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La facture sociale de la fracture d’accès au numérique

La dématérialisation de nombreux accès aux droits portées par la loi est-elle aussi efficace que le souhaitaient les concepteurs d’un système visant essentiellement non pas simplifier les démarches mais à diminuer leur coût pour l’État. Dans tous les secteurs l’usage de l’ordinateur voire du téléphone et bien évidemment d’internet a été développé à toute allure en prétendant que le service réputé plus rapproché du citoyen serait plus efficace et plus proche. La quasi totalité des demandes sont désormais comme le veut la formule consacrée « dématérialisées » livrant le prétendant aux affres de l’informatique.

Ce développement forcené supposait plusieurs conditions d’accessibilité qui sont très loin d’être remplies. Certaines sont purement matérielles. Il reste par exemple encore bien des foyers (et souvent ceux qui devraient solliciter les aides ou accomplir les démarches) n’ayant pas d’ordinateur. Certes les plus jeunes sont davantage équipés que leurs aînés, l’usage de ces nouveaux outils a  progressé chez les plus âgés. Ainsi, 47% des 75 ans ou plus ont un ordinateur en 2019, contre 5% en 2004.

La progression est encore plus importante chez les 60-74 ans puisque ce taux est passé de 22% à 82% en quinze ans. Si c’est incontestable les écarts liés à l’âge se réduisent progressivement en matière d’équipement électronique, desinégalités plus inquiétantes subsistent selon le niveau de vie des foyers. En 2019, parmi les ménages les plus modestes, 68% disposent d’un ordinateur et 75% d’un accès à internet, contre respectivement 95% et 96% des ménages les plus aisés.

Cette situation n’inquiète pas grand monde sur l’équité républicaine d’accès aux services publics et posent donc un véritable problème social. Chaque fois qu’il y a transfert intégral du « papier » vers le numérique une fracture se créée dans les populations les plus fragiles. Elles s’éloignent des droits auxquels elles pourraient prétendre. Toutes les statistiques le démontrent. La dernière a par exemple contraint le gouvernement à prolonger sa prime aux dépenses de carburant.

L’indemnité carburant permet, sous conditions, de toucher 100 € et s’adresse à dix millions de travailleurs, dont le revenu fiscal de référence par part est inférieur ou égal à 14 700 euros annuels. Ils n’ont été que 5,6 millions à l’avoir réclamé. Les appels récents à solliciter cette aide n’ont pas eu encore l’effet escompté. D’abord il y a eu un bug qui a découragé des milliers de propriétaires de vieilles automobiles dont l’immatriculation était sous sa forme ancienne. Ensuite les conducteurs concernés n’ont pas connaissance des modalités de dépôt de la demande. Enfin l’État lui-même a rencontré des difficultés pour verser les 100 euros promis. Il serait intéressant de connaître les statistiques par département !

L’autre difficulté matérielle réside dans l’état du réseau internet très inégalitaire. Si par exemple la Gironde a lancé son programme gigantesque en cours de pose de prises câblées dans la totalité des foyers on en est très loin dans d’autres territoires français. Et pas forcément rurales. Il existe toujours des zones blanches pour la téléphonie mobile elles sont plus nombreuses en matière de liaison internet. Actuellement environ 9 % des foyers sont privées d’un accès de qualité minimale à Internet, c’est-à-dire plus de 3 Mbits par seconde. Le «bon haut débit» n’est lui, pas accessible à environ 17 % de la population, soit plus de 10 millions de consommateurs.

Il faut ensuite supposer que tous ceux qui sont raccordés ont la capacité technique d’utiliser les outils dont ils disposent. En 2021 lorsque j’ai quitté le conseil départemental le nombre des sollicitations dématérialisées pour les bourses départementales des collégiens avaient chuté de 12 % alors que l’on avait la certitude que les familles en difficulté avaient nettement progressé. Dans un autre secteur celui du RSA alors que la demande auprès de la CAF est automatique c’est un tiers des ayant-droits qui s’abstiennent… Avez-vous essayé de compléter les dossiers de demandes de carte nationale d’identité ou de passeports en ligne ?

En plus la dangerosité d’internet est avéré nécessitant une méfiance de tous les instants. Il y aurait plus de 1200 sites frauduleux en France et le nombre de plaintes pour escroquerie a explosé en 2021 qui a été une année particulièrement propice aux escroqueries, notamment par courrier électronique ou SMS. Cela s’appelle du hameçonnage. Partout le danger rôde (.

En six mois, ce sont plus de 61 000 déclarations enregistrées, 33 000 plaintes validées et un préjudice financier qui dépasse les 18 millions d’euros) sauf à avoir les moyens financiers pour s’abonner à des systèmes de protection parfois peu fiables tellement les escroqueries deviennent sophistiquées. La fracture numérique ne diminue pas surtout dans le domaine de l’accès « utilitaire »…

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Cet article a 4 commentaires

  1. J.J.

    « Cette situation n’inquiète pas grand monde sur l’équité républicaine d’accès aux services publics et posent donc un véritable problème social.  »

    Si, si moi ça m’inquiète fort, non que j’aie des difficultés dans ce domaine, mais dans le constat de la création de fait d’une couche de population encore plus défavorisée.
    C’est vrai que ça représente une véritable fracture sociale. Je trouve ça cynique, révoltant, comme la tranquillité achetée à bon compte par les technocrates responsables de cette discrimination qui font semblant de ne pas voir. « Vous n’avez qu’à … »

    « Avez-vous essayé de compléter les dossiers de demandes de carte nationale d’identité ou de passeports en ligne ? »
    Oui, assez complexe en ligne, mais avec 40 ans environ d’expérience informatique, en traitement de texte, en recherche et en compta en particulier , je me débrouille. Le plus difficile , ça été le contact téléphonique avec la mairie. L’employée voulait absolument que j’attende quelques mois que ma carte soit périmée. Bien m’en a pris d’insister, quelques mois plus tard les services étaient complétement engorgés.

    Bien sûr, quand, suite à la convocation je suis allé récupérer ma carte, les services informatiques de la mairie étaient en rideau, mais ça c’est une autre histoire.

    À propos de sécurité, j’ai remarqué que depuis quelque temps, les adresses courriel et les identifiants ne s’écrivent pas automatiquement, il faut les rédiger ou les copier pour chaque courrier.

    1. Catherine

      Parfois ubuesque; souvent rageant même pour qui y est familiarisé
      et en « soutien »? les chatbots

  2. Philippe Labansat

    Je ne suis pas plus doué que d’autres pour les démarches en ligne,
    j’ai la qualité qu’il faut absolument avoir devant son écran, sauf à abandonner, je suis extrêmement tenace.
    Grâce à quoi, tout mon cercle familial, d’amis et connaissances, me sollicite régulièrement pour venir à leur secours.
    Je me souviens d’une démarche particulièrement délirante, pour obtenir le duplicata d’une carte grise afin de vendre un tracteur. Ça a été épique, mais on est arrivés au bout après bien des rebondissements.
    À chaque fois, devant mon écran, je pense à mon papa qui s »était mis courageusement aux démarches en ligne (qui ne faisaient que débuter). Mais il n’avait aucune notion d’informatique de base, et surtout, il n’avait aucune patience.
    Quand je vois que, moi même, je perds parfois mes nerfs dans certains cas, je n’ose pas imaginer comment il aurait vécu ça à ma place…

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