhaitent ils ? Minute après minute sa situation confortable s’altère. On sent monter une pression confuse.
Dans le paddock d’étranges sifflotements s’échappent de box fermés. Cette étrange sérénade aux tonalités répétitives n’ayant rien de très mélodieux, n’intrigue personne. Il est assez aisé de ressentir les efforts qu’accomplit le musicien du paddock vis à vis d’un public dont on ignore tout. Une certaine impatience transparaît. Renseignement (honteux) pris auprès d’un habitué des lieux, le « rossignol » n’a qu’un objectif peu glorieux : aider la bête à uriner avant son entrée en piste. Son boulot de soliste terminé, le préposé à la cérémonie pour pisse à froid, ouvre le ventail et redonne de l’air à son patient sur la retenue. Mission accomplie. Tout l’entourage est soulagé.
Les derniers préparatifs avancent. Il faut être au top. Afin que leur « frange » ne les perturbe pas trop durant la course qui les attend, les « demoiselles de compagnie » ont patiemment tressé les crins situés entre les deux oreilles (toujours bouchées pour créer une bulle de silence). Cette touche de coquetterie discrète s’agrémente parfois d’une chaînette avec un bijou fantaisie ou d’un bonnet en dentelle ou orné de broderies dorées. Un coup de chiffon sur les sabots, un ultime passage précis de brosse sur la croupe et les flancs, une vérification des rênes et du mors et le cheval sort de son gîte paisible pour aller au boulot. Il sera promené durant quelques minutes pour se dérouiller sa musculature d’athlète et se détendre. Dès que le sulky est attelé, un pilote coloré, sorte de passager clandestin invisible pour le cheval prend le contrôle de la « carriole » comme disent familièrement les turfistes blasés. Finie la liberté. Mécaniquement avec plus ou moins d’élégance le trotteur se met à la tache avec une bonne volonté variable. Il ne raffole pas nécessairement de l’exercice proposé.
Le galopeur aura lui un répit. Conduit par son accompagnatrice il va tourner sur le rond de présentation avec une bonne volonté plus ou moins évidente. Ils se promènent tous deux sous le regard attentif de centaines de personnes venues pour découvrir le style et l’allure de celle ou celui en qui ils mettront leur confiance. On ne sait qui de la lad ou du cheval est la plus fière. L’artiste entre pourtant sur scène. Il devient selon son caractère, impatient ou résigné. Dans tous les cas lorsque s’ouvre l’accès à la piste le duo formé avec un jockey prestement hissé sur la selle, s’y engage avec un allant similaire. Une sorte d’appel du grand large, du plaisir de courir, de la possibilité de se confronter aux autres. Un autre couple « utilitaire » se forme pour une équipée sauvage et exigeante du steeple-chase, pour un sprint effréné sur le plat, pour une épreuve d’endurance ou pour des sauts répétés de haies artificielles dressées en obstacle.
La compétition prend le pas sur tout le reste. Oubliés les soins attentifs. Très loin les heures douces à savourer une nourriture de choix. Il faut obéir et tout donner pour un résultat aléatoire. La douche si le soleil le permet ou un solide bouchonnage s’il en est autrement pour la météo, attendent un compétiteur qui ignore tout de sa réussite ou son échec. Et pourtant c’est ce qui conditionnera toute sa vie. Le couple « lad-cheval » se reforme dans la joie ou la déception. Probablement que la monture ressent ce que l’on pense de lui. Les vainqueurs énervés par la foule hochent énergiquement de la tête quand les autres regagnent leur pénates temporaires les naseaux bien bas. C’est sûr l’Homme qui le monte ou le dirige n’est pas forcément leur meilleur ami ! Le lad lui le comprend et l’aime. C’est une histoire d’amour à durée déterminée et au quotidien.
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